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09 Lars von Trier en 4 films dérangeants

Lars von Trier en 4 films dérangeants

Cinéma

Le 29 mars, OCS city célèbre le réalisateur Lars von Trier lors d’une soirée spéciale. L’intégralité de ses films sera notamment disponible sur la plateforme de streaming à la demande. Cette rétrospective numérique est l’occasion de redécouvrir l’univers dérangeant du Danois, depuis les montées d’angoisses de “Melancholia” jusqu’au serial killer terrifiant de “The House That Jack Built”. Retour sur quatre films déroutants qui ont façonné l’image controversée du cinéaste.

Charlotte Gainsbourg et Willem Dafoe dans "Antichrist" (2009) Charlotte Gainsbourg et Willem Dafoe dans "Antichrist" (2009)
Charlotte Gainsbourg et Willem Dafoe dans "Antichrist" (2009)

1. Mutilation et torture amoureuse dans Antichrist.

 

Présenté à Cannes en 2009, Antichrist avait sidéré la Croisette en raison de son imagerie particulièrement choquante. Cinq ans après la sortie du film, le conseil d’État annule son visa d’exploitation, interdisant ainsi aux mineurs de le visionner. Jugé trop dérangeant, trop cru, insoutenable, le onzième long-métrage du cinéaste explore la destruction d’un couple dévasté par la mort de leur unique enfant. L’esthétique onirique du film, par ses plans au ralenti sur la nature foisonnante est un hommage vibrant à Andreï Tarkovski. La relation malsaine du couple un clin d’œil à Ingmar Bergman et ses Scènes de la vie conjugale. Ses scènes picturales une dédicace à Brueghel et Jérôme Bosch.

 

Baignées d’une lumière bleutée et du froid reflet de la lune, les scènes d’horreur d’Antichrist alternent avec la lente sidération engourdie des personnages, abîmés dans leur douleur. L’atmosphère oppressante du film se traduit dans une culpabilité très judéo-chrétienne où la sexualité est un symbole du vice. Un renard caché dans les fourrés mange ses propres entrailles. Charlotte Gainsbourg enfonce un pieu dans la jambe de Willem Dafoe. Elle s’arrache la peau, s’auto mutile le sexe. Des corneilles planent au-dessus des bois. Provocateur et difficilement supportable, le film se dresse tout en haut des films les plus éprouvants du cinéaste, pas seulement en raison de ses moments gores répugnants, mais parce que son atmosphère oppressante et perverse entoure le deuil d’un enfant. En mêlant ainsi la plus grande souffrance humaine avec un univers de stupre et de torture physique, Lars von Trier flirte dangereusement avec la morale. Un affront pour certains.

Kirsten Dunst dans "Melancholia" (2011) Kirsten Dunst dans "Melancholia" (2011)
Kirsten Dunst dans "Melancholia" (2011)

2. Apocalypse et dépression dans Melancholia

 

Après la très grande violence d’Antichrist, Melancholia pourrait presque passer pour un film tranquille. Pas de mise en scène sanglante ou de torture physique ici mais une très grande détresse psychologique, incarnée à merveille par Kirsten Dunst. Avec ce film, Lars von Trier montre qu’il est un maître absolu de l’angoisse. Et par son art, le prélude de Tristan und Isolde de Wagner — qui ouvre le film— est à jamais entaché de son atmosphère anxiogène poussée à l’extrême. A l’écoute de la musique, les scènes sinistres de Melancholia ressurgissent inexorablement. La menace de fin du monde accoure, inéluctable.

