Elephant Man – Version restaurée 4K - Bande-Annonce officielle
1. Les monstres
Dès son premier long-métrage sorti en 1977, Eraserhead, David Lynch met en scène la naissance d’un être monstrueux. Une figure qui hante une majeure partie de sa filmographie, de son deuxième film, The Elephant Man, à celle de l’homme sans-abri qui apparaît furtivement dans Mulholland Drive, le temps de traumatiser plusieurs générations de spectateurs. Pourtant, le monstre chez David Lynch, n’est jamais associé au mal ou à la destruction. Il incarne plutôt le levier d’une réflexion plus profonde sur l’altérité. L’autre, c’est l’enfant non désiré dans Eraserhead, que son père regarde comme un étranger. L’autre, c’est ce lui qui met à jour la monstruosité de chacun face à lui, dans The Elephant Man. Et face à lui se trouve avant tout le spectateur.
2. La face cachée de l’Amérique
David Lynch a beaucoup filmé l’Amérique, des palmiers fantasmagoriques de Hollywood aux villes industrielles désincarnées dans Eraserhead. Mais ce que David Lynch aime surtout montrer, c’est une Amérique méconnue du grand public. Celle des grandes routes qui traversent le désert en 1990 avec Sailor & Lula – qui lui vaut une Palme d’Or au festival de Cannes. Celle aussi, en Californie, qui se cache derrière les paillettes et la végétation luxuriante. De Mulholland Drive à Lost Highway, David Lynch présente un certain Los Angeles, loin des cartes postales. Poisseux et sordide, la ville devient fantastique et effrayante : tout peut survenir dans l’ombre des palmiers. À ce titre, le réalisateur déclarait, en 2004, aux Cahiers du Cinéma : “Mon enfance, c’était des maisons élégantes, des rues bordées d’arbres, un laitier qui passe, des cabanes construites dans le jardin, des moteurs d’avions au loin, un ciel bleu, des clôtures en bois, des cerisiers. L’Amérique moyenne telle qu’on l’imagine. Mais sur le cerisier, il y a de la sève qui suinte. Du noir, du jaune, et des millions de fourmis rouges qui grouillent dessus. J’ai découvert que quand on regarde de près ce monde merveilleux, il y a toujours des fourmis rouges en dessous. Et, comme j’ai grandi dans ce monde parfait, tout le reste entrait en contraste”.
Isabella Rossellini: Blue Velvet / Blue Star / Blue Velvet (reprise)
3. L’univers du spectacle
La dualité entre les paillettes et l’horreur, centrale dans Mulholland Drive, revient également tout au long de l’oeuvre de David Lynch. La fascination latente du cinéaste pour Hollywood et ses vices se reflète dans la plupart de ses références. Ainsi Mulholland Drive, et la manière dont ce titre est montré, renvoie directement à Sunset Boulevard, film noir culte de Billy Wilder. Pourtant, au coin d’une rue, sur un poteau, on peut lire – avec des yeux attentifs et vifs – “Hollywood is Hell”. Paradis et enfer à la fois, l’univers du show-business et du spectacle est l’une des constantes les plus régulières de l’univers de Lynch. The Elephant Man mettait déjà en scène le monde des foires, où s’exposaient les freaks, paradis pour les voyeurs et les amateurs de bizarreries, enfer pour les hommes exploités, tel que John Merrick.
4. Les rêves et les cauchemars
En 2018, le cinéaste de l’étrange publie ses mémoires intitulées L’Espace du rêve. Un titre peu surprenant, quand on connaît l’univers de David Lynch, et son obsession pour les rêves éveillés, les cauchemars devenus réalité ou encore les distorsions de la perception. Pour ceux qui ont vu Lost Highway, Twin Peaks, ou bien sûr, Mulholland Drive, la frontière entre ce qui existe et ce qui est fantasmé n’est jamais simple à délimiter – et c’est là tout le plaisir du réalisateur. “Où finit le rêve et où commence la réalité ? D’ailleurs, que signifient ces mots dans un film de David Lynch ?” écrivait Jürgen Müller dans Les Films des années 2000, paru aux éditions Taschen. Le réalisateur américain a reconnu avoir eu le déclic en imaginant son court-métrage The Alphabet, réalisé en 1968. L’idée du film lui vient de la vision de sa nièce, endormie, scandant l’alphabet dans un sommeil agité.
David Lynch & Lykke Li - I'm Waiting Here
5. La conception sonore
Le générique de The Elephant Man, ressorti en salles ce 22 juin, fait remarquer une singularité aux spectateurs qui restent vissés au fond de leur siège jusqu’à ce que les lumières se rallument. David Lynch est crédité au “sound design”, que l’on peut traduire par la conception sonore. En réalité, il n’est pas rare de remarquer le nom du réalisateur crédité sur ses propres films à des postes très différents, parfois insolites, comme les bruitages, le mixage son, les effets visuels, le montage ou encore le décor. Mais la musique, ou même encore plus loin, le son, demeure l’une des grandes obsessions du cinéaste. Artiste complet, l’Américain a réalisé plusieurs album dont le dernier, The Big Dream, date de 2013, et compte même une collaboration avec Lykke Li. Une passion qui remonte au moins à l’époque de ses années d’étudiant, comme il le confie lui-même : “J’étais dans l’atelier de l’Académie des Beaux-Arts de Pennsylvanie en train de travailler sur le tableau d’un jardin la nuit. Je regardais la peinture, le vent entre et je voyais les plantes qui commençaient à bouger. J’ai pensé que c’était intéressant, une peinture qui bouge grâce au son”.
The Elephant Man, actuellement en salle.