NUMÉRO : Les interviews téléphoniques me font toujours un peu peur... j’ai toujours l’impression qu’on va me raccrocher au nez.
MARION COTILLARD : Je promets de ne pas vous raccrocher au nez.
Quelles sont les questions qui vous ennuient le plus ? Pour que je les évite... [Rires.]
Ne me demandez pas quelle différence il y a entre les films français et les films américains : comme j’ai déjà répondu mille fois à cette question, j’ai l’impression d’être une espèce de robot débile qui recrache la même phrase lorsqu’on appuie sur un bouton. Sinon, je suis plutôt positive, donc je peux me sortir de toutes les situations. S’il y a des questions qui m’emmerdent vraiment, je vous embrouillerai. Je ferai comme les hommes politiques : une réponse très longue, peut-être même totalement incompréhensible si votre question est vraiment débile... vous n’y verrez que du feu.
Comment puis-je être sûr que c’est bien à vous que je parle, et non à une doublure voix ?
Ahlala ! Le rêve ! Mais si c’était le cas, je serais un peu inquiète, je serais obligée de rester là, dans la pièce à côté, pour m’assurer que ma doublure ne dise pas trop de conneries.
Question secrète : vous avez grandi dans un immeuble d’Alfortville, mais à quel étage, peut-on savoir ?
Au dix-huitième.
Comment se retrouve-t-on embringué dans un film qu’on n’aime pas ? J’imagine que vous lisez les scénarios...
De nombreuses données entrent en jeu pour faire un bon film, et parfois certains paramètres ne vont pas. On peut être aveuglé par une histoire merveilleuse, alors on se lance dans le film, puis il y a une réécriture qui fait qu’on n’a plus le même amour pour le projet. On se bat pour retourner au scénario initial, mais c’est compliqué. Ou alors, on tombe amoureux d’un personnage avant de se retrouver confronté à un réalisateur ou une réalisatrice qui n’est pas à la hauteur.
Dans quelle mesure les scénarios sont-ils remaniés lors des tournages ?
Ça peut arriver, pour des raisons budgétaires notamment. Il est fréquent que des scènes soient coupées parce que la production n’a plus assez d’argent, ce qui peut complètement déséquilibrer un film ou un personnage. Du coup, on ne retrouve pas ce qui nous avait plu au début.
Êtes-vous plutôt une star gentille – comme Jennifer Lawrence, qui organise des soirées barbecue, bière et fumette entre copines – ou une star méchante – le genre qui dit “Savez-vous qui je suis ?” lorsqu’on refuse de vous surclasser dans l’avion ?
Déjà, je ne me considère pas comme une star, donc votre question est idiote. Ensuite, pensez- vous vraiment qu’en posant cette question, même à une star méchante, elle va vous répondre : “Ah non, moi je suis vraiment une conne ! J’exige qu’on me traite comme une personne hors du commun !” Je ne pense pas que vous ayez souvent obtenu ce genre de réponse, même de stars de la pire espèce.
En avez-vous rencontré, des stars de la pire espèce – sans citer de noms, bien sûr ?
Oui, j’en ai rencontré.
Comment devient-on égérie Dior ? Sur casting ?
Non, pas sur casting. Une maison vous sollicite parce qu’elle souhaite que son image soit incarnée par une personnalité qu’elle apprécie. Du moins, j’imagine. Ils ne vont pas aller prendre une connasse. Avant Dior, j’avais reçu des propositions qui ne me plaisaient que très moyennement, voire pas du tout. Ce que Dior m’a proposé, c’était de travailler avec la maison sur l’image de la haute couture. Je n’utilise pas trop de produits, de parfums et de trucs comme ça, donc je ne me voyais pas en égérie parfums ou beauté. Je n’utilise peut-être pas de parfum, mais attention, ça ne m’empêche pas de sentir bon, je tiens à le signaler. Une odeur délicieuse, mais pas chimique. Du coup, Dior m’a proposé un projet artistique qui me permettrait de travailler avec des réalisateurs qui apporteraient chacun sa vision de la maison de couture. Au début, il y a huit ans de cela, je n’étais associée à aucun produit en particulier. Au fil des ans, je l’ai été de plus en plus, notamment au Lady Dior, leur sac iconique. Au départ, ils m’ont dit : “Si tu veux travailler avec un réalisateur, on l’appelle et on lui demande.” Quand je leur ai fourni une liste dans laquelle figurait David Lynch, et qu’il a accepté le projet, je me suis dit que j’étais entre de bonnes mains. Dior m’a aussi permis d’être créative en me confiant la coréalisation d’un film. On a fait de la musique, on a fait des dessins animés, on a écrit des chansons...
“Une maison vous sollicite parce qu’elle souhaite que son image soit incarnée par une personnalité qu’elle apprécie. Du moins, j’imagine. Ils ne vont pas aller prendre une connasse.”
