Architecte, designer, mais aussi théoricien, Ettore Sottsass fut le fondateur – et l’âme – du célèbre groupe Memphis. Également photographe, le maître italien qui réfutait le qualificatif d’“artiste” disparut en 2007. Cette année, à l’occasion du centenaire de sa naissance, la cité des Doges l’honore de deux expositions distinctes. Ettore Sottsass: The Glass, très dense, met l’accent sur sa production en verre et en cristal. Plus concise, Dialogo présente son travail autour de la céramique.
Présentée à la Fondation Giorgio Cini/Le Stanze del Vetro, sur l’île de San Giorgio Maggiore, l’exposition consacrée au verre réunit plus de 200 pièces datant de 1947 à 2007, issues en partie de la collection du galeriste néerlandais Ernest Mourmans. Nombre de créations y sont montrées pour la première fois, telles ces sculptures commandées en 1999 par feu le cheikh Saud bin Mohammed al-Thani pour sa propre demeure, la Millenium House, à Doha (Qatar). L’ensemble est présenté dans une scénographie conçue par l’agence newyorkaise Selldorf Architects.
Coïncidence géographique, c’est à Venise, sur l’île de Murano, à quelques encablures à peine du lieu de cette présentation, qu’Ettore Sottsass se familiarise avec le verre. Dans les ateliers Toso Vetri d’Arte, Venini et Vistosi, il dessine luminaires, objets décoratifs et autres sculptures. Quel que soit le registre, l’homme bouscule les traditions ancestrales, n’hésite pas à superposer différentes couches de verre pour créer des combinaisons sophistiquées de couleurs.
Ce parcours décortique deux facettes du travail de Sottsass. D’un côté, la production de masse et la précision industrielle d’objets siglés Alessi, Baccarat, Egizia, Fontana Arte, Serafino Zani ou Swarovski. De l’autre, son œuvre artistique, riche et variée, qu’il s’agisse de pièces uniques ou de séries limitées. “Le verre est un médium pur et mystérieux, qui provient d’une alchimie entre des éléments naturels transformés par le feu”, explique Luca Massimo Barbero, directeur de l’Institut de l’histoire de l’art de la Fondation Giorgio Cini et commissaire de l’exposition. “Les pièces de verre de Sottsass sont des organismes complexes dessinés comme s’ils étaient des personnages. L’artiste-architecte dépasse les frontières techniques des objets et les amène à la vie.” Ainsi en est-il de la multitude d’œuvres réalisées, à partir de 1998, par les habiles souffleurs du Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques (CIRVA), à Marseille. Celles-ci jouent à l’envi sur les contrastes entre transparence et opacité, et Ettore Sottsass n’oublie pas l’humour, comme le montre la série inspirée des poupées votives des Pueblo (Indiens des États-Unis), baptisée Kachinas. Imposantes, ces créations en verre soufflé, aux couleurs gaies, sont néanmoins raffinées et ne s’interdisent pas une certaine fantaisie, d’autant qu’elles campent, parfois, des silhouettes anthropomorphes.
Paire de vases, modèle 183 (petit modèle) et modèle 182 (grand modèle) [1959], terre blanche émaillée, haut. : 16 cm, diam. : 17 cm et haut. : 18 cm, diam. : 11 cm. Exposés en 1958 à la Galerie Il Sestante, édité par Bitossi.
Déployée dans le Negozio Olivetti – sublime écrin, signé du Vénitien Carlo Scarpa, blotti sous les arcades de la place Saint-Marc – la seconde exposition est entièrement focalisée sur la céramique. Orchestrée par l’architecte français Charles Zana, celle-ci rassemble une soixantaine de pièces issues de collections particulières, dont une grande partie a été éditée, à la fin des années 50, par la galerie milanaise Il Sestante. Monochromes ou bariolées, moulées ou façonnées à la main, lisses et émaillées ou en terracotta rugueuse, d’un seul tenant ou constituées de plusieurs éléments, ces œuvres traduisent une évolution constante du style de Sottsass. “Dans sa production en céramique, il y a eu une période bénie d’une petite quinzaine d’années, en gros de 1955 à 1969, pendant laquelle il a réinventé de manière magistrale ce matériau traditionnel qu’est la terre”, raconte le commissaire de l’exposition, Charles Zana. “Sottsass allie alors les techniques ancestrales de la poterie italienne à sa vision d’architecte contemporain et engagé, allant même jusqu’à distiller, à l’intérieur des pièces, ses humeurs, sinon ses états d’âme.” En témoignent, entre autres, les fameuses Ceramiche delle tenebre (“Céramiques des ténèbres”). En 1961, souffrant d’une grave néphrose, Ettore Sottsass frôle la mort. Soigné dans un centre hospitalier de Palo Alto, en Californie, il s’en sort de justesse et, de retour en Italie, exorcise aussitôt ses démons en exécutant cette splendide série – dont quelques spécimens sont ici présentés –, de laquelle sourd un profond mysticisme.