Dans le panorama des musées dédiés à un artiste, le Noguchi Museum est une référence. D’autant plus que le lieu a été intégralement imaginé dans les années 80 par l’artiste Isamu Noguchi lui-même, comme une œuvre à part entière. Un acte assez logique pour celui dont la production n’a eu de cesse d’abolir les frontières entre l’art et le design. Actif dans le champ de la sculpture à partir des années 20, Noguchi a réalisé, au cours de sa carrière, des pièces de mobilier, dont certaines particulièrement célèbres comme la table basse en verre et bois qu’il a conçue en 1944, ou la collection de lampes en papier Akari. Il s’est aussi illustré par les spectaculaires éléments de décor scénique conçus pour les spectacles de la chorégraphe Martha Graham, qui n’ont pas manqué de bousculer la notion d’œuvre sculpturale. Noguchi avait en effet coutume de dire que l’art pouvait exister sous des formes très diverses, sans concurrence ni hiérarchie.
Depuis l’an dernier, le musée new-yorkais a décidé d’ouvrir ses espaces à des créateurs – vivants – afin qu’ils y réalisent une exposition personnelle sous-tendue par un projet spécifique en résonance avec le musée. Après l’artiste américain Tom Sachs, qui a présenté un travail autour de la cérémonie du thé, c’est le designer autrichien Robert Stadler qui investit, durant la période estivale, une partie du Noguchi Museum avec une dizaine de pièces. Depuis 2000, Stadler développe un travail personnel (en parallèle de l’aventure du collectif RADI Designers) qui s’applique à brouiller les pistes entre l’art et le design, l’esthétique pure et la fonctionnalité, en jouant aussi sur les rapports à la tradition, aux matériaux, aux usages… pour finalement questionner le statut d’une création. Une démarche qui a intéressé le curateur du lieu, Dakin Hart. “Le service culturel de l’ambassade de France à New York lui a présenté mon travail, explique Robert Stadler, et il a alors imaginé de créer un parallèle entre mes pièces et les œuvres de Noguchi. Comme pour montrer qu’à deux époques différentes – et avec des postulats de départ différents, lui étant artiste et moi designer – nos propos se croisaient.”
Au premier plan, table basse Cut_Paste #8 (2015) de Robert Stadler, sur laquelle repose, à droite, l’œuvre Pink Jizo (vers 1960) d’Isamu Noguchi. À l’arrière-plan, deux œuvres d’Isamu Noguchi. Vue de l’exposition Solid Doubts: Robert Stadler at the Noguchi Museum.
Si les pièces sélectionnées par Stadler procèdent d’une volonté de dresser un panorama représentatif de sa production, son choix a également été orienté par les œuvres de Noguchi présentes dans le musée. Faisant dialoguer les réalisations respectives des deux créateurs, l’exposition incite le public à s’interroger et jette le trouble quant à la paternité de telle ou telle pièce. Elle rend frappante la proximité de réflexion des deux artistes, qui jouent sur le statut ambigu de leurs productions et se confrontent l’un comme l’autre à divers matériaux tels que la pierre, le marbre ou le métal. Trois salles du musée et une partie du jardin se voient ainsi investies par un ensemble de cinq à huit pièces des deux créateurs, combinées au sein d’installations spéciales.
L’accrochage déborde d’ailleurs le strict cadre du musée, invitant à un parcours : “En fait, cette invitation au Noguchi Museum a provoqué d’autres opportunités d’exposition qui se sont ajoutées comme des ramifications de l’exposition principale”, se réjouit Robert Stadler. Ainsi la Carpenters Workshop Gallery, qui représente le designer, a profité de l’occasion pour mettre à sa disposition son espace de Manhattan. De même, les organisateurs de la foire Collective Design – organisée en off de la Frieze Art Fair dans une friche industrielle – ont proposé au musée un espace d’exposition pour, justement, approfondir cette fameuse dialectique entre art et design.
Fidèle aux thèmes de prédilection de Robert Stadler, cette exposition joue non seulement avec l’ambiguïté, mais aussi avec le trompe-l’œil ou le faux-semblant. D’ailleurs, quelques semaines avant le Noguchi Museum, le musée des Arts décoratifs de Dresde inaugurait aussi une exposition dédiée au designer autrichien. En duo avec le curateur Alexis Vaillant, il y présentait une centaine de pièces tirées des collections du musée (réparties par thématiques), ponctuées ici et là de ses œuvres. Ce qui justifiait le titre de l’exposition, un brin ironique : You May Also Like: Robert Stadler (Vous pourriez aussi aimer : Robert Stadler), invitant le public à faire ses propres découvertes. De la même manière, en intitulant son exposition Solid Doubts (Doutes solides) le Noguchi Museum souligne toute l’ambiguïté des créations de Robert Stadler, oscillant entre art et design, et maître dans l’art de brouiller les repères.
Photos : courtesy Robert Stadler/Carpenters Workshop Gallery and Collection of The Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum/Artists Rights Society (ARS). Photo: Nicholas Knight
Exposition Solid Doubts : Robert Stadler au Noguchi Museum (New York), jusqu'au 3 septembre.