En réalité, on sait peu de choses d’Ari Aster et de sa famille. Cet Américain un peu nerd de 33 ans, né en 1986 à New York, vient d’une famille en apparence classique : deux parents artistes et un frère cadet. Chercher à déterminer les origines de ses récits d’horreur dans sa psychopathologie serait un aller simple vers la mauvaise piste. Toutefois, c’est très tôt qu’Ari Aster se prend de passion pour le cinéma, notamment pour les films de Stanley Kubrick (Orange Mécanique) ou de David Lynch (Blue Velvet), qui l’animent, à l’époque, d’un sentiment mêlant haine et adoration. “J’ai développé un goût pour une narration spirituellement cruelle”. Le jeune Ari se lance alors dans l’écriture de scénarios, dont celui de Hérédité.
1. The Strange Thing About The Jonhsons
Dans le cinéma d’Ari Aster se rencontrent l’horreur, le surnaturel et l’art. Le réalisateur dépeint un monde étrange et pessimiste, traversé par le sentiment freudien de l’unheimliche (“l’inquiétante étrangeté”) et du malaise. Dès 2011, il s’engage, avec The Strange Thing About The Johnsons, dans une voie des moins ordinaires. Dans ce court-métrage, aussi brillant que dérangeant, Ari Aster met en scène un cercle familial qui semble bien sous tous rapports. En témoignent les photos de la famille parfaite accrochées aux murs de la maison. Un père poète, Sidney Johnson, une femme aimante, Joan, et un fils charismatique, Isaiah. Seulement, alors qu’Ari Aster écrit le scénario de ce film qu’il présente pour la fin de son diplôme à l’American Film Insitute Conservatory de Los Angeles, une question le taraude : “Quelle est la pire chose que je pourrais faire ? […] Pourquoi pas un fils qui molesterait son père ? Personne ne devrait écrire un tel film. C’est justement ça qui a fait de la chose un exercice : suis-je capable d’en faire quelque chose de captivant ?”, confie-t-il au Guardian.
C’est chose faite avec ce court-métrage où l’inceste s’immisce dans la famille. Alors que le fils Isaiah viole son père, la mère désabusée, consciente de ce drame, reste dans un mutisme traumatique. Depuis sa mise en ligne en 2011 sur Youtube et Vimeo, cette vidéo troublante est devenue virale cumulant plus de 4 millions de vues sur les plateformes. Plus tard, Ari Aster trouve un agent et s’attele à la production de cinq autres court-métrages entre 2011 et 2017… les situations sont toujours aussi dérangeantes.
2. Hérédité : la consécration d’Ari Aster
Sorti l’année dernière, Hérédité dresse le portrait glaçant d’une famille américaine, délitée par des forces mystiques et malfaisantes, dès lors que la matriarche de cette lignée sordide est enterrée, au début du film. Accablée par des secrets de famille tus sous le poids du deuil, la famille Graham s’enfonce dans la souffrance et la médiocrité au long d’un thriller des plus effrayants. À propos de ce premier long-métrage, sept ans après The Strange Thing About The Johnsons, Ari Aster ne cherche pas à donner d’explications qui puisent dans ses éventuels traumatismes. “C’est plus facile pour moi de ne pas rentrer dans le détail. J’ai davantage tiré mes idées de sentiments plutôt que d’expériences vécues.”
Le film est un succès mondial, que le public et la critique encensent en chœur. Car Hérédité n’est pas qu’un simple film d’horreur, il renferme un sens plus profond. “Même si vous enlevez toute l’horreur d’Hérédité, le film marche toujours comme un drame familial. C’est ce dont il est vraiment propos au cœur du film, et j’ajoute que les films d’horreurs qui réussissent à passer l’épreuve du temps sont ceux qui ont vraiment quelque chose à dire sur la condition humaine” en dit le producteur Lars Knuden. Car en effet, sans pouvoir débattre des éléments et des moments forts qui ponctuent le film (sous peine de spoilers), Hérédité est un film qui pousse au paroxysme les conséquences que peuvent avoir les secrets familiaux : la non-communication et la rancœur implicite amènent à la paranoïa et au désastre.
3. Le sentiment d’étrangeté au monde
Dans les situations perverses que déploie Ari Aster, c’est souvent un monde sclérosé que l’on découvre. Jamais d’évolutions, mais plutôt de réelles descentes aux enfers pour ses personnages. Il met en scène des figures archétypales (mères hystériques, personnages handicapés et déformés, adolescents mal dans leur peau, SDF…), et dote ainsi ses fictions d’un sens métaphorique. En 2016, année de l’élection de Trump, Ari Aster donne la parole à un sans-abri dans C’est La Vie, Chester Crummings, qui déblatère, dans les rues de Los Angeles, des monologues anarchistes et polémiques sur la vacuité de la vie, l’instabilité des mœurs, la non-égalité entre les classes et… sa propre paranoïa. À travers ce court-métrage saisissant, on comprend alors que le cinéma d’Ari Aster ne se résume pas à une surenchère de scénarios violents et angoissants. Certes, son œuvre prend appui sur des sentiments personnels, mais les craintes et les peurs qu’elle transcrit sont compréhensibles par tous. À ce titre, les productions d’Ari Aster pourraient être lues comme l’inconscient d’une société en peine, se sentant étrangère au monde.
Ari Aster signe une œuvre puissante et perturbante, qui n’hésite pas à chercher dans les plus hauts degrés de la terreur pour capter l’attention de son spectateur. Dans son dernier film, Midsommar, l’intrigue se déroule dans un festival en Suède. Au sujet de ses deux long-métrages Hérédité et Midsommar donc, le réalisateur indique : “Ces deux films abordent le thème de la famille. Hérédité concernait davantage les dysfonctionnements familiaux.” Poursuivant la piste du drame familial dans lequel il excelle, Ari Aster promet un retour dans un univers des plus étranges, cette fois éclairé par les rayons d’un soleil à son zénith.