“... Prends garde ! Sous mon sein, la grenade.” L’hymne de Clara Luciani sied comme un gant à Emily Ratajkowski. La bombe américaine, connue aussi sous l’alias EmRata, a d’abord explosé, dans un clip, Blurred Lines de Robin Thicke, il y a tout juste dix ans. Elle s’y dévoilait poitrine dénudée... et est instantanément devenue un phénomène de société. Tout le monde parlait de ses formes, de sa bouche, de son déhanché incendiaire. Mais peu à peu, la jeune femme, aujourd’hui âgée de 32 ans, a révélé bien d’autres facettes de sa personnalité. Mannequin, autrice, actrice, entrepreneure (à la tête de la marque de lingerie et de maillots de bain Inamorata), star des réseaux sociaux suivie par plus de 30 millions de fans sur Instagram, animatrice d’un podcast (High Low with EmRata), activiste... Emily Ratajkowski s’est lancée dans de nombreux projets et combats, imposant une pensée féministe salvatrice. Aperçue dans le troublant polar Gone Girl (2014) de David Fincher et dans I Feel Pretty (2018), elle a publié, en 2021, un livre important, My Body (éd. du Seuil), qui se veut “une exploration personnelle et incarnée du féminisme, de la sexualité et du pouvoir”. Ce véritable manifeste d’autonomisation féminine éclaire avec finesse et nuance les problématiques liées à la marchandisation du corps des femmes et de leur sexualité.
Interview d'Emily Ratajkowski, mannequin, actrice, activiste et égérie parfum Viktor & Rolf
D’une plume aussi incisive qu’élégante, EmRata raconte les agressions sexuelles qu’elle a subies de la part d’hommes qu’elle a côtoyés, mais aussi sa grossesse et son rapport au corps, s’imposant comme une figure du mouvement #MeToo et du féminisme. À la fois mannequin à la beauté spectaculaire et esprit acéré, Emily Ratajkowski incarne à la perfection le nouveau parfum Flowerbomb Tiger Lily de Viktor & Rolf, dont elle est égérie (en plus de prêter son visage au parfum Flowerbomb). Le flacon de la fragrance, une essence florale, sensuelle et solaire, ressemble à un diamant facetté. Et il exalte une féminité aussi incendiaire que délicate. Une véritable arme de séduction massive, à l’image de son égérie, qui s’est confiée à Numéro dans une rare interview.
NUMÉRO : Vous êtes mannequin, autrice, animatrice d’un podcast... Comment vous définissez-vous ?
EMILY RATAJKOWSKI : Je dirais qu’il y a des choses que je considère comme du travail. Pour moi, le mannequinat est vraiment un travail. C’est comme ça que je gagne ma vie, ce qui est merveilleux. Et j’adore travailler dans la mode, qui me donne l’occasion de rencontrer tellement de personnes intéressantes et de créatifs. Il existe un vrai sentiment de communauté que j’aime dans cet univers. Mais mes centres d’intérêt prioritaires sont l’écriture et surtout mon fils, le fait d’être mère, et la famille.
En 2021, vous avez sorti un livre à succès, My Body. L’écrire a-t-il été une catharsis pour vous ?
Oui, absolument. Cela a simplement commencé par le désir d’écrire pour moi-même, sans volonté d’en faire un livre. J’ai toujours aimé lire et écrire, mais je n’avais pas écrit depuis très longtemps. Donc j’ai pris la plume pour essayer de trier mes souvenirs, découvrir ce en quoi je crois et ce que je pense du monde, en fonction de ce que j’ai vécu. Et puis, tout d’un coup, je me suis dit : “Attends, ça pourrait être un livre !” Donc oui, c’était très cathartique.
“Quand, tout d’un coup, vous faites l’expérience d’être objectifiée, brutalement toute cette complexité est effacée, vous êtes réduite à quelque chose de beaucoup plus petit, et limitée à votre apparence” - Emily Ratajkowski
Il y a beaucoup de phrases inspirantes dans ce livre. Je pense notamment à celle-ci : “You thought you were a mind, but you’re a body” (“Vous pensiez être un esprit, mais vous êtes un corps”)...
Cela vient de mon expérience en tant que femme et “personne d’apparence féminine” [“feminine- presenting”, dit-elle, en anglais]. Quand vous êtes dans votre corps et que vous vous attardez sur ce qui vous constitue profondément, vous vous percevez comme cet être complexe qui a tant de souvenirs et d’aspirations qu’il voudrait concrétiser dans le monde. Et quand, tout d’un coup, vous faites l’expérience d’être objectifiée, brutalement toute cette complexité est effacée, vous êtes réduite à quelque chose de beaucoup plus petit, et limitée à votre apparence. Je pense que c’est quelque chose que toutes les femmes et “personnes d’apparence féminine” ont expérimenté. Et si votre gagne-pain est lié à votre apparence et à votre sexualité, cela est encore plus prégnant.
Travaillez-vous sur un autre livre ?
