1. Voyage au pays des rêves
Festival de Cannes, 2001. Quelques journalistes quittent précipitamment la salle de projection à la recherche d’oxygène. Ils forment une équipe d’élite, celle des premières victimes du drame asphyxiant de Darren Aronofsky : Requiem for a Dream. “C’est vrai ? Je suis content de l’apprendre. Je veux que le public prenne le film comme un coup de poing dans le ventre”, s’était emballé l’acteur principal Leto à l’évocation de l’anecdote. Adapté du roman Retour à Brooklyn de Hubert Selby Jr, ce film résolument trash consiste en un voyage au bout de l’enfer, ou plus exactement en une virée abjecte au pays des mirages et de la drogue. Le film narre la déchéance d’un junkie, de sa petite amie et de sa mère shootée à la télévision d’abord, aux amphétamines ensuite. Jared Leto a 30 ans à l’époque, il vient de vendre son âme à l’American Dream sur grand écran mais s’en amuse : “Tout le monde se shoote à quelque chose. Tout le monde. Pour certains, c’est la coke. Pour d’autres, les films, le sexe ou les hamburgers.”
Jared Leto en Joker dans “Suicide Squad” de David Ayer
2. Un parcours (en chanson) sans faute
Tout porte à croire que ses débuts dans Angela, quinze ans, série américaine des années 90 aussi culte qu’éphémère, ont agi en véritables révélations. Dès lors, atteint du syndrome de la teen star, Jared Leto s’empêtre dans les films pop-corn jusqu’à une seconde révélation messianique : La Ligne Rouge, film de Terrence Malick (1998), Ours d’or à Berlin et nommé aux Oscars à sept reprises. Le natif de Louisiane suivra un parcours sans faute du Fight Club de David Fincher (1999), dans lequel Edward Norton le massacre lors d’un combat clandestin, à American Psycho (2000), où il se fait brutalement assassiner par Christian Bale… “Je me fous de la longueur d’un rôle, de la violence du film. Ce qui m’intéresse, c’est la richesse du scénario”, confie-t-il. Une belle façon de relativiser lorsque l’on passe son temps à se faire défigurer. Mais sa belle gueule le mue en tombeur, nombreuses sont celles qui succomberont à son charme, à l’image de Cameron Diaz, avec qui il se fiancera. Celui qui a grandit entouré de hippies a plusieurs cordes à son arc, le cinéma, mais aussi la musique. Depuis 1998, il mène son frère Shannon et son ami Tomo Milicevic vers la gloire avec Thirty Seconds To Mars, groupe de rock grand public. Dernièrement, c’est avec le clip Walk On Water que le groupe s’est illustré en livrant une ode à l’Amérique. Un retour tonitruant sur la scène musicale et une critique explicite de la politique de Donald Trump.
3. Le temps des Oscars
Pourtant, si l’on s’imagine le type en superstar multipliant les cocktails, la réalité est tout autre. “Je reste chez moi. Je ne sors pas beaucoup, j’aime pas trop les soirées vieilles pies et toutes ces merdes. Je joue avec mon chien, et je fais beaucoup l’amour.” Leto esquive donc les escapades nocturnes au profit d’une étreinte, malgré tout, il était hors de son lit le 2 mars 2014. Sur la scène du Dolby Theatre de Los Angeles, il est sacré meilleur acteur dans un second rôle pour son incroyable prestation dans Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée. L’histoire vraie de Ron Woodroof, qui a, illégalement, contribué à faire avancer la cause des malades atteints du sida en prouvant l’inefficacité du système de soins mis en place par les pouvoirs publics. Un duo gagnant puisque son complice, Matthew McConaughey, décroche l’Oscar du meilleur acteur le même soir. Il faut dire que les deux interprètes se sont soumis à un régime drastique : la perte de 25 kilos. Au dernier moment, Jared Leto a dérobé le rôle promis à Gael García Bernal. Il y incarne Rayon, prostitué travesti atteint du sida. Il restera dans son personnage tout au long du tournage, même à l’extérieur du plateau, afin de se plonger au mieux dans son interprétation. Deux ans plus tard, l’acteur réitère l’expérience sous la direction de David Ayer avec Suicide Squad. Jared Leto s’isole pour s’imprégner de la folie du Joker illustre personnage de DC Comics. Malgré tout, le film mal ficelé déçoit, autant que la prestation de l’acteur. Le sex-symbol de 46 ans se rattrape aussitôt avec la claque Blade Runner 2049. Face à l’officier K (Ryan Gosling) et à Rick Deckard (Harrison Ford), il y interprète le menaçant Niander Wallace, créateur divin d’une nouvelle génération de réplicants, un rôle promis à l’origine au regretté David Bowie. Second choix de casting après Bowie ? Il y a de quoi être fier.