Hollywood admire et dévore les adolescentes depuis des décennies. Il y a dix-huit ans, l’une des plus puissantes et émouvantes d’entre elles, la grande Kirsten Dunst, était révélée par Sofia Coppola dans Virgin Suicides, le film ultime de la mélancolie teenage. Cannes 2017 est l’occasion d’un passage de flambeau avec celle qui lui succède symboliquement dans le cinéma d’aujourd’hui : l’incroyable et vénéneuse Elle Fanning. L’auteure de Marie Antoinette organise elle-même délicatement le passage de relais dans son nouveau film Les Proies, présenté en compétition - une adaptation du roman de Thomas P. Cullinan et d’un film culte seventies de Don Siegel avec Clint Eastwood.
Elle Fanning est une jeune femme en pleine montée de désir qui n’a qu’une envie : séduire le soldat tombé du ciel et passer la nuit avec lui.
Aux premières images situées en 1864, un soldat confédéré (Colin Farrell) est recueilli dans un pensionnat de jeunes filles dirigé par une matriarche sévère (Nicole Kidman) et isolé dans les forêts du sud profond. Le soleil parait sans cesse déclinant. On entend le bruit des canons au loin. L’atmosphère est moite dans cet eden à l’allure assez vite inquiétante. Ce petit groupe de femmes de tous âges, habitué à fonctionner en circuit fermé, se trouve bientôt confronté à la rivalité et à la frustration face à l’arrivée de cet homme. Kirsten Dunst joue une trentenaire à la beauté discrète qui en tombe amoureuse. Elle Fanning, dix-neuf ans, la « remplace » donc dans le rôle d’une adolescente. Mais elle apporte sa touche personnelle. Elle est une jeune femme en pleine montée de désir qui n’a qu’une envie : séduire le soldat tombé du ciel et passer la nuit avec lui. Elle Fanning est celle qui veut être dangereuse et cela lui va bien. Même si elle partage l’écran à égalité avec les autres comédiennes dans cette fresque vaporeuse sur les rapports du féminin et du masculin, la jeune actrice trouve matière à s’exprimer en quelques regards, quelques attitudes physiques. Chez elle, un certain détachement stylisé va de pair avec une forme d’animalité prête à bondir. Cela fait peut-être bien d’elle l’actrice la plus fascinante de sa génération.
La plus jeune des sœurs Fanning (Dakota, son ainée vue notamment dans Twilight et The Runaways, a eu vingt-trois ans cet hiver) n’a déjà plus rien d’une promesse et tout d’un accomplissement. Sa filmographie longue et diverse, beaucoup d’actrices ne peuvent y prétendre en une vie entière. Avec Sofia Coppola, elle avait déjà tourné le très bon Somewhere (2010), errant dans les couloirs du Château Marmont sur Sunset Boulevard en compagnie de son père de fiction, Stephen Dorff. Elle affichait une grâce et une agilité hors du commun dans ce lieu mythique d’Hollywood, comme si elle y avait toujours vécu, comme si l’essence et le passé du cinéma s’inscrivaient naturellement sur son corps et sur son visage. Après un passage chez Coppola père (l’expérimental Twixt en 2011), Fanning a connu la consécration dans Super 8 de J.J. Abrams la même année, où elle incarnait aussi avec une grande facilité un imaginaire dont elle n’avait rien connu, celui des films de Spielberg des années 80.
Après un passage chez Coppola père (l’expérimental Twixt en 2011), Fanning a connu la consécration dans Super 8 de J.J. Abrams.
Longtemps, Elle Fanning a habité à l’écran une forme d’enfance tardive et troublée, jusqu’au tournant The Neon Demon (2015) où Nicholas Winding Refn faisait d’elle une créature sexuée, signant son entrée dans l’âge adulte. Sofia Coppola reprend ce motif de manière plus douce dans Les Proies, où son personnage nage dans un entre deux, ni tout à fait en possession de son corps et de son désir, ni étrangère aux frissons qui la travaillent. Cette élasticité tranquille, cette insoumission naturelle qui se lit dans son regard toujours boudeur, Elle Fanning en joue désormais avec joie.
Dans le deuxième film qu’elle a présenté à Cannes cette année, How To Talk To Girls at Parties de l’allumé indie et queer John Cameron Mitchell, elle se glisse dans la peau d’une extra-terrestre débarquée sur terre en 1977, en pleine vague punk, qui tombe amoureuse d’un musicien. Dans cette ode un peu bancale à la liberté et à l’invention permanente de soi, Elle Fanning sourit beaucoup, envoie des vannes et vomit partout. Même dans les moments trash qu’elle assume frontalement, elle joue de son chic toujours intense, légèrement effrayant, légèrement d’une autre planète. Si l’on compte ses apparitions diaphanes sur le tapis rouge cannois ou en photocall cette année – notamment en robe Alexander McQueen pour Les Proies -, on tient là une créature de cinéma rêvée, juste assez inquiétante, juste assez réjouissante. Toutes les actrices sont des alien, telle est la leçon prodiguée par Elle Fanning