Numéro : Vous serez heureux d’apprendre que je n’ai pas préparé cet entretien, et que du coup je vous épargnerai toutes les questions ignominieuses que j’aurais pu vous poser.
Haider Ackermann : [Rires.]
Alors, de quoi avez-vous envie de parler ?
À cette heure-ci, je n’ai pas envie de grand-chose.
Oui, d’ailleurs pourquoi ce rendez-vous matinal sur l’avenue Trudaine ? Vous avez fait une désintox et vous vous êtes mis au thé vert ? Ou vous sortez tout droit d’un after au Mec Zone [un sex club gay situé à proximité du lieu du rendez-vous] ?
[Rires.] Vous êtes grave ! Next question. Contrairement à ce que vous pensez, j’adore le matin, j’adore me lever très tôt.
Ah oui ?
Eh oui ! je me lève, je lis les journaux…
… Voui, voui, voui, vous faites du Pilates, vous courez à la gym !
De temps à autre. Mais ce que j’aime le plus, c’est flâner dans les rues désertes de l’aube, profiter pleinement de ces moments délicieux, de ces instants précieux.
Comment faites-vous pour être foutu comme une déesse si vous n’êtes pas toujours fourré à la salle de sport ?
Dois-je vous rappeler que j’ai de bons gènes… Ils sont colombiens.
Vous faites partie du club très fermé des créateurs sexy. D’ailleurs, n’êtes-vous pas assailli par des hordes de blogueurs glapissants dès que vous mettez un pied dehors ?
Absolument pas. Et je n’ai pas l’impression de faire partie de ce fameux club auquel vous faites allusion. Les créateurs de la nouvelle génération sont bien plus jolis que moi.
“Le phénomène Instagram, c’est terriblement soûlant, surtout lorsque les gens prennent ça trop au sérieux. Mais ce qui est surtout consternant, c’est qu’aujourd’hui, pour être respecté, un créateur se doit avant tout d’exploser les compteurs sur Instagram.”
Comment faites-vous pour avoir autant de followers sur Instagram ?
Que dites-vous ? Je n’en ai pas tant que ça, j’en ai très peu, je n’ai vraiment pas grand-chose ! Si vous me suiviez sur Instagram, déjà, vous le sauriez. Et si vous faites un petit tour d’horizon sur les comptes de mes confrères, vous vous apercevrez qu’en termes d’abonnés je ne leur arrive pas à la cheville.
Que penser du phénomène Instagram ?
C’est terriblement soûlant, surtout lorsque les gens prennent ça trop au sérieux. Mais ce qui est surtout consternant, c’est qu’aujourd’hui, pour être respecté, un créateur se doit avant tout d’exploser les compteurs sur Instagram.
On m’a fortement suggéré de profiter de cet entretien pour vous parler de votre dernière collection…
Vous y étiez, au moins ?
Non, je suis sorti la veille.
[Rires.] Vous êtes grave !
Pourquoi avoir choisi de montrer vos collections masculine et féminine en même temps ? Est-ce par souci budgétaire, le fait de ne présenter qu’un seul défilé par saison au lieu de deux permettant de limiter les coûts ?
J’ai toujours voulu présenter l’homme et la femme dans un seul et même défilé, et ce depuis le lancement de ma marque en 2001. Mais il se trouve que, jusqu’à récemment, certaines personnes – que je ne citerai pas – n’étaient pas d’accord. Personnellement, j’aime beaucoup cet échange, ce moment de partage entre l’homme et la femme. Ils vivent une histoire d’amour, ils se prêtent et s’empruntent leurs vêtements, c’est aussi simple que cela. Il n’y a aucun calcul financier là-dedans.
Ce brouillage des pistes entre les archétypes masculin-féminin a toujours fait partie intégrante de l’ADN de votre marque, au même titre que l’architecture désinvolte de vos silhouettes et votre œil affûté pour la couleur, que d’aucuns inscrivent dans la droite lignée du maître Yves Saint Laurent…
Suffit ! [Rires.] N’en faites pas trop ! À mes yeux, le costume d’homme sert à exacerber la féminité des femmes.
Quel est votre point de départ lorsque vous dessinez une collection ?
La musique. Pour le dernier défilé, par exemple, je me suis inspiré du titre I’m Your Man de Leonard Cohen. Ce qui tombait bien parce que, dans la salle, il y avait effectivement quelqu’un à qui ce message s’adressait.
Et peut-on savoir qui ? Par pitié, ne me dites pas Tilda Swinton.
Non. Dans le public, il y avait une autre personne qui compte énormément pour moi, et à qui je voulais faire passer ce message d’amour qu’était la collection.
Et cet amour, depuis combien de temps duret-il, peut-on savoir ?
Depuis hier soir au Mec Zone ! [Rires.] Je plaisante.
“La musique est mon point de départ quand je dessine une collection. Pour le dernier défilé, je me suis inspiré du titre I’m Your Man de Leonard Cohen. Ce qui tombait bien parce que, dans la salle, il y avait effectivement quelqu’un à qui ce message s’adressait.”
C’est important pour vous l’amour ? Depuis que je vous connais, vous avez toujours été en couple… et jamais avec le même.
Je prends vie lorsque je suis amoureux. Pour moi, c’est le moment où tout fait sens. J’ai peur de me perdre dans la solitude – aussi belle soit-elle.
Votre marque n’appartient-elle pas à la financière belge Anne Chapelle ?
Ma marque ne lui appartient pas, elle a juste mon nom en licence…
Quelle est la différence ?
Je garde mon nom, je suis toujours propriétaire de mon nom.
LVMH, Kering, Richemont… au cours de vos dix-sept ans de carrière, quels sont les groupes de luxe qui sont venus gratter à la porte pour racheter votre marque ?
…
Qu’est-ce qui vous manque, exactement, dans la vie ? Vous qui avez déjà amour, gloire et beauté ?
Le confort de travail. Lorsqu’on est une petite maison comme la nôtre, on fait tout soi-même et on travaille vraiment comme des petits soldats. Cela dit, récemment j’ai vécu une très belle expérience professionnelle [la direction artistique de Berluti, de septembre 2016 à mars 2018] avec bien plus de moyens et de confort. Cela m’a permis de m’épanouir dans mon travail et de mieux porter mon discours créatif afin de le transmettre au public.
“Je prends vie lorsque je suis amoureux. Pour moi, c’est le moment où tout fait sens. J’ai peur de me perdre dans la solitude.”
Quelles sont les questions qui vous emmerdent le plus en interview ?
Celles qui portent sur mon enfance et sur le fait que j’ai été adopté. C’est un sujet tellement intime, tellement sensible pour ma famille et moi qu’il me paraît évident que je ne devrais pas avoir à m’étaler dessus dans la presse.
Et vos inspirations de la saison, on ne vous casse pas toujours les pieds avec ?
Si. Vous venez d’ailleurs de le faire vous-même.
Bref, vous ne voulez pas nous en dire plus sur votre dernier mec ?
Non.
Vous venez à mon mariage le 15 décembre ?
Bien entendu. Toute déclaration d’amour est belle, même venant de vous.