Portrait de Charlie Heaton, ambassadeur du parfum Phantom de Rabanne
On ne s’étonnera jamais de le croiser, à quatre heures du matin, devisant sur le monde dans une soirée after hours, ou sur le pont d’un bateau de croisière, entre l’Angleterre et New York. À 29 ans, Charlie Heaton a déjà le cuir épais, cette allure distincte de ceux qui ont vécu, et le chic qui va avec. Sa dégaine de rock star ne vient pas de nulle part, ce garçon so british ayant débuté comme batteur dans des groupes post-punk, notamment Comanechi.
Il écoute encore de la musique quotidiennement (“Des chapitres de ma vie sont liés à des chansons, des souvenirs et des gens y sont associés”) et dit son admiration pour Julian Casablancas, chanteur des Strokes : “J’en reviens toujours à lui. J’aime la manière dont il crée des mélodies, ainsi que ses paroles.” Charlie Heaton a du style. Il s’habille comme quand il avait 18 ans : “Ce style, je le construis moi-même. J’aime les pantalons et les chaussures, peu importe ce que l’on met dessus. Porter des vêtements dans lesquels on se sent bien, c’est souvent suffisant. Je pensais déjà ça il y a dix ans.” Dans ce contexte poétique et explosif, sa relative timidité surprend. Star depuis plusieurs années grâce à Stranger Things, la série ado très années 80 des frères Duffer qui cartonne sur Netflix et dont il tient l’un des rôles principaux, le natif du Yorkshire parle à voix basse, courtois et mesuré.
Après cinq saisons et huit années passées depuis sa création en 2016, la série qui l’a fait connaître va tirer sa révérence l’an prochain... si tout va bien. La grève des scénaristes et des comédiens à Hollywood a empêché le retour sur le plateau prévu à la fin du printemps, et l’odyssée Stranger Things pourrait se poursuivre un peu plus longtemps que prévu. Mais c’est bien d’une touche finale dont on parle, la fin d’une seconde peau, ce personnage tant aimé de Jonathan Byers, adolescent au début de l’histoire dans une petite ville de l’Indiana confrontée à des phénomènes surnaturels...
“J’ai mis du temps à être passionné par le métier d’acteur. Mon rêve, au départ, c’était la musique.” Charlie Heaton.
De cet aspirant photographe, Charlie Heaton s’est senti proche, jusqu’à redouter le moment de s’en séparer. “Je ne sais pas comment je vais vivre la fin de Stranger Things. Je joue dans cette série depuis que j’ai 21 ans, j’en ai presque 30, c’est une partie de ma vie. Cette aventure a créé chez moi un sens de la famille : savoir que chaque année, tu reviens vers les tiens, c’est agréable. En même temps, l’histoire doit arriver à son terme. Je pense avoir fait mon travail, j’ai envie de laisser le public avec ce sentiment. Mais plus la fin du tournage approchera, plus ce sera difficile.”
Comme beaucoup d’acteurs et d’actrices qui ont débuté jeunes dans une série, Charlie Heaton s’est vu grandir sous l’œil des frères Duffer. comme un portrait mouvant au fil des ans. “Stranger Things a documenté ma vingtaine, comme elle a documenté la jeunesse des autres comédiens de la série. Cela va me prendre un certain temps pour le comprendre, le digérer, et imaginer le prochain chapitre. Qui est tout autant excitant.” Sans en faire trop, le comédien laisse imaginer le mélange de mélancolie et de libération que va représenter la conclusion d’une ère. “Nous avons parcouru le monde avec cette série. Je ne sais pas si j’arrive à donner du sens à tout cela. On travaille, on tourne, et ensuite les spectateurs répondent. Cela prend aussi pas mal d’énergie de voyager et de bouger autant.”
