Toute la Nouvelle Vague continue d'exister à la Cinémathèque. Après Éric Rohmer en 2018, Jean-Luc Godard en 2019, c’est au tour de Jacques Rivette de bénéficier d’une rétrospective à travers la France. La Belle Noiseuse, Out, Céline et Julie vont en bateau... Les chefs d'œuvre confidentiels de cet ancien rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma sont enfin mis à l’honneur jusqu’au 13 février au musée du cinéma et à travers la France. Pendant toute sa vie, Jacques Rivette s’est entouré d’une bande d’actrices fétiches. Emmanuelle Béart, Sandrine Bonnaire, Juliet Berto… C’est l’une d’entre elle, Jeanne Balibar – récompensée d’un César en 2018 pour son interprétation de Barbara dans le biopic de Mathieu Amalric – qui raconte ses collaborations avec ce cinéaste de génie, décédé en 2016.
Numéro : Comment avez-vous découvert l’œuvre de Jacques Rivette ?
Jeanne Balibar : Je crois que c’est le Pont du Nord parce que j’étais dingue de Pascale Ogier. C’est quelle année le Pont du Nord ? 1981. Je devais avoir treize, quatorze ans. J’avais découvert Pascale Ogier dans Les Nuits de la pleine lune d’Eric Rohmer. J’ai adoré, adoré, adoré… Tout, tout, tout. J’ai tout adoré. La motocyclette, les personnages… C’était un monde qui me subjuguait entièrement.
Comment s’est déroulée votre première rencontre ?
Nous avons bu un jus de tomate à l’hôtel Lutetia. Il avait perdu Emmanuelle Béart qui ne pouvait plus faire le film. Plus tard, on m’a dit que quand une actrice ne pouvait pas pour un rôle, il voulait exactement le contraire. Manifestement, j’étais le contraire d’Emmanuelle… On a parlé des films qu’on avait vu. Il voyait plusieurs films par semaine et moi aussi et on a parlé de ça et on a communié dans l’amour de Robin Wright !
Vous avez joué à deux reprises chez Jacques Rivette, dans Va Savoir (2000) et Ne touchez pas à la hache (2007). Qu’est-ce que ces deux rôles ont apporté à votre carrière personnelle comme à votre cheminement artistique ?
Ils m’ont apporté de travailler avec un génie. C’est un point de référence pour moi ces expériences avec Jacques Rivette. Je mesure toutes mes expériences à l’aune de mon travail avec lui.
Jacques Rivette est très souvent comparé à toute la bande de la Nouvelle Vague composée d’Éric Rohmer, François Truffaut, Jean-Luc Godard. En quoi se distingue t-il ?
Le goût de l’expérimentation ! Non, je ne sais pas du tout pourquoi je vous dis ça. Parce que Godard, c’est très expérimental tout de même… Peut-être que Godard est plus expérimental et Rivette plus expérimentateur.
Qu'en reste-t-il aujourd’hui ?
Quelque chose d’incroyablement… tendre. C’est un cinéaste très très tendre et en même temps cruel. Il avait une sacrée ironie. Dans ses films, les gens sont livrés à la dureté de leurs illusions.
Céline et Julie vont en bateau, Jeanne La Pucelle, Duelle… Les films de Jacques Rivette sont souvent construits autour de personnes féminins marquants. Jacques Rivette pourrait-il être considéré aujourd’hui comme un réalisateur féministe ?
Hum… Je ne sais pas. En tout cas c’est un cinéaste qui est du côté des femmes. Si on dit, comme il y a le côté de Guermantes et le côté de chez Swann, il y a le côté des hommes et le côté des femmes, on pourrait dire qu’il est du côté des femmes comme il est du côté de Guermantes.
Vous avez pris position récemment sur le #MeToo Théatre en confiant certains faits dont vous avez été victime en tant que jeune comédienne… De ce point de vue là, comment c’était de faire ses premiers pas aux côtés de Jacques Rivette ?
[Elle lance un regard noir]. Non non non, ce n’était pas du tout mon premier rôle important. Il y avait déjà eu Comment je me suis disputé d’Arnaud Desplechin, non j’étais déjà rodée.
Je me souviens justement de vos premiers rôles où vous jouiez des universitaires, des professeurs. Vous êtes Normalienne et vous êtes d’ailleurs passé à côté d’une carrière d’historienne. Pour la première fois, vous interprétiez une comédienne. Vous sentiez-vous proche de ce personnage ?
On ne se définit pas par la place qu’on occupe dans la société. L’endroit, la profession, ce n’est pas ce qui définit quelqu’un. Avec les rôles, on ne sait plus. On ne sait plus si on ressemblait au rôle ou parce qu’on les a joué, on s’est mis à leur ressembler.
Vous vous êtes engagée du côté des Gilets Jaunes en signant la pétition Nous ne sommes pas dupes publiée dans Libération. Avec votre récent film Merveilles à Montfermeil, vous réalisez une satire sociale et politique dans les banlieues. Qu’est-ce que ça signifie redécouvrir Jacques Rivette de nos jours ?
Disons que ce sont des films qui respirent. Je pense qu’on a bien besoin de respirer en ce moment. Actuellement, il y a beaucoup de choses qui se referment, des tensions, de la dureté sociale… On a besoin d’air, de respiration, de jeu, de mouvement. Et tout Rivette ce n’est que ça.
Rétrospective Jacques Rivette, jusqu'au 13 février, à La Cinémathèque française, Paris 12e.