On se souvient de la grande vente organisée par la maison Sotheby’s à Monaco en 1991, qui révélait l’impressionnante collection de pièces du groupe Memphis dont Karl Lagerfeld s’était entouré dans son appartement monégasque. Il a ensuite enchaîné les résidences, et accumulé, au fil de celles-ci, une abondante collection de mobilier de designers fameux, de Süe et Mare à Marc Newson, sans oublier un penchant prononcé pour le xviiie siècle. Nul n’ignore en effet que Karl Lagerfeld est un fin connaisseur des arts décoratifs. On ne s’étonnera donc pas de voir exposée, derrière la vitrine parisienne de la Carpenters Workshop Gallery, la première collection de design du célèbre couturier.
Untitled VII (2018) de Karl Lagerfeld, marbre noir Marquina. Courtesy of Carpenters Workshop Gallery.
Untitled XI (2018) de Karl Lagerfeld, marbre blanc Arabescato. Courtesy of Carpenters Workshop Gallery.
Guéridons, tables, miroirs, ce sont au total 24 meubles – ou plutôt 24 Architectures, puisque c’est ainsi qu’ils ont été baptisés – qui sont nés de son imagination foisonnante. Un nom parfaitement choisi car ce ne sont même plus des pieds mais de véritables colonnes en marbre qui soutiennent, par exemple, les plateaux des tables. Des colonnes qui, à la manière d’un jeu de construction, superposent divers types de cannelures (creusées dans la même matière) aboutissant à un résultat très graphique. Une façon extrêmement personnelle de revisiter l’héritage de la Grèce antique pour l’inscrire dans l’époque contemporaine, totalement assumée par Karl Lagerfeld : “Tout se démode, sauf ça. C’est la beauté des standards. Rien n’est plus moderne que l’Antiquité”, soulignet-il. L’architecte Aline Asmar d’Amman, qui a suivi le développement de cette ligne de mobilier, insiste sur l’harmonie exceptionnelle de ces pièces, d’une beauté canonique : “On retrouve dans les dessins de Karl ce sens des proportions idéales… Un centimètre de plus ou de moins changerait totalement l’allure de ces créations.”
Si Aline Asmar d’Amman avait déjà travaillé en collaboration avec le couturier pour deux suites de l’Hôtel de Crillon, c’était en revanche une première pour Loïc Le Gaillard et Julien Lombrail, fondateurs de la Carpenters Workshop Gallery. “Karl a d’abord été client de la galerie, et un jour il est venu nous proposer ce projet, explique Julien Lombrail. Pour nous, c’était un véritable exercice de style et on aimait bien cette idée de pièce parfaite. Le fait de pouvoir maîtriser la production nous permet aussi de prendre en compte certaines nécessités pratiques comme la durabilité et la logistique, tout en réalisant des projets ambitieux. En l’occurrence, le marbre a été travaillé par des artisans italiens de Vicence, qui ont allégé sa structure en employant du nid-d’abeilles afin de garder la solidité tout en ne dépassant pas les 500 kilos.” Car la matière est tout de même imposante. Il s’agit, plus précisément, de marbre noir Marquina, ou Arabescato pour les versions blanches, rarissime depuis que les carrières de Toscane ont été fermées. Noir ou blanc… le créateur reste fidèle à lui-même, s’imposant plus que jamais comme une signature, jusque dans le mobilier… en version exclusive bien sûr, puisque l’édition est limitée à huit pièces plus quatre épreuves d’artistes.
Exposition Architectures, jusqu’au 22 décembre à la Carpenters Workshop Gallery, 54, rue de la Verrerie, Paris IVe.