Zendaya, une actrice en passe de devenir l'icône d'une génération
Dans Challengers, le nouveau film du réalisateur italien surdoué Luca Guadagnino, Zendaya se glisse dans la peau d’une ancienne championne de tennis qu’une blessure a mise sur le flanc. Devenue entraîneuse, elle se retrouve au centre d’un triangle amoureux, quand deux de ses anciens amants – du temps où elle était joueuse – s’affrontent dans un tournoi de seconde zone.
Au son de Maneater, la chanson de Nelly Furtado produite par Timbaland dans les années 2000, mais aussi de morceaux composés par Atticus Ross et Trent Reznor, le film évoque plutôt une épopée sensuelle qu’une fiction réaliste sur le sport. Un “Zendaya movie”... nouveau concept ? Car c’est ainsi, avec la personnalité la plus adulée de sa génération : elle ne disparaît jamais derrière les films, mais semble au contraire les façonner à son image, comme si sa seule présence suffisait à raconter quelque chose de l’époque.
L’aura de la native d’Oakland, en Californie, dépasse logiquement les contours des salles de cinéma pour toucher à toutes les cases de la pop culture, génération réseaux oblige. Voici une femme de 27 ans capable de faire déplacer les foules dans les salles obscures, mais également de susciter l’un des plus gros buzz de l’année sur Internet, comme au mois de février, lors de l’avant-première du film Dune, deuxième partie. à Londres, Zendaya est apparue dans une iconique tenue Mugler, de la collection automne-hiver 1995-1996 du créateur français disparu en 2022. Une pièce issue de la collection Cirque d’hiver,
aux contours robotiques.
En voyant Zendaya fouler le tapis rouge, on a pensé à la phrase de la philosophe Donna Haraway : “Je préfère être cyborg que déesse.” Cette dernière est issue de son livre culte Manifeste cyborg, pilier de la théorie féministe contemporaine. On ignore si Zendaya l’a eu un jour entre les mains, mais quelque chose dans son attitude ce soir-là exprimait cette idée. La tenue choisie par son styliste Law Roach avait beau la rendre d’un sexy irradiant, elle agissait aussi comme une armure, montrant sa capacité à impressionner par une forme de mystère, mais aussi son refus des codes classiques de la séduction – avec lesquels elle sait aussi jouer. Le message ? Zendaya n’a pas besoin du regard des hommes pour exister.
Star photographiée quasiment tous les jours, Zendaya n’en reste pas moins une énigme, que son parcours à la fois fulgurant et atypique rend un peu plus fascinante.” Olivier Joyard
Elle n’a probablement besoin de personne mis à part, peut-être, de ses 185 millions de followers sur Instagram, habitués à ses posts orientés autopromo, mode et beauté (elle multiplie les contrats avec des marques), qui, au fond, ne disent pas grand-chose sur la personne qu’elle est. Star photographiée quasiment tous les jours, Zendaya n’en reste pas moins une énigme, que son parcours à la fois fulgurant et atypique rend un peu plus fascinante.
Une actrice aux millions de fans également adulée par les plus grands réalisateurs
Il y a une décennie, la Californienne était loin de sortir du lot, même si son visage occupait les esprits de millions de jeunes personnes. Elle avait déjà un pied à Hollywood, héritière d’une tradition qui a fait de quelques enfants et adolescents des célébrités dans le créneau spécifique des fictions Disney : Britney Spears, Ryan Gosling, Lindsay Lohan, Justin Timberlake ou encore Miley Cyrus... Zendaya a emprunté le même chemin avec deux sitcoms dont peu de monde se souvient, Shake It Up (2010-2013) et Agent K.C. (2015-2018) – suivis de quelques albums –, tapant dans l’œil de producteurs de cinéma influents jusqu’à se glisser dans le blockbuster Spider-Man: Homecoming et ses suites à partir de 2017.
Autant de choix qui représentent la partie la plus normative de sa carrière, celle d’une Américaine aux rêves de gloire finalement classiques. Par ses origines – un père d’ascendance afro-américaine et une mère blanche –, Zendaya contribuait déjà à faire bouger les lignes. Son choix de passer le casting d’un blockbuster sans aucun maquillage a également produit son effet. Mais ce sont ses décisions prises alors qu’elle avait à peine plus de 20 ans qui l’ont rendue irrésistible. L’une d’elles, en particulier.
