L’année dernière, Parasite raflait tout sur son passage. Premier film étranger à être sacré meilleur film aux Oscars, il remportait aussi la Palme d’or à Cannes, en plus de deux Golden Globes et de deux BAFTA. Non content de faire la lumière sur son réalisateur Bong Joon-ho (Memories of Murder, 2003 ; Snowpiercer, 2013), le film propulsait à nouveau le polar coréen sur le devant de la scène. Discret depuis quelques temps, le genre n’avait en effet pas connu de succès aussi fulgurant depuis 2004, où Park Chan-wook lui redonnait ses lettres de noblesse avec son génial Old Boy – repris en 2013 par Spike Lee.
Rira bien qui rira le dernier
Difficile alors, de passer après de tels mastodontes. Car Lucky Strike emprunte exactement toutes les caractéristiques du genre, au meurtre près. Premier long-métrage de Kim Yong-hoon, le film met en scène une poignée de personnages, aussi pernicieux qu'empotés, inextricablement liés par leur cupidité. Descente aux enfers, dilemmes moraux, flics incompétents, ultra violence… tous les ingrédients sont là pour répondre aux caractéristiques du genre. Pas de doute, Lucky Strike est bien un pur produit coréen.
Tout commence avec un sac rempli de billets. Abandonné dans un vestiaire, la poule aux œufs d’or passera de mains en mains, décimant tout sur son passage. “Avec l’argent, tu ne dois faire confiance à personne, même pas à tes parents”. Véritable moto du film, le désir d’être riche réunit tout un groupe que tout oppose pourtant. De la prostituée au prêteur sur gage, en passant par un malfrat cannibale et une maquerelle perverse, personne n’est à sauver. C’est d’ailleurs là la marque de fabrique du polar coréen : petit à petit, les personnages dévoilent leurs parts d’ombre, jusqu’à devenir de véritables monstres.
Mais si le polar est indissociable des questions morales, il n’en reste pas moins drôle. Ici, meurtres riment avec fou rires. À la manière de Parasite, où la bassesse des protagonistes est telle qu’elle en devient absurde, Lucky Strike joue sur un rythme exponentiel. Plus les événements se compliquent, plus les individus sont maladroits et deviennent cruels. Dès le départ déjà, tous les éléments sont réunis pour arracher un rictus au spectateur, en jouant sur des situations particulièrement mesquines. Ainsi, la vieille mère, en plus d’être odieuse, est incontinente. Le malfrat lui, est aussi nigaud qu’abruti. En somme, le rire s’invite honteusement à l’écran quand la médiocrité des personnages se fait trop grande. À la frontière des genres, le film s’amuse alors d’un va et vient incessant entre film noir et comédie grinçante. Un indispensable quand la violence est aussi crue, car le rire a le mérite d’éponger le sang.
Une déconstruction du temps
Si le film pêche parfois par un académisme un peu trop lisse – en respectant si bien la recette du film noir coréen, les situations en sont inévitablement attendues –, il ne cesse cependant de surprendre le spectateur en mélangeant les temporalités. Structuré en chapitres courts, Lucky Strike a de ça d’original qu’il n’est en rien chronologique. Le scénario se compose à la manière d’une enquête policière où l’on essaye de recoller les morceaux. Un procédé narratif qui, en plus de surprendre, permet aussi de tisser des liens insoupçonnés entre les personnages.
Jeon Do-yeon, Jung Woo-sung, Bae Sung-woo, Jeong Man-sik…. Si ces noms n’évoquent pas grand-chose en France, ils sont pourtant célèbres en Corée du Sud. Pour son premier long-métrage, le cinéaste a sorti le grand jeu et s’est offert un casting particulièrement chevronné. Les acteurs multi-primés dans leur pays forgent le caractère du film avec brio, imposant leur propre rythme. Parmi eux, Jeon Do-yeon (que l’on a vu notamment dans The Housemaid en 2010) incarne magnifiquement le personnage clé de l’intrigue en déconstruisant le mythe de la femme fatale. En maquerelle cupide, elle s’impose dans un univers masculin où finalement tous les hommes sont faibles.
Drôle, sanglant et explosif, Lucky Strike impressionne par sa maîtrise. Film aussi fou que fin, il promet d’ouvrir la voie à une carrière fructueuse pour Kim Yong-hoon, qui s’était jusqu’alors fait connaître pour ses court-métrages et documentaires stylisés. Le vice comme fil conducteur, le cinéaste parvient ici à transposer le film de mafieux parmi des personnages ordinaires. Comme souvent dans le polar coréen, tous les torts de la société moderne s’invitent dans cette intrigue haletante où les émotions poussées à l’extrême s’achèvent sur un final grandiose.
Lucky Strike (2020) de Kim Yong-Hoon. Sortie en salle le 8 juillet.
LUCKY STRIKE - Bande-annonce