portraits Karl Lagerfeld
Il y a eu Alain Bernard, Camille Lacourt, Yannick Agnel, Amaury Leveaux et Frédérick Bousquet. Ouvrant la voie à ces illustres champions masculins, une femme, Laure Manaudou, inaugurait le xxie siècle en faisant soudain triompher la natation française engloutie dans le marasme depuis 1952. De 2001 à 2007, la native de Villeurbanne écrase toute concurrence sur pratiquement toutes les distances : 50 m, 100 m, 200 m, 400 m, 800 m et 1 500 m. Lorsque son petit frère Florent s’adjuge en 2012 une surprenante victoire aux jeux Olympiques sur le 50 m nage libre, certains voient dans la réussite de ce challenger, encore totalement sous les radars, un rapt facilité par l’absence de pression. Qui se souvient alors de son titre de champion de France des cadets, en 2007 ? Bon sang ne saurait pourtant mentir : ce sacre de 2012 marque le coup d’envoi d’une carrière de compétiteur hors pair. Comme sa sœur avant lui, Florent Manaudou domine sa discipline, avec une impression de facilité absolue. Avec son gabarit hors normes, 1,99 m, qui n’entrave en rien son agilité de sprinter très à l’aise sur les courtes distances, Florent Manaudou démontre des aptitudes athlétiques qui lui permettent notamment de triompher fin 2014, aux championnats du monde de Doha, sur le 50 m dos, une épreuve pour laquelle il ne s’entraîne pourtant pas. Presque gêné par sa propre performance, le très jeune homme dont les fossettes contredisent la mâchoire virile esquisse alors une moue rieuse en manière d’excuse. Les records du monde tombent, les dithyrambes s’abattent sur ses épaules telle une pluie de scories : nouveau Michael Phelps, Zidane des bassins. Mais, littéralement comme au sens figuré, Florent Manaudou a le dos large. S’y ajoutent une maturité exceptionnelle, un mental de champion, un calme olympien, une aptitude certaine à maîtriser sa communication sans excès de langue de bois, une gueule d’ange, un corps d’Apollon et un sex-appeal indéniable, un goût assumé pour les beaux vêtements. En l’espace de deux ans, Florent Manaudou a éclipsé ses aînés masculins. Il s’est surtout déjà amplement forgé un prénom. Rencontre.
Numéro Homme : Lorsque je préparais cette interview, on m’a prévenue que vous vous ennuyez facilement. La natation est un sport très répétitif, pourquoi vous être imposé un tel fardeau ?
Florent Manaudou : Je n’ai pas vraiment choisi. J’ai commencé en 1994, à presque 4 ans, en apprenant à me débrouiller dans la mer, comme mon frère et ma sœur avant moi. Je montrais clairement des aptitudes, j’ai donc poursuivi dans cette voie. Du coup, ce n’est pas vraiment une passion, c’est juste mon job. J’alterne les journées où je m’entraîne deux fois et celles où je m’entraîne une fois, car il est important d’avoir des matinées pour dormir et récupérer.
Vous faites aussi beaucoup de musculation, d’après mes informations.
Chaque semaine, trois fois une heure trente, et deux fois une heure de gainage. Cela se passe toujours avant les entraînements.
Le nageur Alain Bernard s’était attiré les moqueries parce qu’il adorait développer sa musculature, ne craignez-vous pas de tomber dans la caricature ?
C’est vrai que j’aime la musculation, c’est certainement plus fun que la natation. Peut-être parce qu’on peut parler, échanger pendant les temps de récupération. La natation, toujours la tête sous l’eau, c’est assez rébarbatif. J’aime la musculation parce que je suis assez doué, mais ce n’est pas un sport que je ferai tous les jours lorsque j’aurai arrêté de nager. Il s’agit vraiment d’un complément à la natation.
Je suppose que vous êtes doué pour tous les sports, étant donné votre gabarit ?