Bernard Arnault vous a-t-il invitée pour un dîner aux chandelles rue Barbet-de-Jouy afin de vous proposer le contrat ? À ce moment-là, John Galliano était le directeur artistique de Dior, et c’étaient les têtes pensantes créatives de la maison qui m’ont proposé d’en devenir l’ambassadrice.
Une tête pensante créative qui a fini par tomber, dans le cas de John Galliano, en 2011.
Qu’avez-vous pensé de son éviction pour le moins houleuse ?
Disons que c’est un sujet douloureux pour tout le monde, qui a révélé aussi les travers de notre époque : cette tendance à livrer en pâture à la presse des moments d’égarement qui, dans le cas de John, ne reflétaient pas du tout sa personnalité. C’est grave, car cela touchait à des problèmes encore très sensibles aujourd’hui. C’était aussi un moment très compliqué dans la vie de John, et cette situation a finalement été salvatrice pour lui. Elle lui a permis de tourner la page et de commencer un nouveau chapitre de sa vie.
En ce qui vous concerne, faites-vous attention aux oreilles qui traînent lorsque vous racontez des horreurs en terrasse de café ?
Je suis très parisienne pour plein de choses, mais je ne vais jamais en terrasse de café.
De peur de créer une émeute ?
Non, rassurez-vous, j’ai une grande capacité à me fondre dans le décor et à disparaître dans la foule. Lorsqu’on devient ambassadrice d’une grande maison, reçoit-on un “média training” qui vous apprend ce qu’il faut dire et ne pas dire aux journalistes ? [Rires.] Une partie de mon entourage aurait adoré que je suive un média training. Mais je n’ai jamais accepté, à tort sans doute. Peut-être que l’on se sent beaucoup plus à l’aise face aux questions, beaucoup plus entraîné !
“S’il y a des questions qui m’emmerdent vraiment, je vous embrouillerai. Je ferai comme les hommes politiques : une réponse très longue, totalement incompréhensible... vous n’y verrez que du feu.”
Lorsqu’on devient ambassadrice d’une grande maison, reçoit-on un “média training” qui vous apprend ce qu’il faut dire et ne pas dire aux journalistes ?
[Rires.] Une partie de mon entourage aurait adoré que je suive un média training. Mais je n’ai jamais accepté, à tort sans doute. Peut-être que l’on se sent beaucoup plus à l’aise face aux questions, beaucoup plus entraîné !
L’occasion ne s’est-elle jamais présentée ?
Oh, si, elle s’est présentée, croyez-moi. [Rires.] À un moment donné, on disait autour de moi : “Elle n’a pas assez de filtres, il faut la recadrer.” Mais je n’avais pas très envie de me retrouver avec des gens qui allaient me dire ce qu’il fallait dire. Ça n’avait pas de sens pour moi. Disons que mon média training, je l’ai fait sur le tas, avec des passages plus ou moins douloureux. Voilà, parfois je fais preuve d’une spontanéité qui est très mal interprétée. Mais pour être tout à fait honnête, je pense que ce sont les médias qui gagneraient à suivre une bonne leçon de média training, pour qu’on leur apprenne une bonne fois pour toutes à retranscrire fidèlement ce qui a été dit lors d’un entretien, plutôt que de charcuter la conversation pour en faire tout à fait autre chose. Ce serait vraiment formidable. En France, on est quand même les champions du monde de la réécriture, alors qu’aux États-Unis, ils sont tellement procéduriers que si vous changez un mot de ce qui a été dit, ils vous collent un procès. C’est pour cette raison que j’ai beaucoup plus de liberté à parler à la presse américaine, à laisser transparaître instantanément ma personnalité, en sachant qu’on ne va pas me faire dire n’importe quoi. En France, dans les entretiens que l’on accorde à la presse écrite, c’est hyper compliqué de retrouver d’une part ses mots, et d’autre part sa personnalité. La façon dont on nous fait parler est tellement loin de nous que c’en est vraiment, vraiment ahurissant.
“Mon média training, je l’ai fait sur le tas, avec des passages plus ou moins douloureux. Voilà, parfois je fais preuve d’une spontanéité qui est très mal interprétée.”
Vous avez incarné Lady Noire pour la maison en 2009, Lady Rouge en 2010 et Lady Grey en 2011... Quelle fut votre Lady préférée ?
Euh, bah...
Vous les aimez toutes !
Les personnages que j’incarnais dans ces films étaient assez différents, mais ce qui est important pour moi, ce sont les rencontres qu’ils ont suscitées. Comme celle avec John Cameron Mitchell par exemple, qu’on ne connaissait pas chez Dior. Quand j’ai voulu travailler avec lui, ils ont découvert Hedwig and the Angry Inch et Shortbus, et ils ont adoré son univers. Ils m’ont permis de rencontrer une de mes idoles, que j’ai la chance de compter parmi mes amis aujourd’hui. C’était une rencontre éblouissante. J’ai pu aussi enregistrer une chanson avec le groupe Franz Ferdinand, travailler avec Metronomy et embarquer certains de mes amis qui sont de merveilleux artistes dans l’aventure Dior.
