D’après la légende, Antonio Lopez aurait dessiné sa première robe à seulement 2 ans. Et cela ne ressemblait certainement pas à la tentative maladroite d’un enfant ordinaire. Né sur l’île de Porto Rico d’un père sculpteur de Stockman et d’une mère couturière, Antonio Lopez sera bercé par l’étoffe, l’aiguille et l’imprimé. Dans les années 50, sa famille débarque à New York, le quartier espagnol d’East Harlem devient alors son nouveau fief. Long cheveux bruns bouclés, moustache, fume- cigarette et sapes éclatantes... la musique coule dans les veines de ce danseur hors pair qui tient autant du dandy que de l’univers de David Hockney. Au sortir du Fashion Institute of Technology, c’est au rythme des cocottes de Nile Rodgers qu’il élabore les lignes de ses mannequins en aquarelle pour Women’s Wear Daily, Interview puis pour Vogue. Plus tard viendra la photographie, son Instamatic ne le quittera plus jamais.
Antonio Lopez produit des croquis de top models saisissants et suggère à la mode un nouvel idéal féminin : une élégante dame strassée, insoumise et ultra sexuelle, à l’image de ses “Antonio girls” incandescentes qui ont inondé les magazines comme elles auraient régné sur Instagram aujourd’hui.
Antonio Lopez dessine comme il respire, et chaque expiration induit une nouvelle courbe. Parfois, ses “black days” l’empêchent d’initier sa transe artistique. À l’aube desseventies, l’esthète prolifique a 27 ans. L’heure est à la robe romantique, à la veste frangée, aux pattes d’eph et aux imprimés ethniques. Dans cette ère dynamique, le look hippie embrasse la vague punk, Karl Lagerfeld explose à Paris, Kenzo mise sur la couleur et les créateurs dénudent les femmes. Dans les illustrations du performeur Antonio Lopez : du kitsch, de la dérision, de l’éclat. Abreuvé par le pop art, l’expressionnisme d’Egon Schiele, le surréalisme de Joan Miró, et les chefs-d’œuvre de l’Art nouveau, Antonio Lopez produit des croquis de top models saisissants. Comparé à René Bouché (1905-1963), le dernier maquisard de l’illustration capte une sensualité monumentale et suggère à la mode un nouvel idéal féminin : une élégante dame strassée, insoumise et ultra sexuelle.
Avec son gang de noctambules et son carnet d’adresses XXL, Antonio Lopez écume les night-clubs, du Studio 54 à l’interlope Sept, côtoie Jessica Lange, Charles James, Donna Jordan, Grace Jones... L’“Antonio corner” s’oppose rapidement à la folie de l’“Andy corner” de Warhol. De fait, il profite d’une époque où les mannequins deviennent des personnalités de premier plan. Et le playboy bisexuel – en couple avec son collaborateur Juan Ramos de 1965 à 1970 – subjugue une à une ses “Antonio girls” incandescentes et résolument disco qui ont inondé les magazines comme elles auraient régné sur Instagram aujourd’hui. Selon l’artiste Paul Caranicas, Antonio Lopez révolutionne la mode en choisissant “les races, les ethnies et la sexualité comme fondements de son art”. Le Portoricain mêle les influences, quitte l’Amérique pour Paris et dessine les choses telles qu’il aimerait qu’elles soient, créant une hybridation esthétique fantasque et fantastique.
Antonio Lopez nourrit encore aujourd’hui les campagnes de Louis Vuitton ou de Saint Laurent. Il a impulsé une vision multiethnique de la mode, marquée par son enfance dans le Bronx
C’est un vibrant hommage que propose James Crump avec son nouveau documentaire, sorte de diaporama gigantesque commenté par le cercle d’amis de l’illustrateur, atteint du sarcome de Kaposi et décédé en 1987. Projeté au London Film Festival l’année dernière, le projet du réalisateur américain succède àTroublemakers: The Story of Land Art (2015) et à son interêt pour Robert Mapplethorpe et Patti Smith dans Black White + Gray (2007). Antonio Lopez nourrit encore aujourd’hui les campagnes de Louis Vuitton ou de Saint Laurent. Il a impulsé une vision multiethnique de la mode, marquée par son enfance dans le Bronx. Mais il y a aussi de la mélancolie dans ce documentaire. Un chagrin proche de l’abattement, notamment lorsque Crump suggère que le racisme ambiant au magazine Vogue a contribué à pousser Lopez vers la sortie. Un monde cruel qui survit à l’encre, aux Polaroid et à la plus belle des descriptions : “It was just Antonio.”
Antonio Lopez 70: Sex, Fashion & Disco de James Crump. Disponible.