Enfant, j’étais déjà très doué pour plusieurs sports, mais j’ai eu quelques bons coachs de natation dès le plus jeune âge. J’ai ensuite arrêté quelque temps car, comme tous les adolescents, je n’avais pas envie de m’entraîner tous les jours, mais plutôt de traîner avec mes copains après l’école. Mon frère m’a repris en main et coaché pendant cinq ans.
La natation est donc vraiment une histoire de famille…
Mon frère, ma sœur et moi avons tous trois nagé. Mon frère moins longtemps que nous, mais tout de même une dizaine d’années. Il est ensuite devenu coach. Il nous a même entraînés ensemble, ma sœur et moi, en 2007. Mes parents n’étaient pas nageurs, mais ils sont tous deux très sportifs.
Avez-vous grandi dans une rivalité fraternelle, particulièrement avec Laure qui s’est engagée sur cette voie avant vous, étant votre aînée ?
Non, car les garçons doivent vraiment nager beaucoup plus vite que les filles. Battre les temps de Laure n’était donc pas un objectif en soi, même si les premières fois où j’ai nagé aussi vite qu’elle, vers l’âge de 14-15 ans, j’étais tout de même content. Nous n’étions pas en rivalité, et aujourd’hui encore, chacun de nous gère sa carrière de son côté. Cela lui fait plaisir que je gagne des médailles, cela me fait plaisir qu’elle en gagne.
Les commentaires ont été assez durs lorsqu’elle a décidé d’arrêter sa carrière, comme si sa décision personnelle devenait un enjeu de luttes féministes. En tant que garçon, vous n’aurez pas ce genre de problème…
Les commentaires ont été très durs parce que le public, aujourd’hui, est de plus en plus exigeant avec les sportifs. Avec les réseaux sociaux, ce phénomène prend une ampleur assez incroyable. Mais les gens ne savent pas ce qu’est la vie d’un sportif de haut niveau, surtout celle de Laure, qui nageait vraiment beaucoup de kilomètres par jour, plus que moi. Cela fait déjà vingt ans que je nage, et, bien que le public m’ait découvert il y a deux ans, le travail fourni en amont est très lourd. Laure a été championne olympique à 17 ans, elle en avait 26 lorsqu’elle s’est arrêtée, elle était donc sportive de très haut niveau depuis presque 10 ans. Elle avait tout gagné, alors moi je trouve que c’est normal. Elle voulait avoir un enfant, se marier. Ce sont des choses qu’une femme veut, et quand Laure veut quelque chose, elle le veut tout de suite, comme moi. Or faire un enfant, pour une sportive de haut niveau, cela implique un choix courageux, cela nécessite un vrai sacrifice. Mais le public en veut toujours plus.
Et vous, parvenez-vous à concilier votre vie personnelle et votre vie professionnelle ?
Je fais attention car j’ai vu ce que ma sœur a vécu. Laure était vite surmédiatisée, puis il y a eu Alain Bernard et Camille Lacourt. J’ai pu observer comment ces nageurs géraient leur médiatisation. J’y parviens donc parce que, depuis l’âge de 13 ans, je vois comment cela se passe. Et puis, j’ai un vrai cocon autour de moi, à Marseille. Mon frère est arrivé cet été, je vis avec un colocataire, ma copine est auprès de moi. C’est une ville où je me sens bien, et j’arrive facilement à concilier mon travail et ma vie personnelle.
Vous menez une existence très normale et très sage, apparemment. N’avez-vous pas envie de faire quelques excès comme Michael Phelps, qui a été arrêté à plusieurs reprises pour conduite en état d’ivresse ?
Cela nous arrive à tous de faire la fête. C’est dommage pour Michael qu’il se soit fait prendre, car il a les moyens de se payer un taxi ou un chauffeur. Je fais la fête de temps en temps, mais pas très souvent, car lorsqu’on a entraînement le lundi matin, on ne peut pas se mettre la tête à l’envers le samedi soir. Les sportifs se lâchent lorsqu’ils finissent un cycle des JO, par exemple… on en profite, on se transforme en diable. Mais nous aimons aussi les moments de concentration intense, où notre vie frôle l’ascèse monastique.
