Du 14 au 17 octobre 2021 s’est tenue à Hyères la 36e édition du Festival international de mode, de photographie et d’accessoires de mode, rendez-vous incontournable de la jeune création dans ces trois domaines. Pour l’occasion, et sous l’impulsion de Jean-Pierre Blanc, directeur et fondateur de l’événement, la Villa Noailles s’est transformée en véritable Notre-Dame-des-Fleurs. Dans tous les coins, à toutes les fenêtres et jusque dans les toilettes, les magistrales compositions florales de Pierre Banchereau (fleuriste et scénographe, derrière le studio Debeaulieu à Paris) insufflent couleur et poésie à l’architecture moderne et cubique de la villa. Dans les jardins, des rideaux peints par Jacques Merle (alias Des Jacqueries, jeune et talentueux dessinateur parisien), laissent passer le soleil doré de ce mois d’octobre et transforment la vue en un paysage de conte, habité de visages teintés d’une douce mélancolie. Ainsi habillée, la Villa Noailles fait pleinement écho aux jolis mots de la poétesse américaine Edith Wharton, écrits en 1919 sur la ville balnéaire et érigés en étendards de cette 36e édition du festival : “Hyères so gold, so full of flowers” (“Hyères si dorée, si pleine de fleurs”).
Dans ce délicieux “printemps automnal”, particulièrement propice à l’éclosion de nouveaux talents, les finalistes des trois concours (mode, accessoire de mode et photographie) ont présenté leurs projets avec un enthousiasme communicatif. Les dix jeunes créateurs en compétition dans la catégorie mode semblent tisser tous ensemble un hymne à la joie et à la douceur, en accord parfait avec l’esprit fleuri du festival. Parmi eux, la jeune suisse Adeline Rappaz, lauréate du Prix du Public, s’est particulièrement distinguée avec ses créations upcyclées, alliant le précieux à l’artisanal. À partir de matériaux récupérés autour d’elle (chutes de tissus de luxe ou vintage, collection de boutons, breloques), elle réalise des pièces quasi architecturales qui semblent parfois défier les lois de la gravité – comme une robe bustier monumentale en patchwork, qui semble tenir comme par magie sur le corps du modèle sans toucher sa peau. Alliant un esprit brut et punk à des couleurs douces et légèrement passées, Adeline Rappaz explique de son côté à Numéro l’importance de se réapproprier les tissus utilisés en les transformant avec des teintures naturelles, à base de plantes : “Pour cette collection, j’avais envie de m’inspirer de la nature, des fleurs… D’abord parce que j’ai vécu à la campagne, mais aussi parce que mettre en avant la nature entre en parfaite cohérence avec la pratique de l’upcycling. Pour que ça soit sensible, c’était important que la palette chromatique soit le plus éloignée possible des couleurs synthétiques.”
Venla Elonsalo © Etienne Tordoir
Rukpong Raimaturapong © Etienne Tordoir
Le soir du défilé, jeu et joie sont les maîtres mots du podium, une moquette multicolore aux faux airs de tapis d’éveil réalisée par le peintre et designer français Alexandre Benjamin Navet. Le bestiaire de la finlandaise Venla Elonsalo, qui transforme ses modèles en peluches géantes (girafe et autres teddy bears) et les fait défiler sur une musique des Teletubbies, parvient à décrocher de nombreux rires et sourires à un public aussi surpris qu’enthousiaste. Les silhouettes très graphiques et festives du thaïlandais Rukpong Raimaturapong, décorées d’amulettes bouddhistes détournées ou de morceaux de miroirs façon boule disco, se démarquent également par leur grande gaieté. Ses chapeaux colorés réalisés main dans la main avec la Maison Michel lui ont d’ailleurs valu d’être sacré lauréat du Prix 19M des Métiers d’Arts de Chanel. Avec cette récompense, le jeune créateur reçoit une dotation de 20 000 euros qui lui permettra de réaliser un nouveau projet, présenté l'an prochain pour la 37e édition du festival. Le grand vainqueur du concours mode, Ifeanyi Okwuadi, qui a remporté le Prix du Jury Première Vision, ne déroge pas à la règle. Malgré un vestiaire masculin très sobre et dominé par le noir, les sept looks de sa collection sont discrètement agrémentés de clins d’oeil ludiques et joyeux, à l’image de ces petites broches réalisées à partir de jouets Kinder. Un esprit que Jean-Pierre Blanc, fondateur du festival, a particulièrement apprécié : “J’ai noté cette année un enthousiasme et comme un goût de la fête, ou plutôt de la joie, chez les différents candidats ; au travers des couleurs et des matières qui étaient employées, notamment. C’est quelque chose qui m’a beaucoup intéressé”.
Yann Tosser-Roussey © Emile Kirsch
Capucine Huguet © Margaux Salarino
Côté accessoires, ce sont encore la gaieté et la douceur qui ont été récompensées. Avec ses bijoux délicats en pièces d’argent et métaux ciselés, la jeune française Capucine Huguet a su séduire le jury présidé par Christian Louboutin, remportant le Grand Prix dans sa catégorie. Diplômée de la célèbre Central Saint Martins, à Londres, la jeune joaillère a passé un été en Arctique a étudier la fonte des glaces, une expérience dont elle s'est inspirée pour réaliser ses bijoux – chacune des pièces présentées à Hyères symbolisant un phénomène en lien avec cette problématique (de l’érosion à la liquéfaction). Lors de la remise des prix, Christian Louboutin a tenu a féliciter la jeune créatrice pour son travail “sensible, joyeux et lumineux (…) qui propose avec douceur, et sans chercher à culpabiliser, de nous interroger et de nous sensibiliser aux problématiques climatiques et d’y trouver des solutions.” Yann Tosser-Roussey s’est vu remettre le Prix Hermès des Accessoires de Mode pour sa paire de gants réalisée pour l’occasion. Dans le showroom qui présentait les différentes collections des finalistes, le jeune designer de 30 ans formé au Studio Berçot s’était déjà fait remarquer avec ses bijoux oversize réalisés en impression 3D, alliant un esprit kitsch et Y2K (“années 2000”) à une démarche – ici encore – durable et écologique. Ses boucles d’oreilles, chokers et parures serties de strass, souvent en formes de cœur, sont fabriquées à partir de PLA, un substitut au plastique, biodégradable, composé d’amidon de maïs. En 2022, la 37e édition du festival, se tiendra une fois encore au mois d’octobre, et sera enrichie d’un nouveau Prix d’après Jean-Pierre Blanc. Un rendez-vous à ne surtout pas manquer car, cette nouvelle saison le confirme, c’est à Hyères que se dévoile et se fait la mode de demain.