D’octobre à janvier au musée du cinéma, c’est la saison des vampires et tous les employés se prêtent au jeu : dents crochues, regards livides et faux sang dans le cou, des créatures déambulent dans les couloirs froids de la Cinémathèque, à peine éclairés par de vieux lustres poussiéreux. Dans les étages qui mènent à l’exposition Vampires, de Dracula à Buffy, les gousses d’ail tapissent les murs, tandis que des araignées plus vraies que nature descendent du plafond…La figure du vampire a débarqué à l’écran bien avant l’ère du cinéma couleur, créature mystérieuse et terrifiante, le monstre a envahi par la suite d’autres sphères de représentation.
Max Schreck dans “Nosferatu le vampire” (1922) de Friedrich Wilhelm Murnau
“L’Enfer de Dante Alighieri” de Gustave Doré (1832-1883)
1° Le vampire, une créature de cauchemar
Du Dracula de Bram Stoker – réédité cette année à la Pléiade – au Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau réalisé en 1922, le vampire s’est imposé dans l’histoire comme un monstre qui provoque terreur et effroi. Il incarne la peur de la société pour l’étranger, et demeure symptomatique des croyances obscurantistes d’un Moyen-Âge frappé d’épidémies sordides. Le vampire naît dans les romans gothiques de la fin du XVIIIe siècle avec le mythe de Dracula, mythe qui retrace l’histoire d’un comte hématophage massacrant des tonnes d'innocents dans son château de Transylvanie. Mi-homme, mi-mort, le vampire n’a ni reflet ni âme, se transforme en animal et hypnotise ses victimes. En véritable Antéchrist, la créature aux dents tranchantes est immortelle sauf empalement ou décapitation. Elle symbolise le tiraillement entre superstition et progrès scientifique.
“Vampyros Lesbos” de Jesús Franco (1973)
2° Le vampire, un symbole érotique
Mais rapidement cette conception monstrueuse du “vampire épouvante” se transforme : il est sexualisé et devient un objet de fantasme. Dès 1910, Theda Bara, sex-symbol du cinéma muet est qualifié de “Vamp”, un diminutif de vampire qui enracine l’érotisme de ce personnage de fiction dans la pensée commune. Béla Lugosi, acteur brun ténébreux au teint fardé incarne quant à lui le vampire de studio par excellence. Du Dracula de Tod Browning en 1931 au Plan 9 from Outer Space, épopée kitsch d’Ed Wood sortie en 1959, l’acteur hongrois ne cessera d’incarner un suceur de sang… véritablement humain.
Gagnées par la révolution sexuelle, les sociétés occidentales se libèrent peu à peu et avec elles, le vampire devient une figure à la libido excessive. Ainsi, Christopher Lee incarne un comte phallocrate au sex-appeal magnétique (et assassin) dans les versions de Dracula produites par la société anglaise Hammer. Dans ces œuvres sexistes et lubriques, les femmes sont souvent réduites à des corps nus voire à de petits déjeuners. Mais les années hippies sonnent le glas de la transgression, et les réalisateurs imaginent alors des vampires de plus en plus libertaires. Dans Vampyros Lesbos (1973), du réalisateur espagnol Jesús Franco, la figure du vampire est une comtesse lesbienne turque le jour et stripteaseuse la nuit. Pour le Français Charles Matton, dans son long-métrage Spermula (1976), les vampires deviennent une horde de femmes: elles débarquent sur Terre pour libérer les hommes trop rigides dans leur désir sexuel. Dans les années 80 frappe l’épidémie du sida, le vampire associé depuis toujours à l’hémoglobine est alors instrumentalisé par les campagnes sanitaires de prévention, plus tard, sur d’autres affiches, il devient le confident et le conseiller des jeunes en matière de sexualité.
“Fuck the Facts” de Wes Lang (2019)
“Dark Shadows” de Tim Burton (2012)
3. Le vampire, un phénomène pop
Les vampires inondent toutes les sphères : les séries à succès, les déguisements d’Halloween, la politique (sous forme de caricatures) ou l’art contemporain avec Basquiat, Wes Lang et Niki de Saint Phalle. Dans le best-seller d’Anne Rice, Entretien avec un vampire (1976), le monstre se dévoile encore davantage et s’exprime à la première personne. Il force l’empathie du lecteur et marque un tournant pour la figure du suceur de sang. Le vampire en sort sensiblement grandi, un humain qui a, lui aussi, des soucis. Il incarne un membre d'une minorité en pleine crise identitaire qui cherche à s’intégrer dans True Blood et Being Human, un ado éternel qui n’assume pas vraiment sa famille dans la saga Twilight et un hôtelier débordé dans le dessin animé Hotel Transylvanie. Désormais adulé par des adolescents qui s’identifient à cette nouvelle génération de vampires sentimentaux, le monstre devient une icône de la pop culture qu’on voit apparaitre dans les bandes dessinées, les mangas, les jeux vidéo et même les publicités. Au cinéma aujourd’hui, on le retrouve dans les films de genre à gros budget comme dans les longs-métrages d’auteur iranien. De Jim Jarmusch à Julie Delpy en passant par Tim Burton et Olivier Assayas : le vampire reste surnaturel, mais à l’époque moderne… il est cool.
“Vampires, de Dracula à Buffy” jusqu’au 19 janvier 2020 à La Cinémathèque française.