Bande-annonce – Sátántangó (1994) de Béla Tarr
À l’ère du binge-watching, on peut supposer que les spectateurs ne devraient pas être impressionnés par les 7h30 de Sátántangó (1994). Mais les films du cinéaste hongrois Béla Tarr ne comportent aucune de ces grosses ficelles utilisées par les scénaristes de séries pour tenir en haleine leur audience. Les romances, multiples rebondissements et autres cliffhangers sont ici remplacés par un décor et une intrigue minimalistes, disséminés dans de longs plans-séquences en noir et blanc qui peuvent dérouter même les plus cinéphiles. La scène d’ouverture de Sátántangó – œuvre culte et prix du jury œcuménique à la Berlinale 1994 – est caractéristique des films de Béla Tarr. Observer la lente sortie d’un troupeau de vaches pendant sept minutes est avant tout une expérience singulière de cinéma. Énigmatique, la scène se révèle seconde par seconde et semble se construire sous nos yeux.
Récit post-apocalyptique, Sátántangó dresse le tableau désolé d’une ferme collective d’Europe de l’Est, au lendemain de l’effondrement du bloc soviétique. Inspiré d’un roman de l’écrivain László Krasznahorkai – ami et scénariste attitré du cinéaste Béla Tarr – le film fleuve nous plonge dans le quotidien de paysans désespérés, d’un médecin toujours ivre qui surveille obsessionnellement ses voisins ou encore d’une petite fille aux portes de la folie, qui tente maladroitement de tuer son chat. Balayé par la pluie, le vent et la boue, le village est aussi marqué par le retour annoncé de deux hommes passés pour morts – dont personne ne sait s’ils sont des prophètes ou l’incarnation de Satan. Aux antipodes du courant réaliste socialiste célébrant la condition des classes ouvrières que Béla Tarr a connu lors de son enfance au sein d’une famille modeste du sud de la Hongrie, Sátántangó est un film sombre, traversé par un pessimisme profond.
Les longs plans-séquences de Sátántangó sont un moyen pour Béla Tarr d’exercer sa liberté totale d’auteur et de maintenir une tension particulière, quitte à dérouter le public. Mais ces plans étirés laissent aussi la porte grande ouverte au spectateur : il peut partir, excédé par la monotonie ambiante de l’œuvre ou choisir de conclure un pacte avec le réalisateur. Celui se plonger corps et âme dans le visionnage du film en échange d’une expérience hors norme, aliénant son jugement et sa liberté comme lors d’un pacte avec le diable.