À 33 ans, Jim Jarmusch tournait Stranger Than Paradise, Scarlett Johansson avait déjà électrisé la caméra de Woody Allen dans Vicky Christina Barcelona, Michael Jordan avait furtivement stoppé le basket et Jésus mourait. C'est aussi à cet âge-là – et après une longue absence sur les écrans consacrée à la pratique de la sophrologie – qu'Arnaud Valois a marqué le cinéma français avec son rôle de jeune militant d’Act Up Paris, amoureux transi de Nahuel Pérez Biscayart, un malade condamné, prêt à lutter pour cette cause jusqu’à son dernier souffle. Avec ses traits empruntés au David de Michel-Ange, son immense madone tatouée sur le bras droit et son corps sculpté par le sport, l'acteur révélé à 20 ans par Nicole Garcia dans Selon Charlie et réapparu sous la direction de Robin Campillo dix ans plus tard, semble avoir mené plusieurs existences. C'est sans doute le secret pour être un bon comédien et exister longtemps au cinéma, il faut vivre sa vie, “se prêter aux autres et se donner à soi-même”, comme l'a dit Godard. Entre deux séances de méditation, rencontre en FaceTime avec un acteur contraint de déserter les plateaux.
Numéro: Je pensais vous trouver en train d’apprendre un monologue interminable ou de jouer avec Ivan, votre chien…
Arnaud Valois: Je suis au soleil, à Nice. Ivan est resté à Paris avec son deuxième papa, alors je cours, je médite, je regarde des séries… Je prends du temps pour moi. Pour ce qui est du monologue, c’est marrant car les gens de ma famille sont toujours impressionnés par la longueur des textes que je dois apprendre, mais j’ai pas encore joué des personnages ultra bavards, donc je n’ai pas rencontré d’immense difficulté ! [Rires] En fait, le plus dur pour un acteur c’est de se demander si l’on a tout donné lors d’une prise, car une fois que la scène est bouclée, on ne peut plus revenir dessus.
À défaut d’apprendre des textes, vous en écrivez?
J’ai écrit un court-métrage avec Suzanne Lindon, qui s’intitule L’Autre moi. C’est l’histoire d’un lycéen qui apprend à quelques semaines du bac qu’il doit changer de nom de famille suite à une décision administrative de son pays d’origine, l’Algérie. En partant d’un fait divers, on a voulu s’intéresser à ce qui nous constitue en tant qu’être humains, ce qui fait de nous ce qu’on est: notre famille, nos origines…
À vos débuts dans le cinéma, vous avez tourné sous la direction de Nicole Garcia, Josiane Balasko et André Téchiné et monté les marches de Cannes, à seulement 20 ans. Vous n’aviez pas l’impression d’être bloqué dans un trip génial sous champis?
[Rires] À l’époque, seuls ces réalisateurs voulaient de moi ! Quand j’allais sur des castings de films beaucoup plus mainstream – des séries télévisées ou des films de France 3 – on me remerciait toujours. À 20 ans, c’est sûr, je ne mesurais pas ma chance de commencer avec Nicole Garcia, avec un rôle important et un casting de stars : Benoît Magimel, Jean-Pierre Bacri, Benoit Poelvoorde et Vincent Lindon qui sont hyper à l’aise sur le tapis rouge, qui font des blagues…Je me disais que ma carrière était lancée, et j’ai découvert que ce n’était pas si simple. Les années ont passé, je ne suis plus apparu au cinéma et il a fallu redevenir intéressant pour des metteurs en scène. C’est arrivé parce que j’ai arrêté de me regarder le nombril ! Vivre dans une bulle, s’auto-célébrer et se tourner vers soi-même sont les travers principaux d’un acteur. Pour résister au métier de comédien, il faut être très sensible et pouvoir interpréter un personnage mais en même temps savoir se créer un armure, c’est paradoxal.
Montage amateur d'extraits de scènes d'Arnaud Valois
Fin mars, vous deviez être au festival Séries Mania pour présenter une série d’Arnaud Malherbe, Moloch, dont vous partagez l’affiche avec Marine Vacht et Olivier Gourmet. Ce genre de rôle est-il plus envahissant qu’un rôle de cinéma?
Cette mini-série en six épisodes est mon premier rôle à la télévision. Jouer dans une série avec beaucoup d’épisodes et de saisons doit être quelque chose de plus inclusif et qui prend beaucoup plus d’espace pour un acteur. Là, on tournait en Belgique, je faisais des allers-retours et c’était présent dans ma vie mais pas plus qu’un long-métrage. Un épisode de 52 minutes nécessite dix jours de tournage, donc le rythme est très rapide, ce qui n’allait pas pour me déplaire.
