Numéro : C’est quoi le style Villa Noailles ?
Pascaline Wilhem : De la convivialité, de l’exigence, un décontracté très élaboré et un paraître tout de même dans la bienveillance et la gentillesse, ce qui fait que le choses arrivent à dépasser le classique.
Que retenez-vous de ce cru 2019 de jeunes designers ?
Il est à l’image de l’immédiateté, du monde dans lequel on vit aujourd’hui. Peut-être pas très anticipatif, mais il y a beaucoup choses sur la protection, le mouvement, le repli sur soi, et l’ego. De la fluidité, aussi, avec nombreuses pièces coulent sur le corps à travers différents points de vue. Sans compter la récup’ et les messages sur l’écoresponsabilité glissés dans les coutures de manière plus ou moins intelligente étant donnés les moyens très différents. Il y a également beaucoup de premier degré puis une influence de la vieille maison qui se caractérise par un rapport à l’émotion sans complètement tomber dans le vintage et la nostalgie : le passé et la maison sont davantage perçus comme un style émotionnel que comme un style esthétique.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
J’ai beaucoup apprécié le travail de la matière, qui fait partie de mon ADN et des choses auxquelles je suis sensible. Certains ont décidé de la détruire, d’autre de l’associer. Cette édition est donc marquée par l’expérimentation.
Qu’est-ce qui rassemble cette jeune génération de créateurs selon vous ?
La protection. C’est terriblement visible : les extensions, les volumes... la notion de protection me paraît vraiment importante.
Quel est le principal engagement de la mode aujourd’hui selon vous ?
L’écologie, clairement. La mode doit se racheter. Il y a cette urgence de l’instant qui s’inscrit forcément dans la durée où la responsabilité par rapport au mode est soudainement énorme. C’est en tout cas une prise de conscience qui n’existait pas et qui est aujourd’hui beaucoup communiquée. En tant que professionnels de la mode, nous ne sommes pas dans la négation : on reconnaît que ça pollue mais il existe des solutions dans toute la chaine de production. Il n’y a pas de négociation possible par rapport à l’esthétique, aucune concession ne peut être faite par rapport à la créativité. La nouveauté c’est le moteur mais on y réfléchit autrement et on trouve des solutions différentes.
Justement, en quoi le Salon Première Vision a-t-il joué un rôle clé dans ce changement guidé par la tendance mondiale de la fabrication technique ?
Cela fait une quinzaine d’années que nous avons mis en avant un système d’identification des produits par rapport à la manière dont ils sont élaborés pour distinguer leurs qualités : la différence entre un coton classique et un coton écoresponsable avec traitements sans eau n’est pas évidente. Outre ces pictogrammes, Première Vision a créé un groupe sous l’égide de “smart création”, complètement transversal, dédié à l’innovation de la matière première, qui fait un travail de communication et d’identification ultra bétonné pour mettre en lumière des solutions, des matériaux alternatifs qu’ils soient expérimentaux ou industriels. Aujourd’hui, il existe de vraies réponses dans l’éco conception : de la création de la matière à la fin de vie du vêtement, il y a des solutions, qui sont offertes et travaillées avec beaucoup de technologie. Il ne s’agit pas d’être réactionnaire ou de dire “je vais enlever l’écorce des arbres pour faire une jolie couleur”, ça, on a passé le cap. L’écoresponsabilité c’est de la haute technologie et nous savons qu’il existe beaucoup de fausses bonnes idées comme le greenwashing. Notre rôle est donc de pointer les initiatives correctes et justes, et non de mettre en avant un marketing du propre. En Europe, la législation est extrêmement sévère depuis longtemps : ce qui est produit en Europe de manière générale a déjà des qualités de respect éthique de l’environnement. Les stations d’épuration produisent propre en Europe, il ne faut pas fabuler.
Ce n’est pas le Bengladesh…
Et même ! Au Bengladesh, certaines usines sont extrêmement propres. Il y a des usines qui sont hallucinantes de technologie et de propreté ! Celles destinées au denim sont absolument exemplaires. Cette question de l’environnement est vraiment mondiale et le textile et le cuir sont des industries mondiales.
Y a-t-il une prise de conscience du côté des consommateurs ?
Qui, aujourd’hui, le matin, se lève et s’habille en pensant à ceux qui ont produit de la matière, du fil, poussé des chariots dans des usines, aux professionnels qui les ont teints… À ce nombre d’étapes et de gens qui ont prêté attention à ce que tu portes tous les jours ? Personne. Aujourd’hui les gens vérifient si ce qu’ils portent est produit proprement et de manière éthique mais ils ne vont pas jusqu’à imaginer qu’il y a de vraies personnes qui font que leur tee-shirt peut être lavé 3000 fois. Mais cela évolue dans le bon sens et je reste optimiste pour la suite.
Savoir si la mode doit être accessible est donc obsolète ?
La mode est accessible. Il n’y a pas que la fast fashion qui est accessible et la fast fashion n’est pas que mauvaise.
Les tissus intelligents sont-ils tous écologiques ?
Pas forcément mais les recherches qui vont vers le bien-être, le corps humain et l’égocentrisme en général (rires) sont en effet très connectées à l’écologie. Chez Première Vision, on constate que les innovations les plus pointues par rapport à l’écologie sont souvent issues du sport. Entre le sport et la mode, il y a une grande histoire d’amour… C’est génial !
Les designers textiles se renouvellent chaque saison pour Première Vision… Quelle est la clé d’une telle créativité ? Comment la définissez-vous ?
Comme les artistes, les gens qui créent la matière sont des alchimistes, ils ont à leur disposition les outils les plus ancestraux du monde. Aujourd’hui on a atteint un seuil de progrès hallucinant dans recherche : on en vient à produire des protéines aussi géniales que le fil de l’araignée par exemple. La 3D, nous n’en sommes qu’au début mais il existe une infinité d’associations créatives ! Le plus important, c’est qu’elles correspondent à un moment donné à un besoin. Notre métier, c’est d’animer, d’être dans la prospective et de donner à voir la créativité qui est complètement en “ping-pong” avec nos exposants : il y a de vrais échanges, des rapports de confiance et d’innovation, de la détection de mouvements qui demain seront installés. Dans l’ADN de Première Vision, il y a le collectif. Il faut être poreux au monde et le synthétiser. On a une chance incroyable de travailler avec des experts à l’international qui nous permettent d’être à la fois dans le concept un peu perché et dans la réalité du meilleur de l’offre internationale : tous les exposants sont sélectionnés pour leur créativité, leur fiabilité, éthique etc. Nous leur transmettons des synthèses de tendance, des gammes de couleur… On a donc un observatoire du meilleur de la créativité internationale sur tous les métiers : du fil, du tissu, du composant, de la confection, ce qui nous permet d’anticiper ce qui va vraiment émerger et devenir ce mot horrible que l’on appelle “tendance”. D’ailleurs, certaines n’en finissent pas, comme le destroy, qui a duré une éternité… On en pouvait plus !
Quel conseil donner à un jeune designer ?
Être curieux, écouter, regarder, apprendre des autres, on ne sait rien, jamais.
Si vous étiez un vêtement ?
Un grand manteau, assez pour protéger quelqu’un avec moi.