La révélation de la série Euphoria
Un jour de 2018, Zendaya reçoit le scénario d’une nouvelle série pour HBO (la chaîne câblée de The Wire et de Game of Thrones) créée par Sam Levinson. Son nom : Euphoria, adaptation de la série israélienne du même nom. Une histoire ado de plus ? Plutôt une déconstruction ultime et violente du genre, où les personnages touchent aux limites d’une jeunesse livrée à elle-même, sexe, drogue et malheur compris. Le choix de cette actrice pour incarner le rôle principal, celui de Rue Bennett, a d’abord suscité la surprise, avant de convaincre dès son apparition à l’écran d’une intensité impressionnante.
Tous les souvenirs qu’on avait d’elle précédemment pouvaient alors s’effacer, Zendaya commençait à exister dans les imaginaires avec cette figure d’ado en proie à des soucis d’addiction majeurs, mais aussi en pleine découverte de l’amour. Le couple qu’elle forme avec Jules, jeune femme trans interprétée par Hunter Schafer, marque alors les esprits. Ainsi, sans forcément mettre en avant des convictions politiques ou un désir d’incarner un personnage en dehors des clichés, Zendaya occupe un terrain révolutionnaire.
Et ne s’arrête pas en si bon chemin. Le cinquième épisode de la deuxième saison d’Euphoria, l’un des plus incroyables qu’il nous ait été donné de voir ces dernières années, montre Rue en pleine crise de manque, portée par un désir d’autodestruction qui la mène vers une errance tragique. Elle se fait mal, se relève. Se blesse à nouveau, blesse ses proches, se relève. Elle porte sa fragilité en bandoulière, mais semble aussi parfaitement indestructible. Le cyborg, toujours. Mais aussi le signe d’une actrice en pleine maturité, capable comme peu d’autres d’évoquer des sujets contemporains avec pertinence et sans obscénité.
En dehors des plateaux, dans une de ses rares incursions personnelles, Zendaya a parlé de son rapport à l’anxiété et de la manière dont elle prend soin de sa santé mentale. Elle a aussi raconté avoir échangé avec de multiples fans qui lui ont raconté leurs propres soucis et addictions après avoir vu Euphoria. Une star contemporaine, selon la manière dont Zendaya redéfinit ce statut, n’en dit pas plus sur elle-même que ses devancières, mais elle ne fait pas de cette distance un gouffre : elle reste mystérieuse mais étrangement approchable.
Actrice star de Dune, deuxième partie et de Challengers
Cette année, en plus de son rôle dans Challengers, Zendaya a de nouveau montré la qualité de ses choix en revenant dans la peau de Chani, une guerrière des sables à qui elle offre toute sa fougue dans Dune, deuxième partie de Denis Villeneuve. Le réalisateur canadien multiplie les plans serrés sur son visage fermé, parfois dur, comme s’il cherchait à buter sur l’opacité de ses intentions. Le jeu de Zendaya est souvent volontairement peu expressif, ce qui rend les moments où elle le devient particulièrement frappants. Le plan final de Dune, deuxième partie et de nombreux moments d’Euphoria en attestent. Ce n’est peut- être pas ce que le monde retient de Zendaya, mais c’est ce qui nous lie intimement à elle.
Le reste, c’est-à-dire sa relation avec l’acteur Tom Holland, son statut d’influenceuse ultime dans le domaine de la mode, ses activités philanthropiques déjà nombreuses, tout cela fait en quelque sorte partie du décor. Zendaya n’a pas le pouvoir que possède Taylor Swift, l’autre grande star américaine du moment. On ne parle pas encore d’elle pour influer sur la prochaine élection présidentielle au pays de l’Oncle Sam, mais dans la durée, elle pourrait laisser une trace plus importante, pour avoir transformé en profondeur les attentes et incarné un modèle hollywoodien plus vulnérable et délicat.
Challengers (2024) de Luca Guadagnino avec Zendaya, Josh O'Connor et Mike Faist, au cinéma le 24 avril 2024.