Quatre ans après Dans la cour, sa comédie dramatique sur un tandem dépressif mené par Catherine Deneuve, Pierre Salvadori présente En Liberté !, en salle dès aujourd’hui. Une fantaisie dont Adèle Haenel et Pio Marmaï sont les figures de proue. Inspiré par le Dangereuse sous tous rapports (1987) de Jonathan Demme – une comédie déjantée qui bascule soudainement dans le thriller conventionnel – le long-métrage suit les péripéties d’Yvonne, jeune inspectrice dont le conjoint policier (Vincent Elbaz) a perdu la vie pendant son service. Le héros défunt s’avère finalement être un flic totalement corrompu. Alors qu’elle cherche à réparer les torts de son icône déchue, Yvonne croise Antoine (Pio Marmaï) incarcéré pendant huit ans malgré son innocence. Pour prendre sa revanche sur la vie, il cherche à commettre les délits qu’il n’avait jusqu’alors pas perpétrés...
Pour Les Combattants, Adèle Haenel endosse le costume d’une militaire bien avant le tournage : “On aurait pu me demander des impros avec une meute de chiens, j’aurais géré.”
Sous la caméra de Pierre Salvadori, Adèle Haenel replonge en enfance. Pendant longtemps, l’actrice n’a pu se résoudre à défendre les scénarios légers, privilégiant systématiquement les films engagés. Fable poétique émaillée de saynètes ubuesques, En liberté ! lui permet de renouer avec les cartoons de Tex Avery, rendez-vous télévisuel incontournable de sa jeunesse : “J’aime l’idée du plaisir immédiat, utiliser mon corps, me battre, mettre des raclées…, confiait-elle à Numéro dans une précédente interview. Le côté burlesque, je l’avais développé au théâtre et un peu moins au cinéma.” Naturellement, Adèle Haenel a foncé tête baissée pour ce projet, rejoignant son ancien compagnon de jeu, Pio Marmaï, rencontré sur Alyah d’Élie Wajeman en 2012.
La bande-annonce d’“En Liberté !” de Pierre Salvadori.
S'imprégnant de l’univers de chaque film qu’elle tourne, Adèle Haenel décrit sa manière de travailler comme “diffuse et impalpable”. Pour Les Combattants, drame de Thomas Cailley, elle endosse le costume d’une militaire bien avant le tournage : “On aurait pu me demander des impros avec une meute de chiens, j’aurais géré.” Le public est bluffé et elle rafle le César de la meilleur actrice 2015. Un an auparavant, elle était sacrée meilleure actrice dans un second rôle grâce à son interprétation de la jeune Maria dans Suzanne réalisé par Katell Quillévéré. Adèle Haenel aurait aimé pouvoir faire autre chose et ne pas se consacrer intégralement au cinéma. Mais le 7e art en a décidé autrement, lui offrant trois rôles en 2016 (Les ogres, La fille inconnue, Nocturama) et trois en 2017 (Orpheline, 120 battements par minute, Die Blumen von gestern). Et si son personnage inconsistant d’activiste d’Act-Up Paris dans le long-métrage de Robin Campillo lui ouvre une nouvelle fois la porte des César – elle a encore été nommée dans la catégorie meilleure actrice dans un second rôle – il ne révèle pourtant pas l’étendue de ses capacités : “J’ai des affinités avec un type de cinéma que je ne saurais pas trop définir, et de poursuivre, quand on est acteur, on trimballe une histoire avec soi. Il révèle quelque chose en nous, comme le carbone 14…”
“Vérifier une deuxième fois qu’on est vraiment une fille en mettant des talons et du rouge à lèvre, ce n’est pas obligatoire.”
Elle a commencé très tôt, à 13 ans, dans Les diables de Christophe Ruggia en 2002. Fille d’une mère enseignante et d’un père traducteur d’origine autrichienne, elle est repérée lors d’un cours de théâtre à Montreuil (Seine-Saint-Denis) dont elle est originaire. Elle campe une jeune fille abandonnée à sa naissance et renfermée sur elle-même. Mais le déclic survient cinq ans plus tard, lorsqu’Adèle Haenel interprète l'héroïne de Naissance des pieuvres (2007), premier long-métrage de Céline Sciamma qui met en scène les troubles de l'adolescence sur fond de club de natation synchronisée. Son interprétation subtile lui vaut d'être nommée au César du meilleur espoir. Parmi les figures qui l'inspirent, elle cite volontiers Catherine Deneuve et les réalisatrices qui lui font confiance et dont elle deviendra l’atout : Sylvie Verheyde, Catherine Corsini, Katell Quillévéré ou Céline Sciamma avec laquelle elle entretiendra d’ailleurs une relation amoureuse.
Abandonnant ses études d’économie, Adèle Haenel accepte à 22 ans le rôle d’une jeune prostituée devant la caméra de Bertrand Bonello dans L’Apollonide (2011). Trois ans plus tard, on la découvre dans un registre totalement différent dans L’homme qu’on aimait trop d’André Téchiné, dans lequel elle prête ses traits à Agnès Le Roux, célèbre héritière du milieu des casinos niçois mystérieusement disparue en 1977. Partagée entre le cinéma d’auteur et productions plus grand public, Adèle Haenel communique son intensité à tous ses personnages, aussi différent soient-ils, de l'adolescente timide à la grande bourgeoise niçoise, en les habitant avec la même intensité et la même vraisemblance, sans avoir besoin d'artifice et sans douter à aucun moment de son identité : “Vérifier une deuxième fois qu’on est vraiment une fille en mettant des talons et du rouge à lèvre, ce n’est pas obligatoire. Je ne comprends pas qu’on ait besoin de prouver qui on est.”
En liberté ! De Pierre Salvadori, en salle le 31 octobre.