Numéro : Dans votre dernier film, La Vérité,du réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda, vous partagez l’affiche avec Catherine Deneuve... De quoi est-il question ?
Juliette Binoche : Ma mère est une actrice [Catherine Deneuve] et je viens lui rendre visite avec mon mari [Ethan Hawke] et notre fille. J’y revois également mon père, l’assistant de ma mère. À l’occasion de la publication des Mémoires de ma mère, je viens la retrouver et nous nous confrontons au passé, à la “vérité” du passé. Nous avons tourné dans une maison privée, dans le XIVe arrondissement. L’histoire se passe essentiellement là, à Paris, à côté d’un beau jardin et du métro qui passe pas loin.
Elle est sympa, Catherine Deneuve ?
Elle est elle-même, avec ce désir de légèreté qui ne l’a pas quittée depuis sa jeunesse, semble-t-il. Elle aime le cinéma et se débarrasse de ce qui pourrait alourdir ses émotions. Elle aime rire, chanter, manger, s’informer. Elle se lie aux gens, mais c’est elle qui mène la barque. Quand elle aime, elle ne s’en cache pas, et l’inverse est vrai aussi. Elle a su également transformer ses fragilités en force et en distance. Je lui suis très attachée. La Vérité, c’est un film en son honneur, et j’ai pris soin d’elle, comme si elle était réellement ma mère.
Vous avez vous-même un lien très personnel avec Paris, je crois, puisque vous y êtes née. Gardez-vous des souvenirs marquants du temps de votre enfance ?
Oui, étonnamment, je me souviens des travaux du trou des Halles. Du bruit, de l’attente, avant que ce mystérieux trou ne soit totalement transformé en un lieu de consommation sur plusieurs étages. Mon père travaillait dans un café- théâtre, La Mûrisserie de Bananes, à côté.
“Je crois que ce que l’on pense et dit finit par advenir.”
Cette ville semble vous porter chance depuis vos débuts... avez-vous gardé en tête des souvenirs précis de vos tournages ici ?
Les Amants du Pont-Neuf reste le film pour lequel j’ai passé le plus de temps dans cette ville, la nuit en particulier. Pendant la préparation, je vivais dans la rue, notamment aux Halles. J’ai fait du ski nautique sur la Seine en hiver, les feux d’artifice et les bateaux restent pour moi des souvenirs inoubliables ! La lumière le long de la Seine est à la fois dramatique et joyeuse. Mais ce que j’aime le plus à Paris, je crois, ce sont mes souvenirs. Pour moi, chaque endroit a une histoire qui correspond à une partie de ma vie. Retrouver Paris après un voyage, c’est retrouver une partie de soi et d’un rêve.
Dans quel quartier avez-vous grandi ?
En réalité, je ne suis venue vivre à Paris qu’à partir de mes 15 ans, quand j’étais au lycée, mais j’y allais déjà auparavant pour assister à des expositions ou à des concerts. Cette ville m’impressionnait. C’est un lieu que j’ai toujours trouvé à la fois excitant et fascinant, surtout en raison de ses opportunités artistiques. Le premier endroit où j’ai habité à Paris est le Xe arrondissement. Nous vivions, ma sœur et moi, au presbytère de l’église Saint-Laurent, car ma grand-mère y était cuisinière. Ma chambre était au rez-de-chaussée de la rue du Faubourg-Saint-Martin. Avec ma sœur, nous étions seules, heureuses d’être libres, mais confrontées à une réalité dure et épuisante. C’était une période difficile, il y avait beaucoup de bruit et j’étais terrorisée par les souris. Je crois que cela m’a aidée à comprendre qu’il fallait vite que je me construise. J’ai passé le bac pour m’en débarrasser et pour faire honneur à ma mère qui payait mes études. Mais j’avais surtout, heureusement, la passion du théâtre et de la peinture.
Vous qui êtes sensible à l’environnement et qui avez participé à la grande marche pour le climat, la vie a-t-elle vraiment beaucoup changé depuis cette époque ?
Le speed ambiant n’a pas trop changé. Même si les râleurs et les énervés du volant sont toujours au rendez-vous, il y a maintenant une prise de conscience plus importante du changement climatique, et les vélos font leur apparition, enfin ! J’espère qu’un jour il y aura plus de végétaux sur les trottoirs et davantage d’espaces verts. Mais la ville est en transformation permanente, c’est extrêmement difficile d’imaginer quelle tête elle aura au terme de ces mutations.
Anne Hidalgo comble votre fibre écolo, alors ?
