Le créateur de mode espagnol Arturo Obegero.
Numéro : L’odorat est souvent considéré comme le plus évocateur des cinq sens. Les scientifiques affirment qu’il est presque impossible de se souvenir d’une odeur. Pourtant, rencontrer un être familier peut instantanément réveiller des souvenirs profonds, qui rappellent la célèbre madeleine de Proust…
Arturo Obegero : Je suis complètement d'accord avec vous. L'odorat est l'un de nos sens les plus puissants et les plus évocateurs. J’ai très souvent des flashbacks de personnes ou de moments après avoir senti une odeur, alors que je suis en plein milieu d'une rue. C'est presque comme voyager dans le temps.
Quelle sont les senteurs qui déclenchent justement ces souvenirs chez vous ?
Il y en a plein, des bonnes ou des mauvaises, qui déclenchent mes souvenirs. Je viens d'une petite ville de pêcheurs et de surf du nord de l'Espagne, Tapia de Casariego, dans les Asturies. On voit la mer partout, donc l'odeur du soleil et du sel sur la peau, celle de l'océan et même de la cire sur les planches de surf, me font penser à ma famille et à mes racines. Chaque fois que je les sens, j’ai l’impression d’être de retour chez moi le temps de quelques secondes.
Vous mentionnez également des odeurs moins agréables, quelles sont-elles?
Oui, il existe également d’autres parfums moins raffinés comme les algues séchées au soleil, les vaches et les animaux élevés dans ma ville natale. Pour certaines personnes, ces odeurs ne sont pas attrayantes, mais elles me rappellent la maison, à un point tel qu’elles me sont devenues agréables. Je trouve que c’est très interessant de constater à quel point odeurs et souvenirs sont liés.
En tant que créateur de mode, intégrez-vous des parfums dans votre processus créatif ? Si oui, de quelle manière les parfums influencent-ils votre travail ?
Je n’avais jamais inclus de parfums dans mon processus créatif auparavant. Jusqu'à présent, je travaillais uniquement avec des souvenirs, des sentiments, des images, etc., mais créer ce parfum avec Pigmentarium m'a permis d'approfondir mes références, et même de créer une vision plus complète et à 360 degrés de ce qu'est mon univers créatif. C’est la touche ultime qui donne de l’âme à vos vêtements.
Comment procédez-vous ?
Maintenant, j'ai toujours Azabache Chapitre 2 avec moi. Je le vaporise pendant les essayages, pendant les défilés, même lorsque je coupe des patrons et que je couds. Cela me permet d'avoir toujours en tête une image claire des personnages que j'essaie de construire.
Le lien qui unit la mode et la parfumerie remonte à l'aube de la haute couture, notamment avec Paul Poiret et Coco Chanel qui ont introduit leurs parfums emblématiques au début du XXe siècle. Selon vous, pourquoi ces domaines partagent-ils une synergie aussi forte ?
Mode et parfumerie vont de pair car ils créent des émotions, le fait de se sentir bien, le désir, l’attraction, l’autonomisation. La mode est définitivement plus visuelle et le parfum plus abstrait, mais ensemble, ils constituent le “cocktail Molotov” ultime.
Tomáš Ric, le fondateur et directeur créatif de Pigmentarium.
En 2021, vous avez lancé Azabache, votre premier parfum, avec Pigmentarium. Comment a débuté cette aventure créative ?
Nous avons été présentés par mon copain via Zoom et nous avons immédiatement connecté. Normalement, les maisons de couture attendent des années avant de lancer leur parfum, mais nous avions tous hâte de travailler et de créer ensemble ; c'était vraiment le moment idéal pour le faire. C'est une équipe formidable et passionnée, nous partageons beaucoup de valeurs communes et nous travaillons dur pour apporter quelque chose de nouveau, de qualitatif et de spécial dans nos domaines. C’était donc un mariage parfait.
Comment Pigmentarium se distingue-t-elle des autres marques ?
Tout d’abord, leur qualité est exceptionnelle, et ils sont doués pour proposer quelque chose de super chic et luxueux, tout en gardant une approche fraîche et jeune. Ils souhaitent également proposer un vrai lifestyle, quelque chose que je respecte profondément et que j'essaie d'évoquer avec mes vêtements.
Comment avez-vous collaboré avec leurs équipes?
Nous avons commencé à discuter et à échanger des informations et des références en 2020. J'ai d’abord proposé une playlist avec certaines de mes musiques préférées pour créer une ambiance, je leur ai envoyé des images qui m'ont inspiré, des références vidéo de performances, de paroles, d'artistes et d'art que j'aimais ; nous avons même discuté de personnes réelles qui, je pense, représenteraient le parfum, mais aussi de mes racines, de mes souvenirs et de toutes les références de mon univers. C'était formidable de voir comment ils ont traduit quelque chose d'aussi personnel et intangible en quelque chose de réel.
