Numéro : Quand avez-vous décidé d’acquérir une petite chatte, Karl ?
Karl Lagerfeld : Mon amour pour les petites boules de poils m’est venu de façon assez tardive. J’avais déjà eu des chiens dans ma vie, mais c’était lorsque j’habitais à la campagne. À Paris, comme dans toutes les grandes villes, c’est toujours un peu compliqué. Comme vous pouvez l’imaginer, je ne peux plus me permettre de promener un chien dans la rue sans que cela frise l’émeute. Et puis un chien, c’est loin d’être propre et impeccable, et, quand il pleut, ça sent le rat crevé. J’avais deux amies qui possédaient un chat, et elles en faisaient toujours des tonnes dans le genre débordement d’affection, à tel point que je trouvais cela franchement ridicule. Eh bien figurez-vous que maintenant je suis bien pire.
Qu’est-ce qui vous a tout de suite plu en elle ?
J’aime bien être tranquille, et ma chatte m’apporte une présence qui compte mais qui n’encombre pas. Elle est paisible, rigolote, amusante, gracieuse, elle est jolie à regarder et elle a une belle démarche, mais sa principale qualité est qu’elle ne parle pas. Ce fut le coup de foudre. Baptiste [Giabiconi], qui partait en vacances, m’a demandé s’il ne pouvait pas la confier pour cette période à mon personnel de maison. Elle était encore bébé à l’époque, et je l’ai trouvée tellement mignonne que lorsque Baptiste est rentré, je lui ai dit : “Désolé, je la garde.”
Aviez-vous des animaux, enfant ?
Oui, je suis un enfant de la campagne. J’avais un chien que j’adorais, mais il est mort très jeune. Un jour, lorsque j’avais 7 ou 8 ans, il a couru vers moi avant de tomber raide à mes pieds. Ce qui m’a vacciné pendant de longues années. Bien plus tard, dans mes diverses maisons de campagne, j’ai eu un teckel qui s’appelait Lobb, et un jack russell qui s’appelait Ashton.
Votre petite chatte est-elle gourmande ?
Maintenant qu’elle est adulte, elle mange à table avec moi. Elle s’assoit en face de moi et ne mange que ce qu’elle doit manger. Avant il lui arrivait de s’attaquer à une crevette, mais maintenant elle ne touche plus que ses quatre plats différents qui lui sont préparés le jour même, servis dans des bols ravissants. Tout se doit d’être de première fraîcheur, sinon mademoiselle s’assoit devant ses croquettes en sauce pendant trois quarts d’heure en me lançant des regards assassins, sans y toucher.
Son poil est-il toujours lustré ?
Elle est brossée quatre fois par jour, et elle est très body-conscious. Elle a d’ailleurs maintenu son poids idéal de trois kilos et demi depuis qu’elle a sa taille adulte. Elle va chez le médecin une fois par mois – chez le fameux docteur Horn, une clinique très chic à côté de chez Dior – même si elle fait la gueule pendant trois jours aux gens qui l’y accompagnent. Mais ce qu’elle déteste le plus, c’est la manucure. C’est d’ailleurs pour cela que je ne lui fais jamais les ongles.
En parlant de manucure, quand avez-vous sorti vos griffes dernièrement ?
C’est un état permanent. Je suis toujours prêt à les sortir, et c’est pour cette raison, d’ailleurs, que je porte des mitaines.
Comment avez-vous fait comprendre à votre chatte qu’il ne faisait pas bon faire ses griffes sur le canapé Zaha Hadid ?
Je n’ai pas eu à le lui dire, elle ne fait ses griffes que sur son grattoir ou sur le tapis de l’entrée. Mais cela m’est complètement égal : elle abîmerait quelque chose que je la pardonnerais.
… Et que c’était une sale manie de pisser sur le parquet ?
Elle n’a jamais souillé les sols, même lorsqu’elle avait trois mois. Elle a toujours été très propre et passe sa vie à faire sa toilette. Elle sent très bon. Vraiment. Je ne la parfume pas, elle déteste. Dès qu’elle voit un spray, elle court. À la maison, j’ose à peine me parfumer moi-même tant elle a horreur de ça. Elle a une jolie odeur naturelle. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde.
En ce qui concerne les désodorisants pour litière, êtes-vous plutôt du genre chèvrefeuille, lavande ou vanille ?
Vanille.
L’avez-vous fait stériliser ?
Quel mot épouvantable. Mais pour vous répondre, oui, je la préférais vierge une bonne fois pour toutes. De toute façon, elle déteste les autres animaux. Et elle déteste les enfants.
Les chats ne grattent-ils pas à la porte que lorsqu’ils ont besoin de quelque chose – comme certaines personnes que l’on connaît ?