Un désir de calme pourrait s’emparer de lui, même si on n’imagine pas trop Charlie Heaton chercher le silence méditatif. D’ailleurs, il est déjà reparti pour de nouvelles aventures. Cette année, il devient égérie de Phantom, le nouveau parfum de Rabanne, pour qui il incarne l’énergie du rock, l’idée d’une masculinité à la fois vénéneuse et généreuse. “J’ai appris l’histoire de cette marque incroyable, le passé d’architecte de Paco Rabanne, la façon dont il a révolutionné les années 60. J’ai trouvé cela passionnant. Dans le film promotionnel, je joue un personnage un peu rock star que j’aime beaucoup. Tout cela a des racines communes avec mon activité de musicien. J’ai l’impression d’être aligné avec mes désirs.”
“Je me considère toujours comme un jeune acteur [...] On n’est jamais au bout de sa quête.” Charlie Heaton.
Pour en arriver là, Charlie Heaton n’a pas suivi un cursus ordinaire, ni profité des privilèges d’une famille introduite dans le show- business. C’est un petit gars de la classe ouvrière, comme il le revendique lui-même, qui s’est fait une place au soleil. “Personne dans ma famille n’était comédien, mais on ne m’a pas stoppé. J’ai pris des cours de théâtre enfant, puis j’ai touché à la musique, mon père étant aussi musicien. J’ai réalisé plus tard que l’on pouvait faire un métier de tout. La réalité, dans une petite ville, ce n’était pas ça.” Après avoir quitté le Yorkshire à 16 ans puis dit au revoir au système éducatif à 18, Heaton part en tournée avec ses groupes, avant qu’un agent ne lui propose des castings.
“J’ai mis du temps à être passionné par le métier d’acteur, confesse-t-il. Mon rêve, au départ, c’était la musique.” Le destin a voulu qu’Hollywood s’intéresse à son visage expressif et à sa personnalité pleine de mystère. Après quelques apparitions dans des soaps, un passage obligé pour tout acteur britannique qui se respecte, le jeune homme a enchaîné quelques séries et films avant que Stranger Things ne le fasse entrer dans une autre dimension. “Ils cherchaient un type différent de l’Américain classique, qui ressemblerait naturellement à un artiste. Une nuit, il était 2 heures du matin en Angleterre quand les frères Duffer m’ont appelé ! On leur avait dit que je serais sûrement debout à cette heure-là. Je n’avais aucune idée de ce qui était en train de commencer.”
“Au Royaume-Uni, l’ambiance est plus rigide, avec moins de place pour les outsiders.” Charlie Heaton.
Si, pour l’instant, Charlie Heaton s’est épanoui professionnellement d’abord aux États- Unis, ce n’est peut-être pas complètement le fait du hasard. Il considère le système de son pays natal comme moins inclusif. “Au Royaume-Uni, je n’aurais probablement pas connu le même succès”, assène-t-il, avant de préciser sa pensée. “La piscine est un peu plus grande aux États-Unis, si vous voyez ce que je veux dire. Je me souviens avoir obtenu des auditions pour de gros films, tout de suite. Il existe un peu de ‘classisme’ dans l’attitude des directeurs de casting au Royaume- Uni, quand on n’a pas fait une grande école. L’ambiance est plus rigide, avec moins de place pour les outsiders.”
Du côté du cinéma d’auteur, c’est pourtant avec l’Anglaise Joanna Hogg qu’il a trouvé à s’épanouir dans le beau film The Souvenir Part II, aux côtés de Tilda Swinton et de sa fille Honor Swinton Byrne. Charlie Heaton se souvient d’un plateau orienté vers l’improvisation et en même temps très maîtrisé, comparant la cinéaste à une grande compositrice. “Parfois, sa caméra reste enclenchée pendant cinq minutes, ou même vingt minutes. C’est très libérateur. Il m’arrivait de me dire en arrivant le matin que les gens allaient enfin comprendre que je n’avais rien à faire là, mais j’en ressortais enthousiaste, je trouvais ça génial.”
Se demander encore s’il a toute sa place après une carrière pourtant déjà riche ? Voilà peut-être la touche de l’acteur, ce doute en contraste avec l’assurance qu’il dégage dans le jeu. “Je me considère toujours comme un jeune acteur, confirme-t-il. Même après une décennie, je suis en apprentissage et je ne me sens pas arrivé. On n’est jamais au bout de sa quête.”