 

Le film plonge dans la psyché d’une femme en dépression. Alors qu’elle vient de se marier, elle s’échappe de la cérémonie, comme poussée par une force mystérieuse. Prenant au départ des allures de Festen (film de Thomas Vinterberg), Melancholia prend peu à peu une dimension céleste. Une planète s’approche dangereusement de la Terre, faisant planer l’apocalypse sur les personnages. Les tableaux surréalistes du film ajoutent à la beauté effrayante de son récit : la mariée court, retenue par des racines imaginaires. Elle s’offre au ciel, nue, sur le bord d’une rivière. Charlotte Gainsbourg peine à s’extirper du sol pareil à des sables mouvants. Des oiseaux morts tombent du ciel, entourant le visage dévasté de Kirsten Dunst, qui incarne à elle seule une pulsion de mort inexorable. Bref, ce long-métrage onirique est l’acmé même de l’univers angoissant de Lars von Trier qui, tout en douceur, sait insuffler une peur universelle et dévastatrice dans son cinéma.

Charlotte Gainsbourg dans "Nymphomaniac - volume 2" Charlotte Gainsbourg dans "Nymphomaniac - volume 2"
Charlotte Gainsbourg dans "Nymphomaniac - volume 2"

3. Du sexe trash dans Nymphomaniac

 

Film polémique par excellenceNymphomaniac (en deux volumes) a secoué la critique. "Affligeant" pour certains, il reste pourtant l’un des plus dérangeants du cinéaste. En 5h30 de film, Lars von Trier explore la sexualité maladive de Joe, une femme névrosée souffrant de son infatigable soif de chair. Encore une fois, le réalisateur danois flirte avec la morale, la religion et la misanthropie. Si le film glace autant le sang, c’est qu’avec son esthétique, froide au possible, le cinéaste ne témoigne aucune empathie pour ses personnages et semble même prendre un malin plaisir à les voir souffrir.

 

Alors que Charlotte Gainsbourg (encore elle) rejoint deux hommes aux pénis monstrueux dans une chambre d’hôtel, la frontière avec la pornographie est à peine perceptible. Les scènes de sexe s’enchaînent pour illustrer la détresse du personnage. Être vide et insaisissable, cette dernière est une telle anti-héroïne que le film fait office de parcours du combattant. Il faut s’accrocher pour subir l’amoncellement des scènes plus glauques les unes que les autres, se faire violence pour y déceler quelque chose de beau. Pourtant, les deux volumes de Nymphomaniac obéissent à un subtil jeu de miroirs illustrant une réflexion narrative poussée. Exutoire de la souffrance ou source de tourments, la sexualité y est montrée sous toutes ses coutures, à l’exception près qu’elle est rarement synonyme d’amour. 

Matt Dillon dans "The House That Jack Built" (2018) Matt Dillon dans "The House That Jack Built" (2018)
Matt Dillon dans "The House That Jack Built" (2018)

4. Un psychopathe minutieux dans The House That Jack Built

 

Une centaine de spectateurs quittent la salle alors que The House That Jack Built est projeté à Cannes en 2018. Une spectatrice se lève et crie : "c’est répugnant !". Aucun doute, Lars von Trier fait dans le sensationnel. Son dernier film en date rappelle indéniablement la structure narrative de Nymphomaniac. Alors que ce dernier s’attachait à présenter cinq chapitres, moments clés de la recherche sexuelle de son personnage principal, The House That Jack Built se découpe lui-aussi en cinq parties. Cinq "incidents" qui correspondent en réalité aux meurtres perpétrés par Jack (Matt Dillon). A l’instar d’un American psycho particulièrement pervers, le long-métrage suit le parcours (ensanglanté) de cet éventreur moderne, d’apparence pourtant serviable.

 

Uma Thurman en première victime, le film est une montée en puissance dans la violence. Chasse à l’homme (et à l’enfant), seins découpés, torture dans une chambre froide…. La perversité du personnage réside dans son désir de faire de ses crimes des œuvres d’art. De là l’outrage provoqué lors de sa présentation à Cannes. Cependant, même s’il est indéniablement le film le plus « trash » du cinéaste, The House That Jack Built est avant tout cynique. Loin des atmosphères oppressantes d’Antichrist et de Melancholia, il désacralise la noirceur d’âme en la montrant de front, sans fioritures.