Une star de la télévision devenue actrice majeure du cinéma français
Sa trajectoire mérite le respect, l’intensité de son jeu provoque l’admiration. En à peine plus d’une décennie, Virginie Efira est devenue l’actrice majeure de sa génération, jusqu’à récolter en un temps record ce que d’autres mettent une vie entière à obtenir (ou à regretter) : six nominations aux César et une statuette empochée, mais aussi une variété d’approches et de rôles sans équivalent aujourd’hui.
La Franco-Belge a joué une nonne du XVIIe siècle en proie au démon de la chair (Benedetta), une journaliste amoureuse d’un homme plus jeune qu’elle (20 ans d’écart), une somme d’héroïnes à la fois glamour et ancrées dans le quotidien (Victoria, Sibyl, Un amour impossible) ou confrontées à un tournant de leur vie (Les Enfants des autres, Revoir Paris, L’Amour et les forêts). Virginia Efira vient d’avoir un deuxième enfant en août 2023 avec son compagnon, l’acteur Niels Schneider. Au moment où nous la rencontrons, elle n’a pas encore repris le chemin des plateaux. “Mais j’aimerais bien”, nous glisse celle qui a décidé de rattraper le temps perdu.
Star de la télé durant les années 2000 – elle a notamment présenté l’émission Nouvelle Star, sur M6 –, Virginie Efira n’a pas connu le passage par la case “jeune actrice”, qui a distingué tant de grandes comédiennes, d’Isabelle Huppert à Isabelle Adjani. “J’ai commencé aux yeux de l’industrie autour de 30 ans. Au moment du tournage de 20 ans d’écart, j’ai 34 ans et je joue une femme de 40 ans. Cette case ‘jeune actrice’, je l’ai seulement connue dans des théâtres des faubourgs de Bruxelles. Plutôt un bon souvenir pour moi, moins peut-être pour les spectateurs.” [Rires.]
Même si ses premiers pas au cinéma ont pris du temps, Efira y est arrivée avec un vécu, doublé d’un imaginaire de comédienne et d’amatrice de cinéma. “J’ai toujours eu envie d’être actrice. Ado, j’écrivais mes propres critiques que personne ne lisait. Je pense que les films américains des années 90, je les ai tous vus, les bons comme les mauvais. Il y a eu, par l’intermédiaire d’une vieille tante, la découverte du cinéma asiatique, même si, par esprit de contradiction, je n’avais pas envie de la suivre au début.”
Virginie Efira, une cinéphile qui connaît ses classiques
Peu à peu, une cinéphilie s’est forgée. “On n’avait pas autant de choix qu’aujourd’hui et il était possible d’emprunter des chemins de traverse. Ce qui est intéressant, très jeune, c’est le choc esthétique avant même de saisir ce qu’il y a derrière. Godard ou Hitchcock, si on les croise à un certain âge, on est marqué. La première fois que j’ai vu Vertigo [Sueurs froides], autour de 12 ans, je n’ai certainement pas capté l’essence de ce que le film raconte, ce que veut dire aimer, la part d’illusion dans ce sentiment. Mais il y avait les couleurs, une impression qui s’est imprimée très fortement.”
Laisser une trace sur la rétine et dans le corps, voilà ce dont le cinéma est capable pour Virginie Efira, dont l’amour des films est très vite passé par une admiration spécifique pour les actrices. “Je me souviens de la séance de Rosetta des frères Dardenne, à 10 heures du matin, la découverte d’Émilie Dequenne. Opening Night, avec Gena Rowlands, n’est jamais parti de moi. Sur l’idée de la féminité, je me souviens très fort d’All That Jazz [Que le spectacle commence] de Bob Fosse, dont il se dégageait un truc sexy et autoritaire venant des actrices. Je n’arrivais jamais à percevoir une infériorisation du féminin au cinéma, parce qu’il y avait l’idée du corps, le corps qui ne diminue pas.”
