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25 Le jour où Luis Buñuel a défié le général Franco

Le jour où Luis Buñuel a défié le général Franco

Cinéma

À l’occasion de la rétrospective Luis Buñuel qui se tiendra à la Cinémathèque française du 30 septembre au 1er novembre, retour sur le jour où le réalisateur espagnol s’est attiré les foudres de la dictature franquiste en tournant des scènes d’orgie et une reconstitution scandaleuse du dernier repas du Christ dans son film “Viridiana” (1961) – Palme d’or au Festival de Cannes. 

Luis Buñuel, "Viridiana" (1961) © Tamasa Distribution Luis Buñuel, "Viridiana" (1961) © Tamasa Distribution
Luis Buñuel, "Viridiana" (1961) © Tamasa Distribution

Cinéaste de la subversion, de l’insolence et de l’imprévisible, Luis Buñuel créé le scandale dès la scène d’ouverture de son premier film Un chien andalou (1929) réalisé aux côtés de Salvador Dalí. Pour répondre aux spectateurs horrifiés à la vue de cet œil coupé par une lame de rasoir, le réalisateur espagnol déclare “qu’il s’agit seulement d’un appel au meurtre”… Un goût pour la provocation dont il se servira pour fustiger ses deux cibles favorites : la bourgeoisie et la religion. 

 

Marqué par une éducation religieuse chez jésuites de Saragosse au nord de l’Espagne, Luis Buñuel développe très tôt un sentiment anticlérical qui ne cesse de grandir lorsque l’Église catholique se rend complice de la dictature franquiste – à la tête du pays de 1939 à 1977. Tout au long de son œuvre riche d’une trentaine de films, le libre penseur attaché aux rêves et aux fantasmes en tous genres tourne en dérision les carcans de la société et le rejet de la sexualité de l’Église catholique. En 1930, Luis Buñuel filme un prêtre sortant d’une orgie dans une scène délibérément provocante de L'Âge d'or, qui vaut au film d’être censuré jusque dans les années 80. Le pouvoir remet également en cause les idées marxistes du cinéaste, qui, contraint de quitter son pays natal à la fin des années 30, s’exile au Mexique, en France et aux États-Unis. 

Bande-annonce – "Viridiana" (1961) de Luis Buñuel

Après cet exil, le cinéaste retrouve l’Espagne pour y tourner Viridiana (1961), satire de la charité chrétienne et de la bourgeoisie espagnole. Pour obtenir une autorisation de tournage de la part de la dictature franquiste, Luis Buñuel propose une version abrégée du scénario – dans laquelle ne figurent ni la couronne d’épines jetée au feu, ni l’odieuse orgie sur fond de l’Alléluia du Messie de Haendel, ni la reconstitution du dernier repas du Christ peint par Léonard De Vinci avec en lieu et place du Christ, un affreux mendiant ivre et aveugle. L’administration franquiste lui demande tout de même de retirer la séquence finale, qui laissait deviner une scène charnelle entre la jeune héroïne du film et son cousin. Audacieux, Luis Buñuel remplace cette scène par une représentation encore plus immorale : la jeune femme rejoint son cousin et la servante en pleine partie de belote, laissant suggérer un futur ménage à trois.

 

Tout juste terminé, Viridiana (1961) est présenté au Festival de Cannes où il reçoit la Palme d’or – ex æquo avec le film Une aussi longue absence (1961) du français Henri Colpi. Mais cette œuvre va bientôt s'attirer les foudres du gouvernement ibérique… Venu recevoir la récompense sur scène en l’absence de Buñuel, le directeur de Cinématographie espagnole est limogé dès son retour en Espagne. L’autorisation de tournage est annulée rétroactivement et le film censuré puis déchu de sa nationalité. À Rome, le Vatican condamne le cinéaste par l’intermédiaire de son journal officiel, jugeant le film “proche du délire, d'une atroce cruauté et blasphématoire”. Le long-métrage est tout de même projeté en France, où le réalisateur sulfureux est apprécié pour avoir tourné avec Simone Signoret ou encore Michel Piccoli. Viridiana ne sera projeté sur les écrans espagnols qu’en 1977 – deux ans après la mort du général Franco –, mettant un terme à 16 longues années de censure lors desquelles le cinéaste avait tout de même continué à nourrir son œuvre de sacrilèges, imaginant l’exécution d’un pape dans La Voie lactée (1969) ou représentant Michael Lonsdale en moine sadomasochiste dans Le Fantôme de la liberté (1974).

 

Rétrospective Luis Buñuel, du 30 septembre au 1er octobre à la Cinémathèque française, Paris.