Celles et ceux qui ont vu Euphoria, la série choc de la chaîne HBO sur la jeunesse débridée d’une petite ville américaine, se souviennent du surgissement de Hunter Schafer. Dans la peau de Jules, une adolescente en pleine crise identitaire à la recherche de sa sexualité, l’actrice jouait pour la première fois devant une caméra. Et quelle première fois ! Elle dégageait une forme de fragilité évidente, mais aussi un mystère plus complexe : une forme d’affirmation de soi cachée derrière les doutes de son âge. L’émotion qui nous a liés à elle n’était pas près de s’éteindre. Presque quatre ans après la diffusion du pilote de la série de Sam Levinson, la jeune star, désormais très convoitée, voit sa carrière décoller. En plus de tourner la nouvelle saison d’Euphoria (qui devrait arriver à l’automne), 2023 lui offre une exposition inédite. Elle sera dans le blockbuster Hunger Games – La Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur auprès de Viola Davis et de Peter Dinklage, mais aussi dans le film d’horreur indépendant Cuckoo, réalisé par Tilman Singer. “C’est exactement à cette place que j’ai envie d’être, explique-t-elle. J’aime ce sentiment très spécial de pouvoir partager un travail dont je suis fière. Cette opportunité demande du temps et des efforts de longue haleine, et j’ai beaucoup de chance...”
Sa voix trahit une certaine timidité. Hunter Schafer choisit délicatement ses mots, sans emphase, avec la précaution de celles qui en connaissent le pouvoir. Et peut-être, aussi, parce que sa première expression artistique n’avait que peu de rapport avec le langage. Car la native de Trenton, dans le New Jersey, a d’abord projeté son imaginaire sur des feuilles de papier. “Dans ma petite enfance, mes parents me mettaient devant une table avec du papier et des crayons pour m’occuper, plutôt que de me laisser devant la télé. Cela a été l’une des premières occasions que j’ai eues de dessiner. Depuis, ce besoin ne m’a plus jamais quittée.” Son père, amateur de comics, lui fait découvrir cette culture majeure aux États-Unis. “Il y en avait toujours à la maison. Ils m’ont énormément inspirée, et j’ai longtemps désiré devenir illustratrice.”
Dès le lycée, encouragée par des camarades et des professeurs, Hunter Schafer comprend qu’une destinée artistique lui ira mieux que tout, et collabore avec l’une des publications les plus intéressantes de son temps, le site Rookie Mag, à la frontière de la mode et du féminisme. “J’ai commencé à dessiner pour ce média, et même si cela me rapportait peu, le simple fait d’être rémunérée pour publier des choses que j’avais faites toute ma vie simplement pour mon plaisir personnel m’a bouleversée. Je me suis dit que j’en étais capable, que je pouvais y arriver, et tout est devenu clair en moi : j’avais fait le bon choix. Même si j’ai finalement changé de voie pour travailler dans un champ artistique complètement différent, j’ai conservé cette impression.” Ses dessins continuent d’être visibles, notamment dans certains épisodes d’Euphoria et sur les réseaux sociaux, mais c’est en effet la mode qui, la première, s’est intéressée à Hunter Schafer.
Diplômée en arts visuels, elle prend alors la décision de ne pas poursuivre les études qu’elle envisageait de faire au Central Saint Martins College à Londres, car elle réalise sa première percée sur les podiums, devant les photographes, en tant que mannequin. Défilés et shootings s’enchaînent. Elle se rappelle, aujourd’hui encore, son admiration particulière pour l’iconoclaste créateur Shayne Oliver (Hood By Air) dont elle a croisé le chemin lors de la résidence de ce dernier chez Helmut Lang : “J’avais lu pas mal de choses sur lui au fil des années, et, d’un coup, je me suis retrouvée dans la même pièce que lui, complètement surexcitée, à essayer toutes les fringues, à tout toucher. Un déclic s’est produit en moi. C’était mon dieu, mais c’était aussi une personne. La mode a été la première industrie que j’ai infiltrée pour en comprendre le fonctionnement, et je pense y avoir appris une grande leçon sur la complexité du travail. Ce qui est beau ne naît pas de manière simple.”
