Tahar Rahim, l'acteur français le plus international
Il y a treize ans, Tahar Rahim crevait l’écran dans Un prophète, de Jacques Audiard, qui racontait la trajectoire d’un délinquant malhabile devenu un grand criminel. Grâce à son intense prestation, le jeune acteur inconnu du public et d’une grande partie de la profession décrochait en 2010 un double César, celui du meilleur espoir masculin, et celui du meilleur acteur à la barbe d’Yvan Attal, François Cluzet et Vincent Lindon (doublé interdit depuis par l’Académie). La suite l’a prouvé : ce surgissement n’avait rien d’un hasard. La carrière du natif de Belfort s’étend aujourd’hui dans le monde entier. Au moment où nous lui parlons, il tourne à Boston Madame Web, une superproduction Marvel dans laquelle il partagera l’affiche avec Dakota Johnson, Adam Scott et Sydney Sweeney. Il y a quelques mois, c’est sur le plateau de Ridley Scott qu’il côtoyait Joaquin Phoenix pour le futur biopic de Napoléon. Un art du décentrement dont il a fait un principe. “Entre France et États-Unis, j’aime l’alternance. Et je vois même au-delà des deux. J’adorerais me retrouver sur un film en Corée, en Amérique du Sud, en Angleterre. L’équilibre, chez moi, c’est de ne pas rester au même endroit.”
Cette idée du déplacement permanent, Tahar Rahim a tout fait pour la rendre possible. Il s’est très vite mis en position de tourner loin de ses bases, avec le réalisateur chinois Lou Ye (Love and Bruises, 2011), l’Iranien Asghar Farhadi (Le Passé, 2013), l’Allemand Fatih Akin (The Cut, 2014) puis le Japonais Kiyoshi Kurosawa (Le Secret de la chambre noire, 2016), ce qui fait de lui l’acteur français le plus international et le plus surprenant. Sa conquête hollywoodienne, la plus difficile, c’est lui qui l’a façonnée. “C’était un moment charnière car j’ai travaillé comme un forcené, fait mes allers-retours à Los Angeles à coups de deux semaines là-bas tout seul, travaillé l’anglais constamment... À un moment, les choses se sont débloquées.”
Tahar Rahim, une valeur sûre du cinéma
La question se pose aujourd’hui de savoir si Tahar Rahim se considère encore comme un acteur français. Sauf que pour lui, l’enjeu se situe ailleurs. Sa définition de “l’actorat”, comme il le nomme, trouve ses racines dans une conviction personnelle, où le mélange des genres et des expériences compte plus que tout. “Je me suis toujours dit qu’un acteur est celui qui essaie de passer les frontières. Il ne faut pas avoir peur de les abolir. C’est inhérent à mon projet. Il y a beaucoup d’univers différents à l’intérieur même de l’Hexagone, la France n’a pas une seule voix. Quand on ajoute l’étranger, cela devient encore plus vertigineux.” La multiplicité en actes, l’acteur de Grand Central de Rebecca Zlotowski (2013) l’a connue dès son plus jeune âge, dans la cité belfortaine où il a grandi, jusqu’à ses 19 ans, fêtés en l’an 2000. “Socialement, de là où je viens, on a toujours été ensemble et différents. C’était un mélange de cultures, d’origines, de musiques, d’arts culinaires, d’arts plastiques, de jeux, de langues. Tout ça, c’était notre enfance.”
Aujourd’hui marié à l’actrice Leïla Bekhti et père de trois enfants, entre cinéma et séries, Rahim s’est installé comme une valeur sûre parmi les leading men internationaux. C’est d’ailleurs en évoquant la série Le Serpent, mise en ligne en 2021 sur Netflix, que le comédien réputé incroyable travailleur – “Je ne peux pas arriver sur un tournage les mains dans les poches”, confirme-t-il – nous éclaire sur son art très personnel du jeu : “Je devais jouer un psychopathe [le héros de cette série tirée d’une histoire vraie tue plusieurs touristes] mais moi, Tahar, et lui, Charles Sobhraj, on était trop opposés. J’ai cherché une connexion, je ne la trouvais pas. Et puis un dialogue m’a frappé sur le tournage, quand il dit : ‘Si j’avais dû attendre que le monde vienne à moi, je serais encore en train d’attendre. Tout ce que j’ai eu, je suis allé le prendre.’ Là, j’ai compris que nous avions quelque chose en commun, car cela ressemblait à ce que j’ai dû faire pour devenir acteur.”