Bouillonnante, alerte, manifestement amoureuse du mouvement, Virginie Efira est capable de saillies dévoilant les clés de l’actrice engagée physiquement et moralement qu’elle est devenue, résultat d’une lente maturation. Longtemps, elle a su attendre, malgré une réalité dissonante par rapport à son envie. “Quand tu viens de la télé, c’est déjà sympa qu’on t’offre des rôles. Vu mon apparence, on me proposait des comédies romantiques. Je pouvais éprouver une certaine frustration, mais j’ai choisi de l’accepter. Si ça résiste face à moi, inutile d’insister, alors qu’est-ce que j’en fais ? Les rôles comiques me permettaient de regarder du côté de Drew Barrymore. Je voyais Amour et Amnésie qui me transperçait. Ou bien Music and Lyrics [Le Come-back], avec Hugh Grant. J’aime toujours beaucoup 20 ans d’écart. Est-ce que tu dois te défaire de tout le champ esthétique et philosophique parce que tu tournes un film comme ça ? Ou bien est-ce que tu peux apporter quelque chose en quoi tu crois, en prenant en compte qui tu es ?”
La réponse se trouve (forcément) dans les questions que Virginie Efira pose avec conviction, avant d’éclairer ses choix par un aphorisme improvisé : “Si c’est pour rester dans les mêmes eaux, ne pas trouver de sens parce tout est un peu aplati, charge-toi d’agrandir un peu les choses.” Au-delà de son image souriante, voire romantique à souhait, Virginie Efira montre à travers ses rôles, si ce n’est une forme de dureté, en tout cas une volonté d’avancer qui laisse une bonne place à l’intranquillité.
Dans Revoir Paris, elle incarne la survivante d’une attaque terroriste. Dans Les Enfants des autres, une amoureuse qui interroge son rapport à la maternité. Dans L’Amour et les forêts, elle est la victime d’un homme violent. Le monde lui impose des épreuves qu’elle traverse, ni tout à fait réaliste, ni tout à fait hors-sol, avec un style hybride. “Dans mes rôles, il y a souvent l’idée de relever la tête dans l’effort. C’est peut-être ce que je dégage. Quand j’étais plus jeune, on parlait de moi comme d’une girl next door accessible. Eva Green, ce n’est pas ce qu’elle évoque, par exemple. [Rires.] Puis il y a mes fantasmes de cinéma qui me poussent vers une sophistication. L’intéressant, c’est de ne pas savoir, mais de pressentir une exploration possible. Quand je vois Cate Blanchett dans Tár, je trouve qu’elle invente quelque chose de nouveau.”
Une actrice proche des réalisatrices, de Justine Triet à Rebecca Zlotowski
La sophistication et l’engagement, Virginie Efira les a rencontrés avec Justine Triet, la cinéaste qui a fait d’elle une comédienne regardée différemment. C’était en 2016, avec le très beau Victoria, l’histoire d’une avocate prise dans les rets de la vie des autres et dans les abîmes de ses propres névroses carabinées. Un film génial, au souffle constant, chevillé aux sensations de son personnage principal.
La collaboration s’est poursuivie avec le conceptuel Sibyl, où Virginie Efira interprète une psy se remettant à écrire face à une patiente qui lui ouvre des horizons. Deux grandes réflexions sur l’art et la vie. “Avec Justine, c’était une sorte d’évidence. Avant elle j’appartenais à un cinéma que j’étais complètement prête à aimer et à accepter, avec une dimension populaire. La liberté, on peut la trouver partout. C’est aussi ce qui m’intéresse dans une série comme Tout va bien [sortie fin 2023 sur Disney+], toucher large tout en restant particuliers. Mais ma rencontre avec Justine a changé beaucoup de choses car elle avait envie de me filmer, sans snobisme. Elle ne se disait pas que de moi elle allait faire une autre. Il y a eu un coup de foudre, tout simplement.”
Devant le succès hors norme que connaît aujourd’hui la réalisatrice, auréolée d’une récente Palme d’or pour Anatomie d’une chute, Virginie Efira se dit “très heureuse” et pointe ce qui les rassemble. Entre elles, une éthique de travail s’est installée, faite de désirs compatibles. “Comme Justine veut faire entrer du vivant dans son cinéma, elle brûle les frontières entre réel et fiction, ce qui enlève toute sacralisation du moment où on tourne. Cette chose-là me va très bien. Il s’agirait qu’on vienne de quelque part et qu’on aille vers autre chose, ensemble. Tout ce qu’elle veut raconter m’intéresse, y compris la maternité. C’est comme si je pouvais utiliser ce que j’ai connu, mais d’une autre manière, pour le tordre. J’ai découvert une forme d’intimité à l’écran à laquelle je n’avais pas eu accès avant.”