Habituellement, ce sont surtout les footballeurs qui défraient la chronique avec un cocktail détonant d’argent, de sexe, d’alcool et de crimes divers. Aimez-vous le football ? Vous avez récemment déclaré que le journal L’Équipe le mettait trop souvent à la une…
J’adore le football en soi, mais je déteste tout ce qui l’accompagne : trop d’argent, trop de médiatisation. Ce n’est pas de la faute des joueurs, qui n’y peuvent rien. Je me suis aussi exprimé récemment parce que je trouvais dommage qu’un joueur parisien ait été sifflé par les supporters marseillais lorsqu’il jouait un match sous le maillot de l’équipe de France, au Stade Vélodrome [en novembre dernier, contre la Suède]. Ce sont des choses que je n’admets pas, en tant que sportif de haut niveau. Quant à L’Équipe, c’est devenu un journal de football et un journal people. Je trouve qu’il pourrait promouvoir d’autres sports, pas forcément la natation, mais l’athlétisme par exemple, qu’on ne voit que deux fois par an.
Ce journal fait simplement preuve de réalisme : ses ventes sont moins bonnes lorsque le football n’est pas à la une.
C’est exactement cela : il vise à faire du chiffre, quitte à délaisser l’information. Beaucoup de passionnés de sport se détournent de L’Équipe, qu’ils trouvent insuffisamment pointu dans de nombreuses disciplines. Personnellement, cela me fait surtout rigoler : je suis devenu le nageur le plus rapide du monde en décembre 2014, et quand j’ai battu le record, je ne figurais qu’en page 18 du premier journal sportif français. Cela m’a fait un drôle d’effet. Mais cela ne changera rien à mon record.
Êtes-vous devenu supporter de l’OM par la force des choses ? Difficile d’y échapper lorsqu’on vit à Marseille…
Je suis allé souvent au Stade, pas encore cette saison, ce qui est dommage car c’est une année faste pour l’OM [le club a terminé l’année 2014 en tête du championnat]. Je suis né à Lyon, j’y ai vécu plus de vingt ans, je suis donc supporter lyonnais par la force des choses. Quand j’étais au collège et au lycée, Lyon gagnait tout. Mais Marseille est une équipe atypique, car toute la ville voue un amour viscéral au club. Lorsque l’OM était dixième du championnat, il y a deux ans, la ferveur ne diminuait pas pour autant.
Le football est une religion à Marseille, les supporters sont prêts à s’endetter pour pouvoir assister aux matchs. Le public marseillais est un peu violent, mais il fait partie des meilleurs publics avec ceux de Lens et de Saint-Étienne. Alors lorsqu’on assiste à un match au Stade Vélodrome, on s’identifie nécessairement à un supporter de l’OM.
Vous vous êtes donc déjà battu avec des supporters du PSG à la sortie du Stade, un soir de classico [rencontre opposant l’OM au PSG] ?
Non, parce que je m’en fous, j’aime voir un classico OM-PSG pour le spectacle. Je ne suis pas un partisan hystérique. De toute façon, personne n’oserait m’emmerder parce que je mesure deux mètres. Et puis je me bats très peu, encore moins dans les stades.
Marcelo Bielsa, l’entraîneur de l’OM, est surnommé “El Loco” [le fou], mais votre entraîneur, Romain Barnier, a aussi la réputation d’utiliser des méthodes étranges…
Il faut avoir une part de folie quand on est coach. Dans la natation, c’est déjà quelque chose, mais il faut être sacrément fou pour entraîner de grandes équipes comme le Barça ou le Real, pour réussir à gérer tous ces ego. Je côtoie d’autres sportifs, et nous avons tous de fortes personnalités. Parfois, on n’a pas envie de venir nager et le coach doit gérer toutes ces humeurs. C’est un chef d’orchestre, il doit être fort pour pouvoir tenir les rênes.
