1. “Arakimentari” de Travis Klose (2003)
Héros de la contre-culture nippone, Nobuyoshi Araki arpente les rues de Tokyo comme une rockstar. Il écume aussi les bars, les boîtes de strip-tease, rencontre les geishas et les prostituées, collabore avec des revues SM et s'autorise les poses les plus suggestives. Langue sur une verge floue ou sexe féminin dévoré par une mosaïque, tel un carnet de voyage sulfureux, Tokyo Lucky Hole (1997) condense par exemple les fantasmes du photographe en 800 clichés. Habitué de ces clubs subversifs, Araki a eu le temps d’immortaliser les lolitas et leurs cris d’extase, les yeux révulsés des voyeurs et l’esprit libertaire d’une époque révolue. En 2003, c’est un documentaire de 85 minutes qui nous plonge dans la psyché du photographe légendaire. Le réalisateur Travis Klose a partagé le quotidien de Nobuyoshi Araki, véritable pile électrique, pendant un mois, à Tokyo. Arakimentari est le fruit de ses observations.
Par Alexis Thibaut.
2. “Crash” de David Cronenberg (1996)
Sorti en 1996 et récompensé du Prix spécial du jury à Cannes, Crash de David Cronenberg pourrait se résumer ainsi : un film de charme BDSM. Evidemment, son scénario va beaucoup plus loin. Adapté d'un roman de J.G. Ballard – écrivain de science-fiction et d'anticipation sociale britannique décédé en 2009 –, Crash dessine les obsessions d'abord sexuelles, puis morbides d'un couple de nantis libertins. Après un accident de voiture quasi mortel, le mari, James Ballard entamme une relation extra conjugale avec la femme qui l'a percuté, Helen Remington. Obnubilé par cette dernière, le blessé la suit partout, se colle à elle, la pénètre, aussi bien sur le siège poussièreux d'une voiture cabossée que sur son pare-brise fissuré. Car pour rugir de plaisir, cette maîtresse se contente de peu : après l'orgasme, elle veut entendre un moteur démarrer et un frein à main se desserrer. Membre d'un groupe aux sexualités stimulées par les accidents de la route, Helen, aussi glaciale qu'ardente, mène le néophyte James vers Vaughan, un cascadeur loufoque et balafré, qui initiera bientôt le couple Ballard à des rites charnels mortuaires où se confondent odeurs de sperme, de sang et de tôle calcinée. Plus qu'un film décortiquant les liens entre érotisme et technologie, Crash est un hommage à l'amour.
Par Chloé Sarraméa
3. “Je, tu, il, elle” de Chantal Akerman (1974)
Cloîtrée dans sa chambre minuscule, comme séquestrée par un plan fixe, Julie se gave de sucre en poudre et s’efforce de rédiger une lettre qu’elle ne finira jamais. Elle est le “Je” qui s’adresse au “Tu” invisible mentionnés dans le titre du film. Plus tard, elle quitte sa chambre et rencontre “Il” (Niels Arestrup), avant de tomber dans les bras d’“Elle” (Claire Wauthion)… C'est en 1974, à l'âge de 24 ans, que la jeune Chantal Ackerman se lance dans Je, tu, il, elle, récit sentimental troublé où elle démolit la narration à coups de monologue et de plans séquences. Un film en noir et blanc à la lenteur somptueuse. Parfois qualifié d’égocentrique – Akerman se glisse dans la peau du Je –, ce long-métrage en trois parties a été tourné en huit jours avec un budget d’à peine 7 000 euros. Ici, il est question de “rapports”, dans tous les sens du terme. Si le cadrage et la lumière conversent, finalement, davantage que les personnages, Chantal Akerman s'impose comme une cinéaste du vrai qui fabrique “l’effet réel”. L’apogée du film : une scène de sexe lesbien intense où les respirations érotiques ont des allures de dialogue. Sur le lit défait, le roulé-boulé lamentable des deux femmes génère un effet de réalisme justement par son manque d’esthétisme. Dans cette étreinte ardente, presque féroce, elles s’enlacent pour s’appartenir, bien loin des lolitas aux poses lascives. “Dire que Julie est homosexuelle serait l'enfermer là-dedans, et si la scène d'homosexualité est particulièrement violente, c'est que l'amour est violent, c'est tout. Je présente l’amour aussi simplement et naturellement que s'il s'agissait d'un rapport entre un homme et une femme”, expliquait alors Chantal Akerman, qui s'est suicidée en 2015 à l'âge de 65 ans. Elle laisse derrière elle cet extraordinaire film expérimental, une révolution visuelle, et sexuelle.
Par Alexis Thibault
4. “L’empire des sens” de Nagisa Ōshima (1976)
Présenté au Festival de Cannes en 1976, L’Empire des sens de Nagisa Oshima bouleverse par sa puissance érotique. Ce duel amoureux défiant tous les tabous sexuels lui vaudra d’ailleurs plus de vingt ans de censure au Japon. L’œuvre ressemble à l’un de ces rêves dont le souvenir demeure confus. Cela débute doucement, presque banalement. Puis le film vous prend, et finalement vous enferme dans la spirale folle et troublante de l’amour physique. Empire, emprise : voilà un film impérieux qui tient toutes les promesses de son titre français. Le titre japonais a aussi son intérêt : Corrida de l’amour. Car il est en effet question d’amour entre Sada et Kichi. Un amour vorace, à huis clos, qui leur fait oublier le reste du monde. Leur désir n’attend pas. S’ils s’aventurent au-dehors, les amants y font aussi l’amour, le monde devenant une vaste chambre à coucher. Acte politique s’il en est – “faites l’amour pas la guerre” – dans un Japon militarisé, répressif et où Sada et Kichi, montrés du doigt, se marginalisent peu à peu. Mais rien ni personne ne saurait les gêner. Leur frénésie sexuelle est telle qu’elle vampirise autrui. Geïsha, servante, patronne d’auberge... tout corps mis en leur présence est amené, de gré ou de force, de près ou de loin, à entrer dans la danse, pris dans la centrifugeuse de leur tourbillon charnel. Corrida aussi. C’est-à-dire lutte à mort dans une arène et crescendo de piques, de passes, de banderilles, avant l’ultime coup de grâce. L’Empire des sens raconte cette empoignade sensuelle et fatale entre deux corps, cette succession de joutes jusqu’à l’estocade finale.
Par François-Guillaume Lorrain
5. “Baise-moi” de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi (1999).
Rendue célèbre grâce à l'immense succès rencontré par son personnage de Vernon Subutex, l'écrivaine Virginie Despentes a, dès ses débuts, fait irruption dans la littérature française par ses mots crus, sa radicalité et son propos volontairement trash. En 1999, elle adapte son roman sulfureux Baise-moi au cinéma avec Coralie Trinh Thi. Le long-métrage crée la controverse. Dans ce road-movie où les scènes de sexe ne sont pas simulées, deux nanas explosives – une prostituée et une actrice X –, règlent leurs problèmes à coup de 9mm. Les uns affirment que Virginie Despentes filme le désespoir avec justesse : la pornographie sert le discours de son œuvre hyper réaliste sans être malsaine. D’autres verront au contraire en Baise-moi un revival hard et morbide de Thelma et Louise, condensé de subversion bas de gamme à grand renfort d’hémoglobine injustifiée.
Par Alexis Thibault