Pourriez-vous nous expliquer l’inspiration derrière Azabache et comment ce parfum reflète votre univers artistique ?
Nous étions d’accord dès le début sur son nom car l'azabache [du jais, ndlr.] est une pierre typique de ma région que l'on trouve rarement. Je porte toujours un collier d'azabache avec moi. Il a une histoire riche et ésotérique, de ses pouvoirs de protection et de guérison à son utilisation dans la broderie des costumes de matador, la haute couture de Cristobal Balenciaga, et dans le folklore de ma ville natale. C’est aussi le noir, ma couleur phare, qui est pour moi la plus ultime, la plus puissante et la plus poétique ; elle peut exprimer n’importe quelle émotion et permet de se concentrer sur la silhouette et l’essence réelle des choses.
Le parfum Azabache Chapter 2 d'Arturo Obegero pour Pigmentarium.
Avez-vous eu l'occasion de vous rendre visite aux équipes de Pigmentarium à Prague ?
Oui, je suis quasiment un pragois désormais (rire). Je plaisante bien sûr. J’y suis déjà allé 4 à 5 fois et j'adore la ville. O se croirait dans un conte de fées. C’est propre, calme, avec une architecture incroyable et les gens sont sympathiques, définitivement sur ma liste de villes préférées ! J'ai la chance d'être ami avec Tomáš Ric, le fondateur et directeur créatif de Pigmentarium, ainsi qu'avec toute leur équipe et leur communauté. Ils sont tous travailleurs, amicaux et incroyablement solidaires !
Compte tenu des contextes culturels divergents de l’Espagne et de la République tchèque, comment votre échange a-t-il influencé la créativité et l’inspiration ?
Pour être honnête, je pense que les cultures espagnoles et tchèques ont beaucoup en commun ; notamment un certain sens de l'humour, ou encore des liens forts dans le domaine de l’architecture, avec beaucoup d’éléments gothiques.
Récemment, vous avez dévoilé une nouvelle itération du parfum Azabache. Qu'est-ce qui la différencie de la primière ? Ce parfum marque-t-il une progression dans votre évolution de créatrice de mode ?
Le parfum Azabache original était disponible en édition limitée à 300 bouteilles. Nous voulions respecter cette première formule tout en créant quelque chose de nouveau. Un deuxième chapitre de notre roman olfactif qui reflèterait notre état d’esprit actuel. Les deux marques ont beaucoup mûri et grandi au cours des 3 dernières années, et cette nouvelle formule reflète cela. La fragrance est beaucoup plus arrondie et complète et eprend les éléments de base de l'original, avec quelques nouveautés et des notes balsamiques à la fin qui créent une sensation plus chaleureuse et encore plus séduisante que j'adore !
Enfin, vous étiez absent de la Fashion Week automne-hiver 2024-2024 à Paris, aurons-nous le plaisir de vous retrouver en juin ? v
Je ne vais pas mentir, c'est extrêmement difficile de présenter un collection tous les 6 mois en tant que jeune designer. Je n’ai ni investisseurs, ni contacts, ni personne qui me soutient économiquement. Je fais presque tout moi-même à la maison, avec un groupe d'amis et de collaborateurs incroyables qui me soutiennent et croient en moi saison après saison. Je préfère présenter quelque chose de génial plutôt que quelque chose qui semble « à moitié fait ». C'est pourquoi j'ai décidé que la meilleure option était de sauter la saison dernière, d'économiser quelques pièces et de m'assurer que nous revenions plus forts que jamais.
On a quand même entendu parler de vous à travers des créations sur-mesure pour des artistes.
Effectivement et après avoir travaillé avec Beyoncé, Adele ou Harry Styles, je me rends compte que mon avenir va plutôt s’orienter sur des commandes, du sur mesure et des projets spéciaux. Après, je travaille actuellement sur ma prochaine collection, qui sera présentée lors de la Fashion Week de juin. Comme il s’agit de la dixième, C’est la 10ème collection que je l’envisage comme un retour sur tout ce que nous avons accompli avec la marque en seulement 4 ans. Et évidemment, je ne suis pas objectif, mais c’est définitivement la meilleure collection que j’ai réalisée jusqu’à présent. Je ne pourrais pas être plus excité de le montrer !
Le parfum Azabache d'Arturo Obegero pour Pigmentarium est disponible sur pigmentarium.com, chez NOSE au 20 Rue Bachaumont, Paris et sur noseparis.com.