Mais lorsque Romain Barnier décrit ses entraînements, il les compare à l’émission Intervilles…
Il essaie de faire en sorte que les sessions soient ludiques, car les sportifs qu’il entraîne ont pour point commun de ne pas être des nageurs dans l’âme. Nous aimons la compétition, faire des sprints dans l’eau, mais nager pour nager n’est pas vraiment notre fort. Il propose donc des petits jeux qui apportent de la variété au quotidien. C’est une approche à l’américaine, où nous progressons en
nous amusant. Auparavant, la natation était dominée par l’école russe : des entraînements longs, fastidieux et très intenses.
Pourriez-vous un jour entraîner ou encadrer des sportifs ?
Je ne me pose pas vraiment la question, mais c’est vrai que j’aime regarder des compétitions, voir comment les nageurs gèrent une finale.
Vous ne voudriez pas entraîner l’équipe de France pour la coupe Davis ?
[Rires.] C’est vrai que l’équipe de France manque d’un leader, un mec avec du charisme, qui aurait gagné de grandes compétitions… Mais j’ai cru comprendre que Yannick Noah voulait proposer ses services. Quand on a gagné, on peut expliquer aux autres comment gérer un match ou une course, car cela se passe beaucoup dans la tête. Je pense que l’équipe de France a perdu la coupe Davis contre la Suisse avant même de la jouer. Les joueurs se sont dit que Federer avait mal au dos, que c’était dans la poche. Un raisonnement très franco-français. On encense les sportifs avant même qu’ils aient prouvé quoi que ce soit : Tsonga, en demi-finale de Roland-Garros, était présenté comme le nouveau Noah… C’est un cadeau empoisonné. Avec les réseaux sociaux, nous voyons en permanence ce genre de commentaires, et lorsqu’on est au beau milieu d’une compétition majeure, cela met une pression énorme.
N’avez-vous pas pour politique, afin de vous protéger, de vous couper de tout cela ?
C’est compliqué. On nous envoie des messages, et c’est difficile de ne pas les regarder. Philippe Lucas [entraîneur de Laure Manaudou] interdisait à ma sœur de lire les journaux sportifs avant les championnats. Une heure avant ma course, je coupe mon portable et je ne parle plus à personne. Il faut arriver à se mettre dans une bulle. Mais chacun gère cela à sa façon. Certains ont besoin de penser à autre chose qu’à la compétition. On ne pense qu’à ça pendant une semaine, et le fait de jouer sur son téléphone, ne serait-ce que pendant deux minutes, permet de s’évader.
Comment expliquez-vous l’esprit de compétition ? Est-il inné chez vous ou vous l’a-t-on inculqué ?
Je ne sais pas. C’est dans mes veines. Mon père et ma mère étant sportifs, ils m’ont peut-être inculqué des valeurs de sportifs. Petit déjà, lorsqu’on jouait à un jeu de société,
je ne voulais jamais perdre. Si je perdais, je boudais et je voulais rejouer tout de suite pour gagner. Je n’ai pas changé depuis. Quand je joue aux jeux vidéo avec des amis, je ne veux pas perdre. Cet esprit de compétition est à la fois un atout et un désavantage. C’est utile pour le sport, mais dans la vie de tous les jours, cela énerve parfois mon entourage. Je pense que tous les grands sportifs sont de mauvais perdants. Ils gagnent parce qu’ils ne peuvent pas supporter la défaite.
Vous avez émergé tout à coup, aux jeux Olympiques de 2012, sans suivre la progression habituelle qui consiste à battre des records de France, puis des records européens.
Oui. J’ai été champion olympique avant d’être champion de France. C’était fou, mais je ne m’en rendais pas vraiment compte. Je voulais juste prouver que j’étais bon et que je pouvais gagner la compétition. Je voulais battre les records mondiaux. Et j’étais le moins stressé de la finale, parce que je n’avais rien à perdre.
Avez-vous abordé le 50 m dos de la même manière ?
Oui. Ça passe toujours quand je suis comme ça.
C’est la décontraction, l’absence de pression qui vous galvanisent alors ?
Oui.
Sur les réseaux sociaux, vous vous affichez beaucoup avec votre petite amie. Personne ne vous fait de remarque à ce sujet ? Ni votre agent ni votre entraîneur ?