L’année dernière je n’ai pas eu le temps, j’ai eu trop de choses à gérer... Mon fils était encore bébé, et j’enregistrais un podcast plusieurs fois par semaine. Mais je suis en train de sortir de cette phase. À présent, mon fils va à l’école, donc j’ai un peu plus de temps pour moi. Personnellement, lorsque j’écris, je dois rester 80 % de mon temps assise, à attendre que quelque chose arrive. Je suis incapable de voler une heure ici et là pour le faire. J’éprouve d’ailleurs de la jalousie pour les personnes qui y parviennent. J’espère recommencer rapidement à écrire parce que ça me manque beaucoup. Et comme je l’ai dit à l’une de mes amies, je ne pense pas que l’on puisse se qualifier d’écrivain tant qu’on n’a pas écrit son deuxième livre.
Le fait de devenir mère a-t-il changé beaucoup de choses dans votre vie ?
Oh, mon Dieu ! oui, cela a changé tellement de choses. Plus que je ne le pensais... C’est une chose qui m’est tout à fait personnelle, mais je me demande si les gens s’y retrouveront... Mon fils m’a vraiment conduite à donner la priorité à la joie et au bonheur parce qu’il se transforme si rapidement – et je peux voir ces changements se produire au jour le jour – que je veux profiter au maximum de cette exprérience. J’éprouve une sorte de sentiment d’urgence qui consiste à vouloir absolument saisir chaque instant que je peux passer avec lui. Ce qui est tout simplement magnifique, car cela s’applique à tout. Mon enfant m’a appris comment trouver de la joie dans tout ce que je fais, car il n’y a pas de temps à perdre.
“Pour accepter un film, j’aurais besoin que l’on s’intéresse à ma vision des choses, de sentir un vrai respect mutuel” - Emily Ratajkowski
En avril 2023, vous avez dénoncé le sexisme à Hollywood, déclarant vouloir tourner le dos à ce milieu. Pourriez-vous un jour accepter de refaire du cinéma ?
Oui, je peux imaginer revenir au cinéma, mais, en ce qui me concerne, il s’agit de savoir avec qui je travaille. J’aime l’idée de collaboration, mais malheureusement les films ne ressemblent pas toujours à une collaboration. Traditionnellement, il s’agit d’incarner la vision d’un réalisateur. Pour ma part, en effet, je n’ai jamais travaillé sur le film d’une réalisatrice. Pour accepter un film, j’aurais besoin que l’on s’intéresse à ma vision des choses, de sentir un vrai respect mutuel. Et d’avoir la sensation de participer à l’élaboration d’une vision globale, plutôt que de simplement arriver au travail un matin pour faire partie du projet de quelqu’un d’autre.
Quel est le meilleur conseil qu’on vous ait donné ?
Celui de savoir apprendre des autres, tout en filtrant les absurdités. Il est très important de trouver cet équilibre, même s’il est vraiment difficile à tenir, et cela s’applique au milieu de la mode, comme à tout le reste. Il y a tellement de gens qui ont des commentaires à faire... mais leurs règles ne s’appliquent pas forcément à vous. On souhaite toujours tirer profit de l’expérience des autres. Mais je pense aussi que les femmes doivent apprendre à faire davantage confiance à leur intuition, à ce qui vient de leurs tripes.
Et celui que vous donneriez à quelqu’un ?
Ne soyez pas si dur avec vous-même ! Dans l’ensemble, je crois que les femmes et les jeunes femmes sont extrêmement dures avec elles-mêmes, physiquement, mentalement et émotionnellement. Je l’ai moi-même été. Et je pense aussi que c’est dommage, parce que le temps passe vraiment vite, et, honnêtement, il faut savoir être capable d’en profiter.
Vous êtes l’égérie du nouveau parfum Flowerbomb Tiger Lily de Viktor & Rolf. En quoi reflète-t-il votre vision de la beauté et vos valeurs ?
J’aime l’alliance de la force et de la féminité incarnée par cette fragrance. Ce n’est pas un parfum timide. Il est floral et, en un sens, traditionnellement féminin, mais il renferme une vraie force. J’apprécie le fait que Viktor & Rolf souligne autant cette puissance. Flowerbomb Tiger Lily se compose d’un peu plus de notes tropicales [par rapport au parfum Flowerbomb]. Quand on le porte, il y a comme un sentiment d’été qui se dégage. On a l’impression d’être instantanément transportée vers une plage, d’être bronzée et en vacances. C’est une senteur très fraîche.
Quelle est votre définition de la beauté ?
Je pense que la beauté vient de l’intérieur. Il n’y a pas une idée spécifique de la beauté. Les gens possèdent un éclat qui vient de la façon dont ils se voient et dont ils voient le monde. Il y a donc un milliard de manières différentes de voir les choses. Et pour moi, c’est justement ça, la beauté.
À quoi rêvez-vous ?
Je veux juste continuer à créer des choses. Je suis vraiment intéressée par toutes sortes de projets créatifs, donc j’aimerais écrire un autre livre, mais peut-être que je réaliserai également un film. Je pense qu’en ce qui me concerne, ce n’est pas tellement une question de médium. Je veux dire par là que j’aime vraiment écrire, et je l’ai toujours fait, mais c’est davantage une question de message que de support. Et c’est tout simplement passionnant de penser à toutes les possibilités qui se dessinent quand on voit les choses de cette façon.