Mais vous êtes égérie mode ou égérie sac à main chez Dior ?
Je viens tout juste de vous expliquer ! Vous n’avez rien compris ? [Rires.] Quand je suis entrée chez Dior, j’étais égérie couture, et par la suite, j’a fini par incarner les...
... pièces iconiques de la maison.
Eh bien, vous voyez que vous suivez un petit peu quand même !
Cela veut-il dire que si une grande marque vous propose une campagne Mousse Coiffante Boostante Mega Volume, vous êtes en mesure de l’accepter ?
Si vous voyiez comme je suis coiffée aujourd’hui, vous comprendriez que j’aurais un peu de mal à défendre une mousse coiffante.
N’aviez-vous pas d’ailleurs refusé un contrat avec une firme de cosmétiques car la marque était accusée de procéder à des tests sur les animaux ?
Cet épisode s’est déroulé au tout début de ma carrière, et j’ose imaginer que ces tests n’ont plus cours aujourd’hui. Toutes ces sociétés ont dû ajouter dans leur cahier des charges des paramètres un peu plus éthiques qu’à une certaine époque où personne ne se souciait de la façon dont les produits étaient fabriqués.
Quant à moi, je n’ai jamais compris l’intérêt de tester une mousse coiffante sur un cochon.
Parce que ça se met sur la peau de ton crâne, chéri !
Votre engagement en faveur de la planète fait le bonheur des petits et des grands...
“Fait le bonheur des petits et des grands” ? Ah oui ? J’aurais bien aimé qu’on fasse cette interview en face à face : je me demande si vous vous seriez autant lâché. Je ne suis pas sûre que cela fasse le bonheur de qui que ce soit, mais je me suis toujours engagée dans ma vie à respecter le plus possible ce qui m’entourait. J’ai été élevée par des parents qui eux-mêmes avaient été élevés par des parents qui accordaient de l’importance au respect en général.
Pour ma part, tout ce que je sais, c’est qu’il y a deux bacs devant chez moi : un à couvercle jaune, et l’autre à couvercle vert. Mais ne me demandez pas pourquoi.
C’est fou à quel point vous essayez de vous faire passer pour un crétin. J’espère bien qu’aujourd’hui les gens savent faire la différence entre la poubelle à couvercle jaune et l’autre entièrement verte. Après, ce que je voudrais vraiment savoir, c’est si, au bout de la chaîne, ils ne mettent pas tout dans la même benne avec un peu d’essence dessus pour tout brûler. J’ai essayé de suivre les poubelles, mais, à un moment donné, on m’a barré la route.
Qu’avez-vous pensé du tweet de Donald Trump disant que le réchauffement climatique était une fiction “créée par et pour les Chinois pour affaiblir l’industrie américaine” ?
On verra ce qu’il dira quand le changement climatique aura noyé New York... C’est de l’ignorance. Et je pense que les ignorants ne doivent être ni combattus ni ignorés, mais plutôt éduqués.
Pourquoi ne vous voit-on jamais dans la presse people en train de descendre d’un avion ou de faire vos courses au G20 ? Peut-être parce que la presse people n’en a rien à faire ?
Mais les people qui figurent dans ces journaux ont-ils appelé les paparazzis pour qu’ils viennent les accueillir à leur descente d’avion ? Il y a des gens qui appellent, oui. Je n’ai pas les numéros des paparazzis, c’est peut-être pour ça qu’ils ne me suivent pas.
Quel est votre premier souvenir d’enfance ?
C’est une bonne question... j’ai assisté à la naissance de mes frères et je me souviens des portes du placard de la salle d’accouchement.
Quel était le job de vos parents ?
Oh...
Quoi, c’est un problème d’en parler ?
[en aparté : Tu as vu le gros titre, là ?] Excusez- moi, je regarde les informations sur mon portable pendant que vous m’interviewez. C’était quoi la question ?
Ce que faisaient vos parents...
Il va falloir que je coupe, c’est dommage, je me sentais plutôt bien avec vous, vous me faites rire. C’était quoi la question ?
Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de faire un impair aux Oscars, par exemple de marcher sur votre robe ?
Non, ce n’était pas ça la question, arrêtez de m’embrouiller.
Vous est-il déjà arrivé aux Oscars de marcher sur la traîne de Meryl Streep, de renverser un verre sur Harvey Weinstein ou de finir à 6 heures du matin dans la piscine de Lindsay Lohan ?
Euh... non, j’étais déjà beaucoup trop policée à ce moment-là.
Dernière question, lors des premières des films, les stars restent-elles pendant toute la projection ou sortent-elles discrètement par la porte de service dès que la lumière s’éteint ?
Je ne peux pas répondre pour tout le monde. Mais personnellement, je me barre.
SÉLECTION DE LA RÉDACTION : Les femmes mises à nu par Sonia Sieff