Lorsqu’on lui parle de la guerre qu’elle a connu petite, Maria Callas ne détourne pas le regard et répond fermement “Hardship does one good” (“La difficulté fait du bien”). Avec ses traits marqués, sa grande bouche et ses yeux immenses cerclés de noir, Maria Callas semble porter en permanence un masque de tragédienne. Obsédée par le travail, perfectionniste à s’en rendre malade, exigeante aussi, avec ceux qui lui proposent de leur prêter sa voix. Pourtant, “la Callas” magnétique était adulée, et la ferveur de son public ressemblait à celle que l’on dispense aux stars de rock. Mais très vite, le succès vrombissant la dévore, corps et âme, et empoisonne tous les aspects de sa vie privée. C’est cette dualité, entre ombre et lumière, que le réalisateur Tom Volf a voulu explorer en 2017 à travers son film Maria by Callas : In Her Own Words.
C’est donc avec ses propres mots que Maria Callas se raconte, au fil d’un documentaire sensible et contemplatif, porté par l’omniprésence de la musique, qui l’a accompagnée durant toute sa vie. Ainsi, à l’aide d’archives minutieusement collectées, l’on écoute tantôt une voix-off lire ses mémoires, puis Maria Callas en personne, se confier en interview sur les deux femmes qui la composent : "Il y a deux personnes en moi, disait-elle. J'aimerais être Maria, mais il y a aussi la Callas. J'essaie de m'entendre avec les deux.” Qui sont ces femmes ? En quoi sont-elles différentes ? “Il y a la femme sur la scène de la vie, et la femme sur la scène de théâtre”, sourit-elle. La première est une femme simple, qui n’a pas peur de prendre la pluie, qui aime regarder la télévision, lire “des bêtises”, cuisiner. Une grande romantique, qui, au fond d’elle, aurait préféré trouver le prince charmant qui l’aurait délivrée de son destin de cantatrice.
“Maria Callas : In Her Own Words” (2017) de Tom Volf.
Au fil d’une carrière exemplaire, la Callas a fini par dévorer Maria. Affectueusement surnommée sa “meilleure élève” par sa professeure de chant lorsqu’elle a 13 ans, Maria Callas connaît un succès que nul autre cantatrice avant elle n’avait expérimenté… puisque confrontée à la frénésie médiatique. C’est d’abord son tempérament qu’on lui reproche, tantôt tyrannique ou désagréable ; puis une bronchite, qui lui fait annuler une représentation, que les journaux qualifient de caprice. “Je me suis réveillée complètement muette, écrit-elle dans ses mémoires, et la Norma était annoncée pour le soir-même à guichets fermés. Je me suis sentie, soudain, envahie de terreur.” Car avec un tel talent vient un prix : celui de toujours s’élever aux exigences du public, de la presse, de ses proches. D’abord celle de sa mère, qui la pousse à prendre des cours de chant, puis celle de son mari, qui s’est enorgueilli de son succès, jusqu’à oublier Maria, occultée par Callas.
En réalité, la plus grande souffrance de la diva réside dans cette posture : “I just can’t master the art of being a hypocrit” (“Je suis incapable de maîtriser l’art de l’hypocrisie”). Tout au long de sa vie, aussi scrutée soit-elle, Maria Callas n’a cessé de parler franchement, au travail comme en amour, suivant son cœur dans les passions les plus destructrices – notamment à travers son idylle avec Aristote Onaniss, qui l’a quittée sans un mot pour épouser Jacqueline Kennedy. Sans s'excuser, l'artiste a vécu comme une femme au tempérament fougueux qui n’a jamais cessé de lutter pour sa liberté, jusqu'à abandonner la nationalité américaine pour pouvoir divorcer de son mari. “Même s'il existe Maria et Callas, le fond spirituel est le même, c'est moi”, confie-t-elle. Toutes deux, Maria et Callas ont alors chanté et vécu, jusqu'à l'épuisement. Pourtant, ce n’est que sur scène qu'elle affiche un sourire irrésistible, enivrée par les applaudissements de son plus grand amour : son public.
Maria by Callas : In Her Own Words (2017) de Tom Volf, disponible sur arte.tv jusqu’au 24 juillet.