© Monica Feudi.
Silence monacal au défilé Yohji Yamamoto
Le 29 février dernier le défilé The Row des sœurs Olsen n’autorisait pas les téléphones portables et proposait à la place des blocs-notes pour documenter le défilé. Une évocation d’un autre temps, qui force la réflexion sur notre capacité à voir les vêtements et non uniquement le spectacle de célébrités et scénographie amené par les défilés. De quoi alimenter le débat autour de l’apparente démocratisation de l’industrie du luxe à travers sa digitalisation. Le défilé Yohji Yamamoto automne-hiver 2024-2025 interroge ces préconçus à sa manière, et rappelle que la mode est aussi une question de perspective.
Filmés ou photographiés, les vêtements de mode sont souvent immortalisés de face ou de dos. Un point de vue qui ne fait pas honneur aux 34 silhouettes que le créateur japonais a imaginé à partir du profil. “Je crée quatre collections par an et, dernièrement, le corps féminin m’ennuie. Pour moi, la forme est ennuyeuse alors je voulais créer quelque chose de spécial ”, nous a expliqué le créateur japonais à la fin de son défilé. “Lorsque je regarde les femmes, j’apprécie leur profil. Le profil, c’est notre beauté. Raison pour laquelle le dos d’un vêtement est très important”.
La collection automne-hiver 2024-2025, une continuelle réflexion sur la forme
Pratiquement toutes taillées dans un noir profond éclairci à certaines occasions par un blanc tranchant, les silhouettes imaginées par Yohji Yamamoto sont travaillées dans des volumes qui imposent une nouvelle forme au corps féminin. Les épaules sont surélevées par endroit, le dos s’orne d’empiècements en trois dimensions, les robes reprennent des lignes géométriques, les cols sont structurés. Au milieu du défilé le tartan s’invite, insèrant des touches de rouges et de gris, de vert, de marron, de bleu…
Un jeu d’imprimé qui ajoute de l’audace à l’allure des silhouettes et révèle la manière dont Yamamoto construit ses silhouettes. Le créateur, connu pour son amour de la musique, a fait le choix d’espacer les morceaux de jazz et de rock japonais qu’il a sélectionnés par des silences. Lorsqu’on lui en demande la raison, il nous répond : “Je me pose la même question”. Peut-être que c’est sa manière à lui de nous pousser à nous attarder sur l’allure des silhouettes, leur mise en mouvement.
En conclusion, quatre silhouettes grises font leur entrée et affirment les codes qu’il a dévoilés au fil du défilé. Le volume des épaules, la ligne d’un manteau, le flou d’un pantalon… À l’instar des toiles à partir desquelles les ateliers de mode commencent souvent le modélisme de leurs vêtements.
Au début de notre courte entrevue, alors qu’on l’interrogeait sur ce qui avait inspiré le défilé automne-hiver 2024-2025, Yohji Yamamoto nous a demandé de préciser auquel nous faisions référence. C’est presque le meilleur résumé du travail du créateur, tant la question révèle la manière dont il perçoit sa carrière.
Du haut de ses 80 ans, hors du système de tendances, il nous rappelle que ses collections s’inscrivent dans une réflexion continuelle sur la forme. Une traversée du temps à laquelle la technologie ne rend pas justice.