Créateur de bijoux et d’accessoires, styliste phare des magazines i-D et The Face dans les années 80 et 90, consultant auprès de nombreux créateurs, directeur artistique dans l’industrie musicale… Le talent multifacettes de Judy Blame, figure iconique du Londres post-punk des années 80, s’expose dans la capitale britannique, à l’ICA, jusqu’au 4 septembre. Numéro a rencontré cette figure phare de l’underground londonien.
Numéro : Avec cette exposition à l’ICA, l’ex-punk que vous êtes a-t-il le sentiment d’être définitivement devenu un mythe, voire une légende ?
Judy Blame : Je dis toujours que je suis une leg – end [le bout d’une jambe] [rires]. Par un miracle que je ne m’explique toujours pas, j’ai survécu à toutes ces périodes différentes, l’époque punk, les nouveaux romantiques, la rave… Je pense que c’est pour cela qu’on me regarde avec tant d’admiration.
En tant que directeur artistique et consultant, vous avez collaboré avec les plus grands créateurs, de Rei Kawakubo à John Galliano, jusqu’aux jeunes talents actuels tels que Gareth Pugh. Comment avez-vous réussi à gérer tous ces ego ?
[Rires.] J’ai une grande capacité à m’adapter aux autres. On me prend souvent pour une diva parce que je parle fort et que je suis excentrique… mais j’aime absorber les univers des autres et me mettre au travail. J’ai la même approche en tant que styliste et directeur artistique que lorsque je fabrique mes accessoires : je suis dans le concret, j’aime faire des choses avec mes mains.
Vous avez été proche du performeur Leigh Bowery, quelle influence avez-vous exercée l’un sur l’autre ?
Leigh et moi étions de grands amis, il n’avait pas besoin de mes conseils et de mon aide. Nous avions beaucoup d’admiration pour nos travaux respectifs.
Comment avez-vous sélectionné puis arrangé les pièces et les images que vous présentez à l’ICA ?
Je voulais faire de cette exposition une sorte de cours sur la mode, car j’ai un peu peur lorsque je vois aujourd’hui des jeunes s’autoproclamer “directeurs artistiques” parce qu’ils sont capables de faire de beaux moodboards. J’ai donc cherché à montrer mon processus de travail. Certains thèmes sont devenus récurrents au fil des années, comme la couture à la main. Ce qui est intéressant aussi, c’est qu’à travers mon travail on peut lire toute l’évolution de l’industrie de la mode. Par exemple, j’ai récemment collaboré avec Kim Jones, le directeur artistique du prêt-à-porter masculin de Louis Vuitton, sur une de ses collections qui s’inspirait de
The House of Beauty and Culture, un collectif d’artistes et de designers que j’avais contribué à établir dans les années 80. Il s’intéressait particulièrement au travail de Christopher Nemeth. C’est amusant de voir comment la créativité des années 80 et 90, qui s’élaborait à partir de bricolage de matériaux pauvres, est revisitée aujourd’hui dans une version beaucoup plus luxueuse. Cette réflexion fait partie de mon exposition.
Dans vos bijoux, vous avez vous-même toujours joué à mêler avec beaucoup d’irrévérence des objets pauvres et des symboles de la culture traditionnelle britannique. Ce que vous avez fait encore récemment dans votre collaboration avec la marque de parfums britannique Jo Malone…
Jo Malone m’a proposé de customiser ses coffrets classiques, et il se trouve que j’ai toujours adoré les pearly kings and queens [tradition qui consiste à broder sur ses vêtements des boutons imitant des perles, pour parodier les habits royaux, lors de collectes de fonds pour des œuvres caritatives]. J’ai donc imaginé quatre illustrations déclinant cette tradition. J’ai ensuite ajouté des rubans maintenus par des épingles de nourrice. Mon association avec Jo Malone était une idylle sans nuages.
Judy Blame: Never Again et Artistic Differences, à l’ICA, The Mall, Londres SW1Y 5AH, jusqu’au 4 septembre.