Dans un petit hôtel du 7e arrondissement de Paris, Paula Beer échange à voix basse avec son interprète. Même si elle comprend parfaitement le français, la révélation de cette 70e édition de la Berlinale préfère discuter dans sa langue maternelle, n'étant pas encore tout à fait à l'aise avec celle de Molière. Très appliquée, cette-dernière revient sur ses différents rôles avec la modestie d’une comédienne pour qui tout est encore à faire. Depuis sa révélation en France en 2016 avec Frantz de François Ozon, Paula Beer a tourné aux côtés d’Omar Sy et Matthieu Kassovitz dans Le Chant du Loup d’Antonin Baudry et fait deux films avec le cinéaste allemand Christian Petzold, Transit (2017) et Ondine (2020).
Reprenant le conte qui a inspiré La Petite Sirène d’Andersen, Ondine offre son premier rôle principal à l’actrice, qui lui a valu un prestigieux prix d'interprétation. Aux côtés de Franz Rogowski – habitué des grands films comme Happy End de Michael Haneke et Une vie cachée de Terrence Malick –, Paula Beer y incarne une version contemporaine de la nymphe, aux prises avec son destin funeste et ses amours terrestres.
Numéro : empreinte de mystère, Ondine est une figure aquatique qui ne peut rester sur Terre que parce qu’elle entretient une relation amoureuse avec un humain. S'il lui est infidèle, elle doit le tuer avant de retourner vivre dans l’eau. Quelles consignes aviez-vous reçues de Christian Petzold pour l'interpréter ?
Paula Beer : Christian m’avait déjà parlé du projet alors que nous tournions Transit, donc trois ans avant de commencer le film. Il voulait une Ondine moderne, très émancipée du conte d’origine. Pour m’imprégner de cet imaginaire, j’ai lu pas mal d’histoires qui ont à voir avec l’eau et avec les nymphes. Il s'agit d'un mythe très ancien.
“Les rôles justes arrivent au bon moment. Quand je sens que je suis prête à mettre toute mon énergie à l'oeuvre pour incarner un personnage, je fonce!”
Entre Le Chant du Loup, film d’action à gros budget, et les films de Christian Petzold, qui sont des films d’auteur, il y a un grand écart de genre. Comment choisissez-vous vos rôles ?
Je choisis toujours les rôles qui me plaisent, c’est aussi simple que ça ! Peu importe le genre du film ou l’importance du rôle dans l’histoire. Il faut que le personnage me procure une vraie émotion à la lecture du script. C’est drôle de voir que certains metteurs en scène pensent à moi pour jouer des personnages auxquels je ne m’identifie pas du tout. Par exemple, dans la série Bad Banks, [de Christian Schwochow], je joue une employée dans une banque d’investissement. Jamais je ne me serais imaginé jouer un tel rôle ! J’entends souvent des comédiens dire qu’ils aimeraient jouer tel ou tel rôle au cinéma… Ce n’est pas du tout mon cas. Les rôles justes arrivent au bon moment, et si je sens que je suis prête à mettre toute mon énergie pour incarner un personnage, alors je dis oui.
Dans le film Frantz de François Ozon, l’histoire se déroule en Allemagne mais vous donnez la réplique à Pierre Niney en français. Était-ce compliqué de jouer dans une langue qui n'est pas la vôtre ?
C’était un réel défi pour moi : je n’ai appris que la veille du casting que je devrais jouer en français ! J’ai mis beaucoup de temps à mémoriser mon texte. Et puis, quand on joue dans une autre langue, quelque chose de très absurde se passe dans le corps, c’est comme s’il n’arrivait pas à suivre les mots. Parfois j’avais le sentiment d’avoir réussi une scène parce que j’avais bien dit mon texte, mais en fait ma gestuelle n’allait pas.
Bande-annonce de “Frantz” de François Ozon.
Était-ce une volonté de votre part de partir tourner en France ?
Pour Frantz, c’était un pur hasard que l’on ait pensé à moi. En tant que comédienne, je suis dépendante des directeurs de casting, des metteurs en scène, et je ne peux pas vraiment influencer les projets qu’on me propose… Grâce à Frantz de François Ozon, j'ai obtenu une visibilité en France, et l'on m'a ainsi proposé de jouer dans Le Chant du Loup. Donc pour répondre à votre question, non, ceci ne vient pas d’une volonté de ma part, ça s’est fait comme ça !
Donc vous n’excluez pas de tourner à l’international ?
J’ai adoré tourner en français, donc pourquoi pas ! J’aimerais vraiment réussir à maîtriser cette langue pour approfondir mon jeu. Mais encore une fois, je ne peux pas prédire les propositions donc j’essaie de me préparer au mieux.
Certains acteurs semblent être aussi à l’aise sur les planches qu’au cinéma. C’est le cas de Pierre Niney d’ailleurs, qui vient du Cours Florent et de la Comédie-Française. Êtes-vous attirée par le théâtre?
Selon moi, ce sont deux métiers totalement différents. Au théâtre, il faut exprimer son intériorité à une assemblée. On a une toute autre conscience de la voix, et de l’espace aussi, puisqu’il y a des spectateurs devant nous. C’est vrai que cette instantanéité manque un peu au cinéma, car on ne voit les réactions des spectateurs que le jour de la première. Le théâtre dégage une énergie incroyable à laquelle j'adore assister. Mais je ne sais pas si j’en ferais moi-même, peut-être un jour...
Ondine (2020), de Christian Petzold, sortie en salles en septembre 2020.