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23 laetitia dosch, festival de cannes 2024,

Cannes 2024 : rencontre avec Laetitia Dosch, réalisatrice de son premier film, Le Procès du chien

Cinéma

Depuis La Bataille de Solférino, le film qui révéla en 2013 Justine Triet (future Palme d’or en 2023 avec Anatomie d’une chute), Laetitia Dosch a trouvé une place à part dans le cinéma français, pleine de fantaisie et de rugosité. On l’a vue dans Mon Roi de Maïwenn, Passion Simple de Dabielle Arbid ou encore Acide de Just Philippot. Souvent au théâtre, elle passe maintenant derrière la caméra avec son premier film Le Procès du chien, présenté dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes. Une comédie enlevée et acérée, où une jeune avocate en perte de repère défend un chien qui a mordu une femme. Rencontre sur la Croisette.

Laetitia Dosch au 77e Festival de Cannes. Photo by Dominique Charriau/WireImage.

Numéro : On vous connait en tant que comédienne chez Justine Triet ou Maïwenn, ou au théâtre. Pourquoi devenir réalisatrice ?

Lætitia Dosch : Réaliser un film, j’en avais envie, mais cela me paraissait énorme. Un producteur est venu me voir quand je jouais la pièce Hate, seule sur scène avec un cheval. Il m’a dit que si j’étais capable de cela, je pouvais réaliser un film. Alors j’y ai cru. Quand on est actrice, on invente des histoires à l’intérieur de celles des réalisateurs, sans qu’ils ne le sachent. Cela me semblait naturel.

 

Quelle drôle d’idée de faire un film sur le procès d’un chien.

Je voulais trouver une histoire qui puisse parler à maintenant, faire évoluer et questionner les gens. Alors que je jouais avec le cheval, une femme m’a raconté l’histoire d’un procès autour d’un chien. Son maître était le seul accusé, car le chien est considéré par la justice comme une chose. Le public s’était passionné pour cette histoire sur le statut animal. C’était la preuve que quelque chose n’est pas réglé sur la question.

 

C’est un sujet personnel pour vous ?

Dans Le Procès du chien, je parle intimement, à la fois en tant qu’actrice et réalisatrice. On est comme dans son rêve dans ces moments-là. J’ai pensé aux œuvres de celles et ceux qui jouent dans leurs propres créations : Nanni Moretti, Blanche Gardin, Louis CK, Phoebe Waller-Bridge la série Fleabag, même Woody Allen. J’adore les premiers films de Moretti. Il nous emmène dans sa tête, même si le récit n’est pas autobiographique.

 

Le Procès du chien de Laetitia Dosch.

Filmer cette avocate qui défend un chien, c’est aussi l’occasion pour vous de faire le portrait d’une femme contemporaine.

Avril voit bien que le monde change, mais n’arrive pas tout à fait à s’y adapter. C’est une femme qui ne trouve pas sa puissance. En défendant le chien, elle trouve sa force. Le chien est un peu son miroir. Alors qu’ils viennent du loup, depuis des milliers d’années nous avons transformés et modelé ces animaux pour qu’ils deviennent des puits à amour, des amis parfaits. Je vois des parallèles avec ma condition de femme, cette impression de devoir rentrer dans des codes. Dans la première scène du film, un homme parle des femmes comme s’il parlait de chiens.

 

Quand l’avocate plaide pour l’animal, elle explique que sa cause est aussi celle  « de la forêt, des oiseaux, de la jeunesse et des femmes ».

Je cherchais la bonne façon de dire les choses sur l’environnement, les animaux, l’exploitation du vivant et les femmes. C’est difficile de trouver les mots justes. Utiliser quelqu’un d’autre ou un être vivant sans prendre en compte ses besoins, me semble lié à une même dynamique d’exploitation. Il y a une visée politique dans le film, mais j’espère d’une façon accessible qui amuse les gens. Comment intervenir aujourd’hui dans le débat ? Si on pouvait prendre chaque problème et parvenir à le décomposer en ralentissant l’action, ce serait génial. C’est plutôt l’inverse qui se passe, malheureusement. Sur tous les sujets, les jugements arrivent trop vite.

 

Vous êtes aussi à Cannes pour Le Roman de Jim des frères Larrieu, où vous retrouvez vos habits d’actrice.. pour jouer une femme difficile à aimer : elle traite mal ceux qui l’entourent, en particulier son ancien compagnon, qui a élevé son fils…

C’était mon rêve de travailler avec Arnaud et Jean-Marie Larrieu, des gens très profonds et légers en même temps, qui se posent des questions sur les femmes et la manière de les filmer. C’est du cinéma d’auteur, mais ça pourrait être populaire. On s’est posé mille questions sur ce personnage, en se demandant jusqu’où l’excuser. J’avais en tête un exemple qui n’a rien à voir : Joaquin Phoenix dans Gladiator. Il joue un empereur tyran et pleure systématiquement quand il tue des gens (rires). Alors, on compatit avec lui. Les frères, eux, compatissent avec tous les personnages, ils aimeraient qu’on les comprenne. On se retrouve, on se quitte, on ne se justifie pas toujours de nos actions, c’est la vie.

 

Le Procès du chien, de Lætitia Dosch, présenté dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes. Le Roman de Jim (2024) de Jean-Marie Larrieu et Arnaud Larrieu, présenté dans la section Cannes Première au Festival de Cannes 2024.