Absolument pas. D’ailleurs je ne sais pas d’où vient cette légende ni quel genre de chats les gens ont. Elle dort à côté de mon oreiller et ne demande jamais rien à personne. Lorsqu’elle passe à table, elle me regarde comme si elle allait me poser des questions profondes, philosophiques, et je me demande parfois s’il ne va pas falloir parler de Kierkegaard. Ses expressions, quant à elles, vont de la vamp du cinéma muet jusqu’à la peinture tragique du xviie siècle.
Telle chatte, tel maître ?
Vous dites ça pour les cheveux blancs ?
Votre chatte est-elle pour ou contre l’exploitation des animaux à fourrure ?
C’est un sujet dont elle se désintéresse au plus haut point. Et pour cause : elle a d’autres chats à fouetter. Elle est très sollicitée. Deux livres vont bientôt lui être consacrés, ainsi qu’une gamme de maquillage pour Shu Uemura et un rôle d’ambassadrice pour Opel, la filiale de General Motors.
Dans l’intimité, vous arrive-t-il d’entretenir de longues conversations avec votre chatte ?
Vraisemblablement, oui. À mon âge, on n’est jamais à l’abri du gâtisme.
Et que lui dites-vous ?
Des conneries. Des banalités. Je lui invente des petits noms. Je peux vous dire aussi qu’elle est très sportive : elle fait du jumping sur le dossier du lit comme s’il s’agissait d’un dos-d’âne sur une chaussée. C’est son jeu favori. Un autre jeu qu’elle adore – mais alors là, c’est elle qui donne le signal – consiste à sauter dans mes bras pour que je la trimballe dans l’appartement comme un bébé. Au bout d’un moment, je n’en peux plus, parce qu’il est impossible de la poser tant qu’elle ne bouge pas et que les griffes ne sortent pas. Il m’est déjà arrivé de faire dix fois le tour de l’appartement sans qu’elle daigne descendre. Elle m’a réduit en esclavage. Les Ménines de Vélasquez est le tableau qui se rapproche le plus de la vie de Choupette. L’infante au milieu, en blanc, avec tout le monde qui s’affaire autour d’elle.
Votre chatte ronronne-t-elle quand on la caresse ?
Non, non, non. Elle est bien plus sophistiquée que ça, une sorte de Jean Harlow du muet. Les chattes, il ne faut jamais les prendre et les écraser de tendresse. C’est très mauvais pour elles. Ses dames de compagnie ont toujours tendance à le faire, mais, en ce qui me concerne, j’attends qu’elle vienne me chercher. C’est elle qui vient me claquer la bise ou sauter sur mes genoux, et non l’inverse. Elle déteste être seule à la maison, n’adore pas qu’on la laisse dans le noir, mais il ne faut pas l’emmerder en la couvrant de câlins toutes les cinq minutes.
Est-elle jalouse ?
Difficile à dire, vu que je ne l’ai jamais mise en compétition avec qui que ce soit. Tout ce que je sais, c’est qu’elle n’aime pas particulièrement mon filleul, Hudson.
Y a-t-il des gens que, bien malgré vous, vous vous sentez obligé de brosser dans le sens du poil ?
Si je le fais, c’est parce que je suis quelqu’un de… gentil.
Si vous étiez vous-même un chat, seriez-vous plutôt du genre petit minou ou gros matou ?
Un gros matou.
Et de qui feriez-vous votre souris ?
Choupette ne fréquente pas de rongeurs, et quant à moi, je ne mange pas de viande. Donc la question ne se pose pas.
Votre chatte sait-elle recevoir ?
Elle ne reçoit pas. J’ai plusieurs résidences à Paris, et Choupette vit dans l’une de celles où je ne reçois jamais d’invités. À de très rares occasions, on la sort de chez elle, pour quelques invités d’exception, comme Caroline de Monaco qui, elle aussi, a un chat.
Ne trouvez-vous pas d’une rare impudeur la façon dont les chats relèvent leurs queues ?
Non. Je ne suis pas un obsédé sexuel, et je ne vois rien d’indécent dans le fait que les chats lèvent la queue. Choupette, par exemple, le fait toujours très gracieusement.
Avez-vous jamais porté la moustache ?
Non. Je suis très brun et une moustache me donnerait l’air d’un propriétaire de maison close en Argentine. J’ai porté la barbe pendant deux ans. J’aimais bien l’idée de ne pas avoir à me raser tous les matins, même si elle était très bien entretenue – une sorte de pelouse toute noire et très bien tondue. Mais à la fin, j’avais l’impression d’avoir des pellicules et je passais ma vie à me gratter, donc je m’en suis débarrassé.
De Tom Ford, Nicolas Ghesquière ou Hedi Slimane, qui est la plus chatte ?
Je n’ai couché avec aucun des trois, donc je ne connais pas leur comportement dans l’intimité.