Avec ses photos glamour et sexy, la photographe Ellen von Unwerth a marqué les années 90. Intensité du grain, noir et blanc énergique, couleurs saturées et cadrage serré caractérisent l’univers provocateur et intimiste de celle qui a capturé la naissance des supermodels - notamment Naomi Campbell, Kate Moss, Claudia Schiffer, Carla Bruni - à l'aube des nineties pour devenir une référence de la photographie de mode. La photographe autodidacte, née en 1954 à Munich, a extrait de ses archives personnelles une collection de Polaroïd, instantanés saisis sur le vif au cours de ses shootings mode les plus connus. Du 7 au 11 novembre, chacun pourra admirer ces clichés dans les bureaux parisiens de la maison d'enchères Phillips (7e arrondissement), avant leur passage sous le marteau le 22 novembre, à Londres.
“Je me suis dit que c’était mieux de les vendre que de les laisser dans une boîte”, confie la photographe à Numéro. Car ces images, qui, souligne-t-elle, “n’ont jamais été vraiment montrées” émaillent le brillant parcours d'Ellen von Unwerth, comme autant de souvenirs personnels. Ex-mannequin éprise de photographie, elle passe progressivement derrière l'objectif et commence à vendre ses photos à quelques magazines de mode. Son talent fera le reste. Elle signera notamment en 1989 une campagne très remarquée pour le label Guess mettant en scène Claudia Schiffer. Quand on parcourt du regard ces Polaroïd, on découvre les icônes des podiums que tous les photographes s’arrachaient à l'époque. Naomi Campbell alanguie sur un bar, Kate Moss à peine âgée de seize ans, un café à la main, Claudia Schiffer à moitié nue devant une piscine, la it-girl Paris Hilton, espiègle, arrosant d'eau un homme... autant d'images qui prouvent qu'elle sait exalter avec talent le naturel et la vivacité du moment. Pour Numéro, Ellen von Unwerth revient sur les secrets qui se cachent derrière cinq photographies cultes.
1. Splendor in the Garden, Kate Moss, Miami, 1993
“C’était un des premiers shootings de Kate Moss. Je travaillais déjà avec les supermodels et Kate est arrivée avec cette nouvelle tête, ses dents un peu pointues, sa minceur, son visage juvénile… Elle avait seize ans. Ça a été un coup de cœur immédiat entre nous deux. C'est l'année précédente que je l'avais rencontrée pour la première fois lors de son tout premier shooting pour Vogue Italie, où elle avait l’allure d’une lolita. Le Polaroïd que vous voyez ici a été capturé lors de son deuxième shooting à Miami, cette fois-ci, pour l'édition américaine de Vogue. Elle était entourée de six ou sept filles, mais elle était là avec sa fraîcheur et son charme qui contrastait. Je me rappelle qu’on a fait les prises de vues un peu partout dans la ville, sur la plage, mais surtout dans des endroits qu’on a cherchés toutes ensemble. Ce Polaroïd a été pris le matin au moment où nous prenions notre café. En la regardant, je me suis dit qu’elle était tellement belle que je devais prendre mon appareil pour capturer ce moment hors du temps. C’est très intimiste, pas du tout posé, il n’y avait personne autour. On se complique tellement la vie pour essayer de faire des photographies incroyables, alors que, finalement, les moments volés, si vrais, sont toujours les photographies les plus belles!”
2. Miss America, Claudia Schiffer, Saint-Tropez, 1994
“J’ai fait la connaissance de Claudia Schiffer au début de ma carrière, notamment à l'occasion d'un shooting pour Guess que j’ai réalisé dans les années 90. J’aimais tellement sa ressemblance avec Brigitte Bardot que, pour ces photographies réalisées à Nashville, j’ai mixé la beauté de Bardot avec celle de Dolly Parton. Cette campagne a eu un tel succès — on m'en parle encore aujourd’hui — que nous avons décidé de shooter un calendrier ensemble. C’est à cette époque que nos carrières respectives ont été lancées. Le Polaroïd que vous voyez ici a été pris à Saint-Tropez. Pour la photo qui illustrait chaque mois, nous avons imaginé un personnage différent : une James Bond Girl, un bandit sur les toits, une soubrette… Sur cette image, c’était Miss America en soutien-gorge avec le chapeau d’Oncle Sam. Claudia devait avoir 19 ans. Elle était tellement charmante, jolie et sexy à la fois que j’ai saisi ce moment à la volée. D’ailleurs je n'arrive plus à remettre la main sur ce calendrier, il faut absolument que je le retrouve !”
