S’il fait déjà partie des créateurs à suivre, Glenn Martens n’a rien perdu de la modestie qui a toujours fait son charme, ni de sa sincérité désarmante. Le jeune créateur de Y/Project est à l’image de la génération de trentenaires enthousiastes à laquelle
il appartient : moins intéressée par la réussite que par la liberté, ouverte à toutes les influences sans distinction de haute ou de pop culture. Depuis son arrivée à la tête du label en septembre 2013, Glenn Martens a réussi à imprimer sa marque et même, ces deux dernières saisons, à libérer son style. S’emparant des classiques du streetwear (bombers, jean) autant que du tailoring, il les twiste pour en livrer une traduction résolument contemporaine et postmoderne. C’est que le Flamand aime multiplier les références. Lors du défilé homme qu’il présentait le 20 janvier à Paris, les clins d’œil au gothique et à la peinture flamande qu’il affectionne depuis ses débuts partouzaient joyeusement avec des inspirations 90 omniprésentes, des mannequins aux allures de cow-boys côtoyaient des silhouettes au romantisme noir. On était à mi-chemin ce jour-là entre un film de vampires à l’esthétique léchée (The Hunger de Tony Scott) et une backroom berlinoise des années 70. L’énergie était folle, et ce n’était pas celle “de la rue” – comme le veut la formule éculée –, mais celle d’un underground en pleine forme. Les propositions étaient fortes et jusqu’au-boutistes. Les jeans de plus de deux mètres de long se terminaient en amoncellements aux pieds des mannequins. Les bombers oversize et déstructurés s’ouvraient à l’aide de multiples Zip ou étaient maintenus par des lanières. Un peu SM, beaucoup bondage, très 90, la collection ne pouvait laisser indifférent.
Le défilé homme Y/Project automne-hiver 2016- 2017 par Glenn Martens.
Numéro : Pourquoi les références aux années 90 sont-elles aussi omniprésentes dans vos défilés, et dans la mode en général, ces dernières années ?
Glenn Martens : Ce que je proposais sous mon nom en 2012 était déjà très influencé par les années 80 et 90. Mais la tendance n’était pas encore établie. C’est le cas aujourd’hui parce qu’une nouvelle génération de créateurs s’est imposée. Et elle se réfère naturellement à la période qui l’a vue et fait grandir. Il y a donc une certaine nostalgie. Mais il y a une raison plus intéressante. Les années 90 sont marquées par une esthétique assez laide, trash aussi éclectique que ludique. Lorsque vous regardez un clip de TLC, il est difficile de trouver ça beau. Mais je suis toujours attiré par ce que je déteste, ce qui fait un peu mal, ce qui est un peu compliqué… en mode comme en amour. C’est tout de suite plus intéressant… et plus amusant à adapter. C’est également une période qui contrairement aux années 60 ou 70 ne peut se réduire à un style. C’est une source intarissable d’idées et de références disparates. Et cet éclectisme va bien à Y/Project, je dirais même qu’il fait partie de son ADN.
La collection que vous venez de présenter pendant la Fashion Week parisienne faisait la part belle à un érotisme très bondage : ceintures enserrant les corps, chaps, Zip et pressions à foison comme pour inviter à déshabiller le mannequin…
C’est un peu le fruit du hasard. Pour les pantalons à pressions ou l’utilisation des ceintures, l’idée n’était pas de montrer la peau ou de faire référence au bondage mais de perpétuer une idée importante chez Y/Project : que le vêtement puisse évoluer, muter. Les pièces doivent pouvoir s’adapter, en s’ouvrant, ou en les ajustant avec une ou plusieurs ceintures par exemple. Les volumes sont également travaillés dans cette optique. Ils sont adaptables. Si bien qu’une femme pourra autant les porter qu’un homme. En ajoutant une ceinture à un gros blazer, le vêtement devient tout de suite plus féminin.
L’une des particularités de Y/Project est que le vestiaire masculin est aussi porté par des femmes. Est-ce que la question très à la mode du transgenre vous intéresse ?
J’ai également fait défiler quelques pièces féminines pendant le défilé homme. Des vêtements plutôt sexy qui suggéraient la nudité plus qu’ils ne la montraient en jouant sur les fentes, les plis… Quant au mélange des genres, il est arrivé très naturellement. Lorsque nous avons démarré les collections femme, nous n’étions que deux au studio et nous ne pouvions réaliser quatre collections complètes – deux pour l'homme, deux pour la femme – par an. L’idée de mélanger les pièces entre les deux vestiaires s’est imposée d’elle-même. Et cela a fonctionné. Il est assez commun pour notre génération d’aller piquer dans le vestiaire de son copain ou de sa copine. Lorsque Y/Project a été créé par Yohan Serfaty [décédé en 2013], les pièces masculines étaient très fittées, très slim, si bien que les femmes les portaient aussi bien que les hommes. Cela a toujours fait partie de l’histoire du label.
Comment avez-vous géré l’héritage de Yohan Serfaty à votre arrivée en 2013 ?
J’ai repris une marque en deuil. Yohan avait une personnalité fascinante et le label avait son cercle d’initiés que je n’ai pas voulu décevoir. J’ai effectué une transition en douceur en gardant des éléments forts comme le travail du cuir ou une certaine idée de l’élégance. Depuis un an, je me permets plus d’expérimentations. L’évolution se fait naturellement. Un nouveau public s’intéresse à nous. Là encore, l’éclectisme est de mise. Nous pouvons tout autant être portés par un fan de Rick Owens que par mon grand-père de 90 ans ou par mon père qui est juge.
Vous êtes un passionné d’architecture. Est-ce toujours une influence importante pour vous aujourd’hui ?
J’ai toujours été admiratif de l’architecture médiévale et gothique notamment. J’ai grandi à Bruges et son style m’a imprégné profondément. J’envisage toujours aujourd’hui le vêtement comme une construction portée, dans le volume notamment. Ma manière d’allonger les manches ou les pantalons vient, je crois, de cette fascination pour la hauteur des cathédrales qui semblent s’étirer sans fin vers le ciel. Bruges est à la fois une ville très classique, très austère, et une capitale touristique avec ses marchands de frites. Cette dualité me va bien, et correspond aussi à la mode que j’essaie de défendre. Le tailoring classique côtoie le sportswear, mais tous les deux sont travaillés au millimètre près.