Sur scène, le montrer est mal vu ou interdit. Le tourner signale une fuite, un départ, une indifférence voire une forme d’irrespect. Souvent, le dos porte sur lui le symbole du revers, de cette face qu’on ne veut pas voir ou que l’on néglige au profit du devant. Dans la mode, son importance n’est pourtant pas moindre, qu’elle réside dans la construction même d'une pièce, du port du logo du label, de l’imprimé, ou encore dans son exposition du corps nu, chargé d’érotisme. Le dos peut alors devenir aussi bien le point de chute que le point de fuite ou le point de départ du vêtement.
C’est au musée Bourdelle que le Palais Galliera a choisi de mettre le dos au premier plan en le choisissant comme objet de sa nouvelle exposition : à travers près de 140 pièces, son exposition Back Side / Dos à la mode présente jusqu’au 17 novembre la façon dont la mode et les créateurs en ont fait le centre de leur création. Inscrite dans une ère de la bidimensionnalité rimant avec la frontalité, où le vêtement se trouve de plus en plus souvent vu de devant, cette exposition nous rappelle par sa sélection pertinente l’inévitable tridimensionnalité du vêtement. Retour sur 6 créateurs qui ont su donner au dos ses lettres de noblesse.
1. Cristóbal Balenciaga : le dos comme point d'équilibre
Virtuose de la couture, Cristóbal Balenciaga s’illustre notamment au XXe siècle par une remarquable gestion des volumes et de leur équilibre dans le vêtement. Le dos devient alors un point névralgique de ce basculement, permettant au créateur espagnol de jouer avec la densité de la matière en y ajoutant nœuds, traînes ou volants. En créant pour Balenciaga un satin de soie complexe baptisé Gazar, le tisserand suisse Abraham lui permet dès la fin des années 50 de souligner cette ampleur en insufflant à ses créations un aspect unique.
2. Comme des Garçons : la déformation à l'œuvre
Guy Marineau, Ensemble Comme des Garçons Printemps-Eté 1997 © Guy Marineau
Comme des Garçons, Ensemble, Printemps-Eté 1997 © Aurélie Dupuis/ Comme des Garçons/ Azentis
Saison printemps-été 1997 à Paris : la collection de la créatrice de mode Rei Kawakubo, fondatrice du label japonais Comme des Garçons, ne laissera personne indifférent. Intitulée Body Meets Dress, Dress Meets Body [Le corps rencontre la robe, la robe rencontre le corps], celle-ci présente à travers les pièces une réflexion qui dépasse le vêtement pour redessiner le corps : des protubérances en toile et ouate placées disgracieusement sur les hanches, les fesses, la poitrine se discernent sous un tissu vichy, formant des mannequins bossues. Rei Kawakubo fait ici du vêtement un corps au sens presque littéral du terme, marquant à jamais l’histoire de la mode de son regard inédit sur la silhouette.
3. Alexander McQueen pour Givenchy : et le dos devint sculpture
Pour la direction artistique de Givenchy autant que pour son propre label, Alexander McQueen a su exploiter à nombreuses reprises les richesses du dos, qu’il le mette avant par ses fameux bumsters – pantalons à taille très basse – ou qu’il l’affuble d’une colonne vertébrale en métal en 1998. Pour la collection haute couture printemps-été 2000 de la maison française, le créateur britannique fait réaliser par le joaillier Shaun Leane un buste en métal et résine semblant ouvert par des plaies d’où émergent des roses. Telle une vanité argentée, cette pièce exceptionnelle fige une métamorphose où l’humain fusionne avec le végétal. Décliné à de nombreuses reprises, le buste moulé deviendra d’ailleurs l’une des signatures de McQueen.
4. Yohji Yamamoto : le dos comme point de fuite
Yohji Yamamoto, prêt-à-porter, automne-hiver 1996-1997. Robe et jupe en feutre et jersey de laine. Vue de l'exposition “Back Side / Dos à la mode” au musée Bourdelle. © Paris Musées / Pierre Antoine
Yohji Yamamoto, Robe et chapeau, Prêt-à-porter, Printemps-Eté 2018 © Aurélie Dupuis / Galliera / Azentis
Construisant ses vêtements comme des architectures, le créateur japonais Yohji Yamamoto prend systématiquement le dos comme repère central de leur construction – un postulat qu’il défend notamment dans son autobiographie, My Dear Bomb. La ligne de dos devient alors souvent pour lui une zone à mettre en avant, où se déplace toute la force et la particularité de la pièce. On le constate aussi bien dans une création de 1996, jouant sur le contraste du blanc et du noir pour créer une ouverture presque théâtrale, que dans une création très récente de 2018, où le créateur dévoile le corps nu progressivement, à l’aide d’agrafes.
5. Jean Paul Gaultier : les dessous du dos
On se souvient surtout de son célèbre corset conique porté par Madonna en 1989, mais Jean Paul Gaultier a fait du corset l’une des composantes essentielles de ses créations depuis les années 80. Inspiré par les modèles appartenant à sa grand-mère, leurs spécificités techniques et leur pouvoir érotique, le couturier français a régulièrement décliné cet accessoire si contraignant sous de nombreuses formes. En 2003, il l’associe à la précieuse dentelle de Chantilly dans un ensemble reliant le dos à la tête par un système de laçage prolongé jusqu’à une cagoule, redessinant la colonne vertébrale et soulignant la courbure du dos avec sensualité et précision.
6. Clare Waight Keller pour Givenchy : du noir vers la couleur
Arrivée en 2017 à la direction artistique de Givenchy, la créatrice britannique s’est depuis montrée fidèle à l’héritage de la maison en prenant notamment le noir comme fil rouge de sa toute première collection haute couture au printemps-été 2018. Parmi les 40 modèles, une robe s’en démarque notamment, cintrée à la taille par une ceinture et laissant le dos complètement à découvert. Sous la ceinture, de la chute des reins dégringolent des volants plissés en organza dans un fascinant dégradé de couleurs entre pourpre, rouge et bleu. Cette superbe pièce sera portée par l’actrice Cate Blanchett lors du 71ème Festival de Cannes.
L'exposition Back Side / Dos à la mode est à voir jusqu'au 17 novembre au musée Bourdelle, Paris 15e.