Numéro : Vous avez étudié à la Chambre syndicale de la haute couture, pourquoi vous être finalement dirigée vers le bijou ?
Annelise Michelson : Mon parrain était tailleur pour femmes et hommes. Il admirait Gianni Versace et ses campagnes mythiques signées de Richard Avedon. Auprès de lui, j’ai grandi en rêvant de ces femmes glamour et sculpturales. J’ai donc souhaité travailler dans la haute couture, mais je me suis vite rendu compte que cela serait difficile, voire impossible aujourd’hui. Après l’école, mes expériences dans le prêt-à-porter ne me satisfaisaient pas : ce monde n’a plus rien à voir actuellement avec l’extravagance des années 80-90. Une amie styliste m’a proposé un jour de réaliser les accessoires d’une série de mode. Tout est parti de là : j’ai réalisé que les bijoux fantaisie existants étaient trop girly ou trop mode, leur qualité ne remplissait pas mes exigences. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire dans ce domaine. J’ai eu envie de créer de vrais bijoux intemporels à des prix accessibles.
Abstraits, imposants, vos bijoux révèlent une authentique dimension sculpturale : ils s’inspirent du drapé d’un tissu ou déclinent la forme d’un maillon surdimensionné et cassé. Comment les concevez-vous ?
J’ai commencé par marier une gourmette masculine avec une dentelle féminine, je me disais alors créatrice d’accessoires. Puis j’ai embrassé franchement le travail du métal, que je ne connaissais pas. J’ai choisi depuis mes débuts de faire réaliser mes pièces en bronze plaqué argent ou or par des artisans parisiens qui sont également les fournisseurs des joaillers de la place Vendôme. Ma ligne « Carnivore » m’a tout d’abord fait connaître. Elle représente un piège, une bouche hérissée de dents qui se referment de différentes façons sur le doigt, en bague ou sur le cou, en collier. J’ai ensuite ajouté à ce thème contemporain, que j’enrichis chaque saison de nouvelles pièces, les lignes « Drapé » et « Démaillé » que vous évoquez. J’ai conçu des bagues articulées, je travaille le placement sur le corps et l’ergonomie, mais j’aime le fait que le bijou soit un objet à part entière, que l’on peut poser sur une table et admirer pour lui-même. Je voudrais d’ailleurs concevoir prochainement une véritable sculpture, de grandes dimensions.
Chic et sophistiquées, vos créations habillent la silhouette tout en assumant une esthétique parfois presque punk (dents hérissées, pendant d’oreille unique). Comment ces deux facettes cohabitent-elles ?
Ces deux facettes sont une expression de ma personnalité. J’ai toujours été révoltée, en guerre avec tout le monde, à contre-courant. Et ma mère est une chanteuse lyrique sud-africaine, d’où mon côté très extraverti, plus anglo-saxon que français. Petite, je rêvais de chanter un jour sur scène dans des costumes éblouissants. Mais j’ai grandi à Paris, je suis donc très exigeante sur la qualité de tout ce que je porte. Sans parler nécessairement de luxe, je n’aime que les belles choses, ce qui authentique de A à Z. J’ai besoin que les objets que je produis répondent à ces critères. Sinon mon activité de créatrice n’apporterait pas de sens à ma vie. Le prêt-à-porter, actuellement, est un secteur si compétitif qu’il faut nécessairement y être le meilleur. Le bijou est un domaine différent. Je ne prétends pas y être la meilleure, mais je pense apporter quelque chose de personnel et différent.