Il a lancé ce mois-ci trois nouveaux modèles, Pulsar, Reflex et Fuse, qui viennent s’ajouter aux références déjà disponibles. Numéro a saisi l’occasion pour s’entretenir avec le créateur belge au sujet de sa passion pour les meubles de collection et le design industriel.
Numéro : Vous avez étudié le design industriel, pensiez-vous un jour y revenir ?
Raf Simons : J’ai toujours pensé que le design d’objets était un très beau métier. Je m’en suis éloigné parce que c’est un domaine un peu isolé. Mais le fait de travailler dans l’industrie de la mode, avec le rythme qui s’est tellement accéléré depuis quelques années, m’a donné envie d’y revenir. Cela avait vraiment du sens pour moi.
Vous avez utilisé certains des tissus que vous avez faits pour Kvadrat dans vos collections de mode, comment concevez-vous le rapport entre ceux deux activités ?
Il s’agit d’une influence mutuelle. Kvadrat est une très belle marque avec un héritage intéressant. Une société qui se donne le temps nécessaire pour développer ses produits. C’est très important à mes yeux. Les exigences techniques pour les tissus d’ameublement sont bien sûr très différentes des standards de la mode. D’une certaine façon, les contraintes sont donc plus fortes dans l’ameublement, car les tissus doivent être résistants. Mais c’est très beau de se dire que ces tissus sont conçus pour durer, pour traverser le temps. C’est l’attitude de Kvadrat, et c’est aussi la mienne. Nous développons trois tissus par an. C’est très satisfaisant de développer une collection qui grandit peu à peu, sans se démoder, en incorporant de nouvelles. Il faut être cohérent, mais aussi novateur en termes de structure, de couleur.
Vous êtes célébré, dans le monde de la mode, pour votre grand talent de coloriste. Est-ce le point de départ de votre travail avec Kvadrat?
Oui, c’était un des points de départ. J’aime l’idée de regarder les couleurs différemment. Lorsque j’ai commencé à proposer des couleurs fortes, je travaillais pour Jil Sander, une marque qui n’est pas vraiment associée à cela puisque ses codes sont le noir, le marine, le blanc et le camel. Or plus j’étais aspiré par le rythme de la mode, plus j’étais attiré par la nature. Et cela a totalement changé ma perception de la couleur. En regardant attentivement les fleurs, par exemple, j’ai réalisé qu’elles étaient constituées d’une myriade de couleurs. J’ai donc commencé à envisager la juxtaposition de couleurs de façon très différente, en juxtaposant par exemple deux couleurs complémentaires. Dans le domaine des tissus d’ameublement, il faut être très prudent avec ce genre de jeu sur la couleur, bien sûr. Je suis passionné de mobilier, j’ai toujours suivi de près les évolutions du design, et j’ai souvent été sceptique devant l’usage de couleurs très vives. Dans le domaine du mobilier, c’est vraiment très délicat. J’essaie de garder cela en tête dans mon travail avec Kvadrat, pour trouver le juste équilibre entre le classicisme et l’expérimentation.
L’artiste Sterling Ruby a collaboré avec vous sur une de vos collections, que pensez-vous de son propre travail sur les textiles ?
Je trouve très intéressante la façon dont il utilise les textiles dans ses œuvres. Il a commencé par décolorer certains tissus, puis il s’est mis à les teindre. Il peut les délaver, ou peindre dessus. Le textile fait réellement partie de son mode d’expression.
Dans votre travail avec Kvadrat, avez-vous eu le désir de proposer des tissus précieux, comme de la haute couture, ou au contraire, étiez-vous ravi de vous plier à un exercice plus industriel ?
Je ne voulais surtout pas faire de tissus arty, mais des tissus qui seraient réellement appliqués au design industriel. Actuellement, l’intérêt se porte sur des pièces des années 50-60, françaises ou italiennes. Or le modernisme était radical en termes de formes, mais pas très créatif en termes de textiles. Les éditeurs tels que Cassina ont donc utilisé mes tissus pour des rééditions de pièces vintage.
Pourquoi proposez-vous également des coussins ? Etait-il important pour vous de concevoir des objets?
Je collectionne des meubles depuis plus d’une dizaine d’années, c’est réellement une de mes passions. Je suis fasciné par les objets très précieux que produisent les galeries aujourd’hui, mais au fil du temps, je suis venu à la conclusion que je préfère les pièces fonctionnelles. Je reste fidèle au design des années 50. Et je suis très intéressé par la façon dont nous vivons dans la sphère domestique. Je suis même assez romantique à cet égard. Si les gens s’attendent à ce que j’aie une attitude arty et distante, ils ont clairement une fausse impression de moi. J’aime les feux de cheminée, les coussins, les couvertures et les canapés.