Euh… je m’affiche un peu, pas énormément. Elle s’affiche un peu plus que moi, mais ça ne me dérange pas parce que c’est ma chérie. Le public aime les informations un peu croustillantes, les entraînements et la communication des sponsors ne suffisent pas. Les fans aiment avoir accès à de petits moments de nos vies personnelles. Mais il faut faire attention, car avec les réseaux sociaux, tout peut vite être détourné. Un commentaire maladroit peut mettre le feu aux poudres. Moi, j’en ai l’habitude, ma copine un peu moins. Parfois certains commentaires sont méchants, et je lui dis de ne pas répondre. Ayant vu l’expérience de ma sœur, je garde la bonne distance, même si c’est parfois difficile.
Elle a tweeté “C’est mon Florent à moi, rien qu’à moi”, ce qui a déchaîné des rumeurs selon lesquelles elle serait très possessive.
C’est une chose qu’elle me dit simplement pour me prouver son amour, cela n’a rien à voir avec une quelconque possessivité. Je pars parfois un mois, et elle sait bien que des filles me tournent autour, nécessairement. Elle n’est pas jalouse.
Si je poste maintenant un selfie avec vous, accompagné d’une ribambelle de petits cœurs comme cela se fait sur les réseaux sociaux, elle ne viendra pas m’attendre à la sortie de ce café pour me démolir la figure ?
[Rires.] Non, je ne pense pas.
Vous avez posé en couverture de Têtu et donné une interview au magazine. Est-ce une façon pour vous de toucher un autre public ?
Depuis un an, j’essaie de ne pas apparaître uniquement dans des journaux de sport car les interviews se répètent. J’ai tourné des pubs télévisées, participé à des séances photo. J’essaie d’élargir mon public, en effet. Et j’aime autant la communauté gay que la communauté hétéro. Les gays aiment les nageurs car nous sommes rasés intégralement, très musclés, parfois tatoués. Nous sommes donc plutôt leur cible.
Vous dites volontiers dans les journaux que vous êtes un peu gras. Je ne sais pas où vous êtes allé chercher une idée pareille…
Je suis plus gras que certains sportifs, parce que j’aime la junk food, j’aime boire du Coca, je suis un mec de mon âge. Je ne fais pas vraiment attention à ce que je mange car pour l’instant, avec mes cinq heures de sport par jour, je peux me le permettre. Je suis loin
d’être un nageur sec. À l’échelle d’une personne non sportive, dire que je suis gras peut sembler étrange, mais je suis déjà monté à 107 kilos, et ce n’était pas que du muscle.
Seule une journaliste de mode a le droit de porter ce type de jugement, pouvez-vous me montrer votre torse ?
[ll soulève son pull.]
Mais non, vous êtes parfait !
J’ai tout de même des mini-bourrelets, certains nageurs sont plus secs. Mais cela ne me dérange pas. Cela m’aide même, parfois.
Parce que le gras flotte mieux ?
Oui, on flotte mieux, et je me sens mieux dans mon corps comme ça.
En parlant de vous, Camille Lacourt a dit que vous aviez une force de rugbyman avec un talent de glisse. Excusez ma blondeur, mais puis-je vous demander : qu’est-ce qu’un talent de glisse exactement ?
Lorsqu’on plonge un enfant dans l’eau, on voit immédiatement s’il est à l’aise. Moi, j’étais à l’aise tout de suite, et je reste à l’aise malgré le muscle que j’ai pris. On pourrait penser qu’avec plus de muscle, j’ai moins de finesse dans ma nage. Mais malgré ma technique qui consiste à nager les bras tendus, en éclaboussant pas mal, j’ai beaucoup
de subtilité dans ma recherche de glisse devant. J’arrive à allier la force et la finesse, et c’est pour cela que je nage vite.
On dit que vous êtes un surdoué, cela vous énerve-t-il ? C’est une façon de diminuer l’importance de votre travail.