Je trouve tous ces changements formidables, toute cette réflexion engagée pour favoriser le bien-être des habitants. L’air, le bruit, les espaces verts... Mais, de toute évidence, le problème des moyens de transport pour ceux qui habitent en banlieue n’est toujours pas résolu. Décentraliser la France serait la vraie solution... Et le ministère des Transports et la Ville devraient travailler ensemble pour mettre des escalators dans toutes les stations de métro, car les personnes âgées, handicapées ou les familles avec des enfants en bas âge ont des difficultés ou sont même dans l’impossibilité de les utiliser. Évidemment, il y a encore beaucoup à faire pour que cette ville soit agréable à vivre, mais, à mon sens, nous sommes sur la bonne voie, même si la transition est difficile. Le changement demande de la patience et de la solidarité.
“Comme je suis en tournage, j’ai essayé de vous satisfaire autant que possible, avec le moins de perfides réponses possibles…”
Pourquoi pensez-vous que nous ayons si mauvaise réputation à l’étranger ?
La générosité, l’écoute, la bonne humeur sont des qualités qui s’acquièrent dès l’enfance, à la maison et aussi à travers l’Éducation nationale. Mais notre système éducatif récompense plutôt les capacités intellectuelles, et l’apprentissage de notre passé, glorifié dans nos livres d’histoire, exemple Napoléon. L’orgueil d’être français est acquis dès le plus jeune âge. Nous ne sommes pas très généreux malgré la devise de notre République, cela se voit quand nous laissons des milliers d’immigrés dans la rue. Les associations sont là, et elles sont courageuses, mais l’État doit prendre de vraies dispositions. Nous avons aussi la réputation d’être de bons vivants, éduqués et élégants. D’aimer l’amour et une certaine idée de la liberté. On nous envie notre culture et notre goût raffiné.
Quel est votre juron favori ?
Franchement, j’essaye de m’en débarrasser, mais ils sont parfois ancrés ! J’essaye de ne plus en dire car je crois à la puissance créatrice des mots. Je crois que ce que l’on pense et dit finit par advenir. Et puis certains jurons sont souvent là pour meurtrir les femmes ou le féminin, et il m’est de plus en plus pénible de les entendre. C’est comme les imitations de femmes, je les aime de moins en moins. Mais il faut du temps pour se défaire des habitudes ! Il y en a un que j’aime bien, certainement parce qu’il ne se dit plus, c’est “morbleu” !
Vous est-il encore possible de flâner dans les rues sans vous faire assaillir par des hordes de fans ?
Les regards que je croise sont bienveillants, mais je ne fais pas trop attention car je suis souvent accaparée par ce que je suis en train de faire. Et quand on porte des lunettes noires, on se fait davantage remarquer que lorsqu’on a le visage nu.
Vous êtes d’une beauté solaire, quelles sont vos meilleures adresses pour la détox, le Pilates, les soins du visage, les manucures et pédicures ?
Pour les soins du visage, le cabinet Kératoparis. Chris Gandois pour les exercices. Je consulte le pédicure Jean-Baptiste Ho. Pour les mains, je fais la cuisine et je peins, alors je fais l’impasse, sauf pour les tapis rouges. Les hôtels ont tout ce qu’il faut !
Auriez-vous aussi quelques tuyaux pour les restaurants ? Lesquels nous conseillez-vous ?
Yen pour le japonais, Le Grand Pan pour la nourriture française du terroir, ou, en hiver, Le Roi du Pot au Feu. Mais ce que je préfère, ce sont les restaurants végétariens. Il y en a partout.
Pouvez-vous nous raconter votre nuit la plus longue, dans ses revirements de situation les plus inavouables ?
“Dans la profondeur du cœur, l’aube point lentement. Dedans, nous la voyons déjà, dehors, vous ne voyez que la souffrance de la terre. Il n’y a qu’une souffrance : ‘Être au-dehors.’” Extrait des Dialogues avec l’ange.
Vous avez souhaité répondre à mes questions perfides par e-mail, mais qu’est-ce qui me garantit que c’est bien vous qui m’écrivez ces lignes, et pas quelque sombre attachée de presse ?
La garantie n’appartient qu’à vous-même. Comme je suis en tournage, j’ai essayé de vous satisfaire autant que possible, avec le moins de perfides réponses, mais merci pour votre humour ! Je vous embrasse.
La Vérité de Hirokazu Kore-eda, en salle le 25 décembre.
“The Truth” / “La Vérité” (2019) de Hirokazu Kore-eda