“La mode a été la première industrie que j’ai infiltrée pour en comprendre le fonctionnement.” Hunter Schafer
Hunter Schafer, héroïne d'Euphoria et actrice militante
En parallèle, Hunter Schafer a développé une activité militante dont elle parle moins aujourd’hui mais qui l’a occupée dès le lycée, lorsqu’elle montait au créneau contre une loi de l’État de Caroline du Nord qui prévoyait d’interdire aux personnes trans l’accès des toilettes correspondant au genre qu’elles ont adopté. En août 2020, elle postait un selfie sur son compte Instagram (qui compte près de 7 millions d’abonnés) avec un tee-shirt “Support Trans Futures” et a également évoqué le problème des troubles mentaux survenus chez de nombreuses personnes durant les confinements. Mais désormais, c’est à travers son travail qu’elle exprime sa sensibilité. Elle n’admire plus seulement des artistes, à présent c’est elle qui est admirée et qui constitue un modèle. L’emblématique personnage de Jules dans Euphoria nous bouleverse sans doute parce qu’il est né d’une démarche sincère et réfléchie. “Quand j’ai eu le rôle, j’étais prête à mettre en pause ma carrière de mannequin pour retourner faire des études, raconte-t-elle. L’audition, la première de ma vie, a été suivie de six autres. Ma relation avec Jules a commencé pendant ce processus de casting. Quelques semaines plus tard, nous filmions le pilote et j’étais bouleversée.”
Âgée aujourd’hui de 24 ans, Hunter Schafer en avait 19 lorsqu’elle a commencé à travailler avec le créateur d’Euphoria, Sam Levinson. La particularité de la série étant de rechercher une certaine authenticité, il n’était pas question d’imposer un scénario ou une approche du personnage, une adolescente transgenre, sans consulter celle qui allait l’incarner. “J’avais à l’époque seulement deux ans de plus que Jules à l’écran. J’étais encore une teenager et je pouvais apporter cet aspect au rôle. Avec Sam Levinson, on a ‘brainstormé’ et essayé de faire décoller Jules. Nous nous sommes assis plusieurs jours dans un café et nous avons parlé. Les idées fusaient. Sam travaille de façon collaborative. C’est complètement fait main. Les histoires et les vies de tous les membres du casting ont influé sur leurs personnages.” Schafer se souvient notamment d’une séquence du septième épisode de la première saison, où Jules sort de boîte de nuit et discute avec des amis de son rapport à la féminité. “Ses commentaires viennent directement de mon expérience et de conversations que Sam et moi avions eues. Au bout du compte, c’est une infusion d’idées et de souvenirs qui constitue cette scène. J’adore ce moment qui tient du rêve et, d’un certain point de vue, de la philosophie à propos de son humanité et de son genre.”
Hunter Schafer, égérie du parfum Angel Elixir de Mugler
Celle qui ne se voyait pas comme une actrice est pourtant devenue l’une des figures les plus en vue de sa génération. “J’essaie d’être à la hauteur”, commente l’intéressée, qui a aussi été choisie par Mugler pour incarner le parfum Angel Elixir. Elle raconte avec enthousiasme son expérience, comme un apprentissage dans la lignée de ses autres activités. “Pour la première fois de ma vie, j’ai pris le temps de comprendre la beauté, les sensations, tout ce que peut déclencher en vous un parfum. Ma première interaction a été magnétique.” Quand on lui demande ce que provoque en elle le parfum, elle évoque sa propre expérience et, d’une certaine manière, sa quête personnelle. “Tout ce que j’aime dans ma vie possède une forme de dualité. C’est très important pour moi. Et dans ce parfum il y a un côté doux, mais ce n’est pas la seule histoire qu’il raconte. On trouve aussi des notes boisées et plus fortes. Tout cela se percute et se mélange pour créer cette fusion qui me fait me sentir douce moi-même, mais aussi sexy et dans un certain état d’élévation. C’est ce que je recherche en permanence dans la vie.”