Vous avez aussi tourné dans le premier film de Nicolas Maury, Garçon Chiffon, qui doit être en salles d’ici la fin de l’année…
J’ai envoyé un message à Nicolas après avoir regardé la dernière saison de Dix pour cent. On s’est alors rencontrés et il m’a confié préparer son premier long-métrage dans lequel il y avait un rôle pour moi. J’ai lu le scénario et je l’ai trouvé très fin, drôle et intelligent, à l’image de Nicolas qui interprète le personnage principal. Il a choisi Laure Calamy pour jouer une metteur en scène, Nathalie Baye est sa mère et je suis son compagnon. Son regard, son écoute, ses énergies positives… C’était un rêve de travailler avec lui !
J’ai revu 120 battements par minutes avant de faire cette interview et je me suis demandé si vous aviez l’habitude de revoir vos films.
J’ai du mal avec ça. Peut-être que je devrais le faire, pour corriger certains aspects de mon jeu mais quand je tourne, je ne vais jamais voir l’écran de contrôle pour visionner la prise, si je le faisais, je sortirais du personnage et du mood de la scène. Je n’ai pas vu 120 BPM depuis le festival de Lama en Corse en 2017. Quant à Mon bébé, je l’ai vu une fois en projection, c’est tout.
Parlons de Mon bébé de Lisa Azuelos, c’est une erreur de parcours?
Je suis très fan du cinéma de Lisa Azuelos ! J’ai adoré Comme t’y es belle et Tout ce qui brille, [qu’elle a produit] alors quand elle est venue vers moi et qu’elle m’a dit que Sandrine Kiberlain jouerait avec moi, j’ai tout de suite dit “oui”. Lisa est réalisatrice certes, mais c’est aussi une maman, avec elle, tout le monde est considéré, de l’assistant plateau à la grosse star. En revanche, c’est vrai que je suis plus habitué au cinéma d’auteur. Des comédies graveleuse, on m’en a proposé, mais je n’y arrive pas…
Arnaud Valois aux César 2020
Sandrine Kiberlain était la présidente des César cette année. Vous étiez dans la salle et avez même remis le prix du meilleur montage. Comment avez vous vécu la cérémonie, et le départ d’Adèle Haenel, votre camarade dans 120 BPM?
Ce soir là, je suis monté sur scène et j’ai joué un sketch écrit la veille avec Melha Bedia et Florence Foresti. J’étais impressionné car le public parait très loin, on n’étend rien, j’avais l’impression de faire ce numéro dans le vide. Melha, qui est humoriste et a l’habitude de faire rire le public, était très déstabilisée je crois…
Je vous ai quand même vu manger des petits fours au Fouquet’s après la cérémonie.
C’est là bas que je me suis rendu compte qu’Adèle Haenel était partie ! Sur le moment, je ne me suis pas aperçu que la tension était si forte et j’ai compris au Fouquet’s que la soirée que j’ai vécue était bien différente de celle qui a eu lieu. Heureusement, je ne vais pas aux César tous les ans. Quand on est comédien, on a peut-être un grand film tous les 3 ou 4 ans, c’était le cas pour 120 BPM.
Sur le tournage, vous sentiez que le film allait faire autant de bruit?
120 BPM a signé mon retour au cinéma. Et quel retour ! J’incarnais l’un des rôles principaux dans une histoire qui me plaisait et entouré d’une équipe merveilleuse. Même s’il y avait des scènes difficiles à mettre dans la boîte, tout s’est très bien passé. Je ne sais pas si vous êtes spirituelle, mais j’avais l’impression pendant le tournage que des forces tiraient le projet vers le haut ou qu’il y avait un alignement de planètes à ce moment là. Je me disais que c’était un film d’auteur sur la communauté gay qui meurt du sida dans les années 90 et je ne voyais pas en quoi le film pouvait rencontrer les spectateurs de cette façon, mais quand il y a de la sincérité dans un film, le public est touché.
L’Autre moi, d’Arnaud Valois et Suzanne Lindon, sortie prochainement.
Moloch (2020), une série d’Arnaud Malherbe, bientôt sur Arte.
Garçon Chiffon (2020), de Nicolas Maury, bientôt en salles.
Spectacle musical Le vilain petit canard, mis en scène par Sandra Gaudin, musique d'Etienne Daho. Les 21 et 22 octobre à la Philharmonie de Paris et en tournée.
Bande-annonce de “120 battements par minute” (2017)