Si elle refuse “de réduire les enjeux à un regard de femme”, Virginie Efira a tourné plus qu’aucune autre comédienne de sa trempe avec des réalisatrices, de Catherine Corsini à Emmanuelle Cuau, en passant par Marion Vernoux, Alice Winocour, Valérie Donzelli ou encore Delphine Deloget. À propos de Rebecca Zlotowski, elle parle d’une “symbiose” lors du tournage des Enfants des autres, se souvenant du mélange de drôlerie et d’analyse de la cinéaste. “On sait qu’on va tous crever, on est au courant. En travaillant sérieusement, Rebecca ne se prend pas au sérieux. Elle est une intellectuelle, ce que je ne suis pas. Moi, je suis une cérébrale.” On s’arrête quelques instants sur ce mot. “‘Cérébrale’, cela veut dire qu’il y a chez moi une volonté de tout comprendre, sans certitude d’y arriver. Jouer, c’est tenter de s’affranchir un peu de cette tendance. Je me souviens d’avoir dit au réalisateur Bruno Dumont que je trouvais pas mal qu’un acteur se défasse de son cerveau. Il était d’accord !”
Saint Laurent et Virginie Efira, une histoire de mode
Aujourd’hui, Virginie Efira est parvenue à un tel degré de maîtrise et de lâcher-prise simultanés que l’on perçoit en elle la quintessence de l’actrice contemporaine. Avec, dans sa panoplie, comme dans celle de beaucoup de comédiennes, le rapport à la mode et aux marques, une direction qu’elle prend auprès de Saint Laurent. “Il y a l’arrière-plan, la base solide, ce à quoi tu crois, là où tu as l’impression que, dans un collectif, tu peux jouer un rôle. C’est-à-dire les films que tu choisis. Si quelque chose fait sens pour toi, alors l’avant-plan, celui de l’image, produit du sens également.”
Elle évoque sa rencontre “passionnante” avec Anthony Vaccarello, la manière qu’a le créateur de capter une élégance minimaliste. Avec, en toile de fond, un rapport intense à l’icône de la mode qu’était M. Saint Laurent. “La première fois que j’ai eu suffisamment d’argent pour m’acheter une tenue, c’était chez Saint Laurent. Avec le visage que j’avais et une forme de rondeur, le côté strict me convenait. Dans l’histoire de la marque et les femmes que Saint Laurent a habillées, j’aime ce que le vêtement laisse percevoir de ce qu’elles ont fait avant, de ce qu’elles vont faire après. Tout cela raconte quelque chose d’une féminité, d’une libido, d’une sexualité.”
Actrice à éclosion tardive, Virginie Efira multiplie les expériences et tente de se défaire des certificats de “bon jeu” qui mettent une mauvaise pression. “L’histoire d’une actrice se raconte aussi dans les interstices. Bien jouer ou mal jouer restent des notions vagues. On juge à coups de ‘elle n’est pas bien’ ou ‘elle est étincelante’, mais je ne me dis jamais que je peux rater une scène, car, quelque part, je ne peux pas la réussir non plus. Tourner, c’est essayer d’être ensemble pour capter quelque chose.” Cette approche mène loin, vers toutes les conquêtes possibles. “Tu peux être un instrument et en même temps raconter une histoire à l’intérieur des choses, en apportant ce que tu es. Évidemment, si tu attends d’avoir la filmographie de Catherine Deneuve pour te l’autoriser, c’est probable que tu attendes longtemps.”
Certes, Virginie Efira n’est peut-être pas encore Catherine Deneuve, mais elle trône tout en haut du cinéma français. “Il y a ces moments, plus ou moins furtifs dans la carrière d’une comédienne, où tu peux choisir. Moi, ça ne fait pas très longtemps et ça ne va peut-être pas durer très longtemps. Comment faire pour ne pas être seulement dans le ‘je lis, j’accepte ou je refuse’ ?” L’une des solutions trouvées par la comédienne consiste à repérer des ouvrages qu’elle aimerait voir adaptés. “Ce week-end, j’ai rencontré un réalisateur que j’avais sollicité, avec un livre comme base d’échange. Je ne peux pas patienter jusqu’au moment où le désir de l’autre se manifeste, je n’aime pas trop l’attente. Dans l’attente, je vois l’idée de la muse, et ce n’est pas pour cela que je fais ce métier.”
Retrouvez Virginie Efira dans la série Tout va bien de Camille de Castelnau, sur Disney+ et dans les films Sybil et Victoria sur Netflix.