J’ai l’habitude qu’on me dise cela. Lorsque j’aborde un sport qui n’est pas le mien, au bout d’une ou deux tentatives, j’arrive à réaliser le bon geste. Cela énerve parfois mes copains. Je sais que j’ai de la chance d’être comme ça, j’ai bien trouvé ma vocation et j’en profite. C’est sûr que
je ne suis pas un bourreau de travail, mais je fais les choses intelligemment, parce qu’on ne peut pas obtenir les résultats que j’obtiens sans un minimum de rigueur. Une réputation de feignasse me colle à la peau, mais il ne faut pas la prendre au mot.
Tous les surnoms dont on vous affuble, comme “le Colosse”, cela vous amuse ?
Ce sont souvent des surnoms façon super-héros, liés à ma taille ou à ma musculature. Je sais que, dans vingt ans, je n’aurai plus ce corps-là. Alors j’en profite, et, plus tard, je pourrai montrer tout ça à mes enfants.
En vacances, vous ne faites pas du tout de sport ?
Si, j’essaie d’en faire justement.
Et que faites-vous ?
Tout ce qui est fun. En hiver, je fais du ski, raisonnablement parce qu’il ne faut pas se blesser. Le ski fait travailler les jambes, qui étaient un de mes points faibles pendant longtemps.
Je joue au football avec des copains. J’aime les sports ludiques, où on peut rigoler. Pas de vélo ni de course à pied. Aucune discipline qui exige de se dépasser au-delà de la douleur.
Je le fais déjà toute l’année.
Vous avez avoué prendre de la créatine. Si c’est une substance inoffensive, pourquoi cette déclaration a-t‑elle suscité de tels remous ?
La créatine fait partie des compléments alimentaires que je prends. Même si les gens ne le savent pas forcément, notre corps en produit naturellement. Mais quand le
public entend ce mot, il pense forcément au dopage, parce qu’il y a eu des affaires dans le milieu du football il y a une quinzaine d’années. Mais la créatine, les acides aminés, sont seulement des substances qui aident à récupérer, pour avoir une force plus explosive. C’est comme boire de l’eau à l’entraînement, sauf que c’est un produit synthétisé. Il faudrait manger un kilo de viande pour ingérer un gramme de créatine, et le corps assimile une gélule de créatine plus facilement qu’il ne digère un kilo de bœuf ! Mais honnêtement, de nombreux sportifs en prennent. Je pense aux footballeurs, aux rugbymen, aux athlètes… Moi, malheureusement, j’ai payé pour ma franchise. La créatine n’est plus un problème dans de nombreux pays. En France, nous sommes souvent en retard du point de vue des évolutions.
Il est pourtant évident que la natation, comme tous les sports, est devenue beaucoup plus exigeante sur le plan athlétique. Tout le monde le sait bien, dans le cas du football contemporain par exemple, où les joueurs doivent faire énormément de renforcement musculaire pour être performants, et pour résister aux impacts qui sont plus violents.
Bien sûr, on voit bien que les corps des footballeurs ont changé. À sa grande époque, Platini ne ressemblait en rien à Cristiano Ronaldo aujourd’hui. Les corps des
sportifs évoluent au fil de l’exigence accrue de leur sport. Pendant longtemps, les nageurs ne faisaient pas de musculation, aujourd’hui nous en faisons tous. Nous ne prenions pas de compléments alimentaires, et maintenant c’est indispensable. Et puis, peut-être qu’un jour… Je sais que certains nageurs dorment dans des chambres hyperbares qui reproduisent des conditions de haute altitude [pour forcer l’organisme à produire plus de globules rouges]. C’est ça, le sport de haut niveau. Cela n’a rien à voir avec les 3 x 500 m qu’un nageur lambda peut faire par semaine.
À Doha, en décembre dernier, vous avez gagné le 50 m dos, alors que vous ne vous entraînez pas pour cet exercice. La presse a alors invoqué votre talent dans les coulées [propulsion sous l’eau sans mouvements de nage], précisant que vous n’aviez finalement nagé que 18 m. Est-ce une ruse de Sioux de votre part ?