3. Big Spender, Naomi Campbell and Stephanie Seymour, Los Angeles, 1991
“Je suis souvent inspirée par le cinéma. J'ai notamment un goût prononcé pour la comédie musicale Sweet Charity, réalisée par Bob Fosse en 1966. Ce long-métrage fait partie de mes obsessions. Il a notamment influencé une série qui était destinée au Vogue Italie, que nous avons shootée à Los Angeles, dans un petit bar qui s’appellait Smalls. J’ai eu la chance d’avoir les plus belles filles du moment pour ces images. Il y avait Stephanie Seymour, Naomi Campbell, Tatjana Patitz — les supermodels des années 90. Nous avons essayé de refaire les scènes du long-métrage d’une certaine manière, avec beaucoup de glamour. Les filles étaient tellement sexy que cette série dégage une force incroyable. Cela s'est fait très naturellement, c’était une époque où elles étaient toutes copines, elles se voyaient en privé, nous faisions la fête ensemble. C’était une ambiance très familiale et saine tant sur le plan personnel que professionnel. Une chose est sûre, les filles se donnaient beaucoup sur les shootings, elles ne restaient pas assises sur une chaise sans bouger, elles jouaient devant l'objectif, elles savaient vraiment nous raconter une histoire.”
4. Car Wash, Paris Hilton, Los Angeles, 2004
“Au tout début, ce shooting était prévu pour la marque Guess, mais Paris Hilton devait aussi fournir un cliché pour une vente aux enchères caritative. À l’époque, tout le monde parlait d’elle comme de l’incroyable et sulfureuse héritière des hôtels Hilton. Nous l’avons donc prise en photo un peu “snob” en compagnie d’un homme qui aurait pu être son serviteur, son compagnon ou une simple amourette — nous n'avons jamais réellement su. [Rires.] Les prises de vues ont débuté dans la Jeep, où elle était d’abord nue, avec un petit chien qui cachait tout. Ensuite, nous sommes arrivés dans cette fameuse station essence. Son compagnon s’est mis à laver la voiture, et, sachant que chaque shooting se termine généralement dans une ambiance assez décontractée, Paris Hilton a alors décidé de taquiner le garçon en l’arrosant. J’ai immédiatement sauté sur mon appareil pour emprisonner cette effusion de joie dans mon boîtier. Ce cliché est l’exemple parfait de mon style. Je cherche surtout l'instant où le naturel reprend le dessus. Ce sont des moments un peu “absurdes” mais si vrais ! Paris Hilton est vraiment une figure de la pop culture, comme Kim Kardashian ou Julia Fox aujourd'hui… ce sont des personnages qui nous fascinent par quelque chose de plus que leur beauté. Paris m’a toujours impressionnée, elle est très belle, un peu Barbie aussi, mais elle a ses attitudes bien à elle, et ne se prend pas au sérieux. Cette photo a marqué de nombreuses personnes. Elle me rappelle de très bons souvenirs et je la trouve toujours aussi inspirante.”
5. The Spy from the Cold, Nadja Auermann, Prague, 1994
“Nadja Auermann est l'une de mes mannequins préférées. Tellement belle, tellement grande, tellement sexy, avec cette force germanique qui ne la rendait semblable à nulle autre. Elle avait une aura de femme fatale. Lors de ce shooting, elle était au zénith de sa carrière. Tout le monde voulait la photographier. À ce moment-là, on a fait un voyage à Prague, pour réaliser cette série tournant autour d'une histoire d’espions. Encore une fois, on a shooté partout, dans la gare, sur les ponts, dans les rues… Personnellement, j’adore shooter dans les vieux palaces à l'atmosphère feutrée, qui incitent toujours à se demander : que s'est-il passé entre ces murs ? Ce Polaroïd a justement été pris dans la chambre d’un de ces palaces. Nadja avait une attitude de femme mystérieuse, incarnée par cette position assise, assez masculine. Et je me rappelle très précisément que lors de ce shooting, qu’elle refusait catégoriquement de mettre des chaussures plates, alors qu'elle avait des jambes kilométriques ! Sur cette image, elle a des bottes Prada, alors qu'à cette époque, pour ressembler à ces glamazones ultra-chics qu'on trouvait justement dans le Vogue américain, il fallait absolument porter des talons. Nous avons finalement réussi à la convaincre, mais c’est assez drôle car à chaque fois que je vois cette image, je me rappelle cette histoire. Pour finir, j’ajouterai que ce sont justement ces bottes qui donnent cette force à l'image, au contraire des talons qui auraient accentué le côté glamour, pas forcément en lien avec l’objectif de cette histoire…”
Ellen von Unwerth, exposition du 7 au 10 novembre à la maison d'enchères Phillips, au 46, Rue du Bac, 75007 Paris.