Partenaire officiel de l’Académie des César, la maison Chanel entretient une étroite relation avec le cinéma, et ce depuis ses débuts. Si Karl Lagerfeld lui-même a créé des collections spéciales que l’on peut voir dans les films de Woody Allen, Francis Ford Coppola, Pedro Almodovar, Franco Zeffirelli ou encore Olivier Assayas, c’est Gabrielle Chanel la première qui s’est intéressée au septième art. “C’est par le cinéma que peut être imposée la mode aujourd’hui” affirmait-elle dans La revue du cinéma en 1931. Au cours de sa carrière, elle habille les actrices les plus en vogue du cinéma français, et fait même quelques incursions à Hollywood, forgeant ainsi l’image particulièrement photogénique de sa maison de couture. Avec elle, le vêtement, sa coupe et ses matières deviennent des éléments cinématographiques essentiels à la composition d’un plan.
1. Tonight or Never : le style à la française rebiffe Hollywood
Dès 1930, le producteur des United Artists Samuel Goldwyn propose à Gabrielle Chanel de venir habiller ses actrices. Ce projet inédit est l’occasion pour le magnat d’Hollywood de faire de ses stars des icônes de la mode. Sa collaboration avec Mademoiselle prend forme avec Tonight or Never (1931), où l’actrice Gloria Swanson porte des robes Chanel spécialement conçues pour le film. Si la créatrice française prend alors conscience du lien primordial qui unie couture et photogénie, les critiques n’apprécient pas son style épuré, le jugeant trop simple pour les comédiennes ardentes d’Hollywood. Chanel quitte alors le sol américain, mais sa carrière au cinéma est lancée.
2. Le Quai des Brumes: Pas besoin de robe pour faire du cinéma!
De retour en France, trois projets d’envergure l’attendent : elle doit habiller le personnage féminin du film de Marcel Carné, mais aussi collaborer avec Jean Renoir pour La Marseillaise (1938), La Bête Humaine (1938) et La Règle du Jeu (1939). Alors que Michèle Morgan fait appel à la créatrice pour Le Quai des Brumes, Gabrielle Chanel déclare : “Un film comme celui-là n’a pas besoin de robe ; un imperméable, un béret, voilà tout !”. La démarche féline de l’actrice, qui joue ici aux côtés de Jean Gabin, les mains dans les poches, est facilitée par la souplesse de l’imperméable, son regard rehaussé par le béret qui le surplombe. L’élégance dite masculine de Coco Chanel trouve ici sa parfaite incarnation, entre présence mystérieuse et pouvoir de séduction.
3. L'Ascenseur pour l'échafaud ou les débuts de la Nouvelle Vague
Ascenseur pour l’échafaud est la deuxième collaboration entre Louis Malle, Gabrielle Chanel et Jeanne Moreau. Après avoir réalisé Les Amants (1958), le trio signe un long-métrage aujourd’hui considéré comme un pionnier de la Nouvelle Vague. Le tailleur en tweed caractéristique de la maison Chanel, symbole de modernité, de mouvement et de libération de la femme, semble convenir parfaitement à la nouvelle esthétique du cinéma français. Sur les notes languissantes de Miles Davis –qui signe la bande-originale du film–, Jeanne Moreau défile dans les rues de Paris, sans nouvelle de son amant. En plus de marquer l’histoire du cinéma, le film scelle notamment l’amitié entre Gabrielle Chanel et l’actrice, dont on se rappelle encore aujourd’hui l’élégance, à l’écran comme à la ville.
4. L'Année dernière à Marienbad : Une nouvelle conception du costume de cinéma
Pour son troisième long-métrage, Alain Resnais a demandé à la créatrice française de confectionner une garde robe évoquant à la fois l’esprit des stars de cinéma et les années 1920. Les robes portées par Delphine Seyrig dans le film sont fluides et délicates, amples, rappelant l’ivresse de l’époque d’après-guerre. Pour la première fois au cinéma, Gabrielle Chanel ne crée pas de costumes spécifiques pour le rôle, mais elle fait porter des pièces hautes coutures de ses propres collections. Une nouvelle conception du costume de cinéma est née. A l’avenir, le septième art devient le lieu privilégié d’exposition des plus grandes maisons de mode, et les comédiens arborent des pièces maîtresses de collections déjà existantes.
5. Boccacio 70 ou quand le vêtement symbolise l'émancipation
Constitué de plusieurs petites histoires réalisées par quatre cinéastes différents, Boccaccio 70 est un film hybride qui dresse une satire de la société italienne des années 1960. La fable de Visconti “Il Lavoro” (The Job), met en scène Romy Schneider, entièrement habillée par Gabrielle Chanel. Comme avec Jeanne Moreau, Anouk Aimée, Anna Karina et Delphine Seyrig, la créatrice se lie d’amitié avec la jeune comédienne et profite du film pour réinventer complètement son style. En instillant sacs, bijoux de perles, souliers et parfum n°5, l’histoire respire l’esprit libre de la maison française. Alors que le personnage incarné par Romy Schneider se défait petit à petit de l’emprise de son mari et se fraye un chemin vers une plus grande liberté de mouvement, il revêt les vêtements souples et fluides de Chanel. Les costumes portés à l’écran se font alors le miroir du cheminement intérieur de cette femme et viennent malicieusement briser l'image innocente de celle que l'on connaissait alors comme Sissi l'impératrice. En mélangeant style casual et élégance chic, Gabrielle Chanel a su donner de l’ampleur au personnage, scellant ainsi à jamais la relation passionnelle entretenue par la mode et le cinéma.