J’avais tout de même quelques repères sur cet exercice, car j’ai nagé beaucoup de 50 m dos étant petit. Mais il est vrai que je suis excellent sous l’eau et dans les virages. Tous ces détails comptent énormément en petit bassin.
Finalement, après ce succès, envisagez-vous d’essayer le 100 m dos ?
Je ne pense pas. Je le laisse à Camille [Lacourt] qui est beaucoup plus fort sur cette épreuve. Avec les relais qui s’ajoutent à mes épreuves individuelles, j’ai effectué treize courses en cinq jours à Doha. Je paie un peu cela sur la dernière, où je finis deuxième [100 m nage libre]. Je préfère me concentrer sur les épreuves où j’ai le plus de chance d’avoir des médailles et de gagner des titres.
Quel est votre prochain challenge ?
Les championnats de France. Il faut être parmi les deux premiers dans chaque nage pour figurer ensuite dans la sélection mondiale. C’est donc stressant, car en cas de méforme, on risque de ne pas être sélectionné pour les championnats du monde. La France possède actuellement un bon vivier de nageurs. Cela oblige à se dépasser, à nager de plus en plus vite.
Vous êtes-vous fixé un objectif de carrière ?
Depuis que j’ai réussi à gagner mon dernier titre à Doha, il me reste un ou deux challenges. Le championnat du monde en grand bassin, et être de nouveau champion olympique. Ensuite je me poserai des questions sur ma carrière, je me demanderai si je veux ralentir le rythme, voire trouver un travail, faire autre chose. Mais pendant l’année et demie
à venir, je vais encore garder la tête dans les bassins et faire mon maximum.
N’était-ce pas le problème de Laure, finalement ? Une fois qu’on a tout gagné, est-on toujours motivé ?
C’est exactement cela. Je l’ai vécu en étant champion olympique avant d’avoir gagné le reste. J’étais super-content d’être champion olympique, et une fois que tout est retombé, je me suis dit : “Mince, l’année qui vient sera moins importante.” Quand on aborde un championnat d’Europe alors qu’on est champion olympique, c’est difficile d’avoir la même motivation. Il faut alors s’inventer des challenges personnels : j’ai envie de gagner tant de courses, j’ai envie de réaliser tel temps. Il faut se forcer. Ma sœur a tout gagné très tôt, mais elle a trouvé un second souffle après s’être arrêtée pendant deux ans. Elle a fait ce qu’elle voulait.
Qu’en est-il de votre future reconversion ? Voulez-vous monter une marque de vêtements par exemple ?
Je ne pense pas, je ne m’y connais pas suffisamment dans ce domaine. Mais j’aime participer à des shootings et tourner des pubs, alors pourquoi ne pas prendre des
cours pour essayer d’être comédien, tenir quelques petits rôles ? Peut-être que dans deux ans, je n’en aurai plus envie, mais pour l’instant, ça me plairait de faire cela.
Votre petite amie est-elle mannequin ? Elle a tourné dans un clip… de qui était-ce déjà ?
De Soprano, c’est un Marseillais.
Un rappeur marseillais ?
Oui, c’est ça. Avec ses lèvres pulpeuses et ses beaux yeux, c’est sûr qu’elle a ce qu’il faut pour faire des photos. On verra, pour l’instant, elle est bien dans sa vie.
Est-elle sportive elle aussi ?
Elle est cavalière.
Vit-elle avec vous à Marseille ?
Elle a son propre appartement. Elle s’entraîne à Montpellier avec son beau-père. Disons que nous arrivons à nous voir trois jours par semaine. Et nous essayons de nous suivre mutuellement quand l’un a une compétition et l’autre n’en a pas. Pour l’instant, elle me suit un peu plus que je ne la
suis, mais j’aurai le temps d’aller la voir lorsque j’arrêterai de nager, car dans le sport équestre les carrières durent plus longtemps que dans la natation.
Dernière question : il est essentiel pour cet article que nous allions dans votre chambre voir vos maillots de bain.
Mais je n’en ai aucun avec moi. Je suis en vacances.