Numéro : Pour le final de votre défilé printemps-été 2023, vous avez réalisé une performance incroyable dans laquelle deux personnes pulvérisaient sur le top model Bella Hadid une matière devenant, au contact de sa peau, un vêtement. En quoi consistait exactement cette technique ?
Sébastien Meyer : J’adore tout ce qui est de l’ordre de l’innovation et des technologies. J’ai découvert l’existence d’une technique expérimentale développée par un designer catalan, Manel Torres : une solution liquide mêlant un solvant à des biopolymères. Lorsqu’il se trouve dans l’air, le solvant disparaît, et les fibres contenues dans le liquide se solidifient au contact de la peau. On obtient donc un vrai vêtement, que l’on peut enlever et remettre. On peut ensuite le dissoudre une nouvelle fois dans du solvant, et pulvériser de nouveau le mélange pour créer une autre pièce. Cette technique n’est pas encore commercialisable, mais je voulais braquer les projecteurs sur elle pour permettre à son inventeur d’obtenir davantage de financements. Je trouve fantastique que Coperni puisse être une plateforme pour ce type de recherches.
Arnaud Vaillant : Nous étions allés rencontrer plusieurs fois Manel Torres qui vit
à Londres, et nous avions pu faire des tests sur des mannequins cabine. Mais nous n’avons pas eu l’occasion de répéter tout le processus avec Bella Hadid. Pour nous, il était important qu’elle soit la protagoniste de cette performance, car elle aussi est férue de technologie. Elle a notamment créé sa plateforme CY-B3LLA, qui permet de se procurer des œuvres NFT créées à partir de scans
de son corps. Nous lui avons proposé ce projet plusieurs mois à l’avance, et elle a accepté avec enthousiasme.
La performance du défilé Coperni printemps-été 2023 avec Bella Hadid.
Comment avez-vous géré la pression de l’événement live, avec cette performance qui pouvait très bien se gripper à tout moment ?
A. V. : C’était certes risqué, mais c’est justement cette magie du défilé qui est l’un des plus beaux aspects de notre métier. Lorsque la pandémie de Covid a éclaté, toute l’industrie projetait un avenir fait de films de mode et de vidéos. De notre côté, nous avions eu l’idée d’un défilé façon drive-in, à l’Accor Arena, auquel les spectateurs assistaient depuis des voitures. Il est très important pour nous de pouvoir faire vivre des expériences aux gens. La technologie et l’expérimentation sont des aspects concrets de votre processus créatif. Vous aviez par exemple imaginé des tissus anti-UV et antibactériens.
S. M. : C’était également au moment de la pandémie de Covid. Nous avions développé toute une réflexion autour du corps et de la façon de le protéger. Nous avions trempé un jersey anti-UV dans un bain d’argent qui permettait de filtrer les bactéries et les virus. Il ne s’agissait pas d’un gadget, mais d’une proposition commerciale : nous en avons fait des robes, des leggings, des bodys. Ce tissu pouvait être lavé une cinquantaine de fois.
A. V. : La technologie fait véritablement partie de l’ADN de Coperni, nous décrivons notre style comme “technochic”. L’innovation est vraiment une des passions de Sébastien. Nous avons nommé certains de nos sacs Swipe, Bluetooth ou encore Wifi [ce dernier, rayé, reprend exactement la forme de l’icône indiquant une connexion WiFi en train de fonctionner sur un ordinateur]. Nous avions aussi proposé des jeux sur Instagram ou encore présenté une collection sous forme de discussion ouverte au public à l’Apple Store des Champs-Élysées.
Vous avez présenté une version en or massif de votre sac Swipe. Comment cette idée est-elle née ?
S. M. : La saison dernière, nous avions fabriqué un sac en verre qui a eu un énorme succès. C’est un objet certes fragile, mais qui procure de l’émotion. Nous avons donc eu l’idée d’un sac encore plus précieux, entièrement en or.
A. V. : Évidemment, acheter une grande quantité d’or était trop onéreux, mais l’un de nos partenaires, en Italie, qui produit nos bijoux, nous a proposé de le faire pour nous. Il a ensuite réalisé le travail incroyable, colossal, de fabrication de cet objet. De même que pour la performance de Bella, il était impossible de procéder à des essais. Il fallait élaborer directement l’objet final. Il était prévu qu’après le défilé ce collaborateur reprenne le sac pour le refondre et récupérer sa matière première. Mais je crois qu’il va le conserver tel quel. À l’heure où nous parlons, certaines boutiques se sont déclarées intéressées par ce sac, et nous ont demandé de le reproduire pour qu’elles puissent le mettre en vente. Son prix avoisinera les 150 000 euros.
Votre défilé printemps-été 2023 présentait également des robes en verre.
S. M. : Cette collection était une déclaration d’amour à toutes les femmes. Celles qui, autour de nous, nous inspirent et nous accompagnent, et nous font part de leurs réflexions, notamment celles liées aux changements qui adviennent dans leurs corps à mesure qu’elles vieillissent. Nous voulions célébrer leur force, avec des épaules marquées, et leur fragilité, à laquelle renvoyaient ces robes en verre, qui faisaient également écho à notre sac en verre de la saison précédente.
A. V. : Le son que produisent ces robes lorsque les mannequins marchent est assez incroyable. Nous l’avions d’ailleurs enregistré pendant les essayages pour l’envoyer à notre sound designer Clara 3000, afin qu’elle l’intègre à la bande sonore du défilé.
Dans vos collections, ces pièces exceptionnelles cohabitent avec d’autres, beaucoup plus quotidiennes. Est-il important pour vous de vous adresser à différents types de clientes ?
A. V. : La période du Covid a été difficile pour tout le monde, mais elle nous a permis de construire et de renforcer notre communauté, pour comprendre ses besoins. Notre utilisation des réseaux sociaux nous permet de construire un rapport vraiment interactif avec elle. Aujourd’hui, nous commençons à bénéficier d’un public fidèle et engagé. Pour nos pièces les plus exceptionnelles, nous travaillons notamment avec le site Moda Operandi, fondé sur un système de précommandes exclusives.
S. M. : Au fil des collections, nous espérons pouvoir continuer à étonner notre communauté, qui nous étonne elle-même. Nous avions peur, par exemple, d’ennuyer le public avec la performance mettant en scène Bella, qui dure tout de même une dizaine de minutes. C’est le contraire qui s’est produit, puisque la vidéo est devenue virale. C’était une belle surprise.