Originaire de Bramejean, dans les Bouches-du-Rhône, Simon Porte Jacquemus a conquis les cœurs et gravi les échelons de la mode en imposant son univers solaire et hédoniste. Véritable success story, son label indépendant Jacquemus, qui célèbre depuis 2009 l’humour, la poésie des paysages de son enfance et la liberté des corps, a ouvert cet automne une boutique sur la prestigieuse avenue Montaigne. Le créateur français adoré par un large public fidèle, qui le suit sur les réseaux sociaux, nous en dit plus sur sa carrière auréolée de succès.
Numéro : Est-il vrai que votre vocation pour la mode est née lorsque vous avez fabriqué une jupe avec des lacets de Converse et un rideau ?
Simon Porte Jacquemus : J’ai toujours été fasciné par la mode, et surtout par ma mère, lorsque j’étais enfant. Elle était très créative dans sa manière de s’habiller, unique en son genre dans le village. Elle venait me chercher à l’école tous les jours dans des looks incroyables... Elle m’inspirait énormément. Je m’ennuyais beaucoup lorsque j’étais enfant. Un jour, j’ai voulu l’habiller et je me suis lancé en créant une jupe avec les rideaux en lin de notre salon et en la nouant avec un lacet de Converse. Elle l’a portée, j’étais l’enfant le plus heureux du monde ! Depuis, je n’ai plus jamais cessé de créer des vêtements.
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“Enfant, je me suis lancé en créant une jupe avec les rideaux en lin de notre salon et en la nouant avec un lacet de Converse. Ma mère l’a portée, j’étais l’enfant le plus heureux du monde !” Simon Porte Jacquemus
Dans quel contexte avez-vous avez grandi, enfant, à Bramejean [Bouches-du-Rhône], et comment y avez-vous vécu votre homosexualité ?
Je débordais d’énergie, j’étais obsédé par les vêtements et je voulais absolument aller à Paris pour suivre les cours d’une école de mode. Je voulais créer des formes, des tenues pour ma mère, ma grand-mère... j’en parlais constamment. Comme j’étais le seul garçon homosexuel de mon collège, lorsqu’on me mettait de côté ou qu’on m’insultait, j’avais encore plus envie d’être différent. Je trouvais refuge sur Internet avec Skyblog et Myspace, où je publiais des shootings que je faisais dans mon garage ou dans mon jardin. La mode m’obsédait, et elle m’a donné cette envie de créer ma propre marque très jeune.
À vos débuts, il y a plus de dix ans, vous avez créé un happening à la Vogue Fashion Night Out, qui démontrait déjà votre vision novatrice de la mode, en dehors des canons habituels. Rétrospectivement, quel regard portez-vous sur cet événement disruptif ?
Ce moment restera gravé dans ma mémoire. Mes amies et moi étions jeunes, nous étions prêts à tout pour réussir dans la mode et nous faire remarquer. À l’époque, intégrer ce milieu parisien très fermé me semblait impossible. Cette motivation et cette envie de réussite, je la souhaite à tous les jeunes. Je n’avais rien à perdre ! J’en garde un souvenir très positif.
Dans la mode que vous proposez, l’attitude et l’authenticité jouent une part importante. On le voit notamment dans le défilé que vous avez présenté à Hawaï, qui fait la part belle au style des femmes et des hommes hawaïens, avec un casting entièrement local.
En allant défiler à Hawaï, il était primordial pour moi de respecter la culture locale. La collection Le Splash était une collection pop qui faisait référence à la mer, aux beautés solaires... Il nous paraissait évident de faire un casting local et de travailler avec une production sur place, de manière authentique et naturelle. Le runway était une ligne bleue... un geste simple qui ne dénaturait pas l’espace et la nature. Je voulais absolument que cette collection s’intègre de manière organique dans ce décor incroyable.
“Le Sud fait partie de mon identité, et de celle de Jacquemus. Les paysages et les visions avec lesquels j’ai grandi nourrissent constamment mes collections.” Simon Porte Jacquemus
Après votre collection de Hawaï, très portée sur l’humour et les détournements, vous avez annoncé vouloir aller vers plus de sophistication. Est-ce une décision pérenne, ou l’humour pop fera-t-il toujours partie de votre vocabulaire ?
Lors de mon défilé de juin intitulé Le Papier, j’ai eu envie de revenir à quelque chose de plus minimal, sensuel et romantique. Ce défilé était aussi une déclaration d’amour à mon mari Marco Maestri... Pour mon prochain défilé Le Raphia, les couleurs et les imprimés pop se mélangent à des pièces minimales et sensuelles. Les références pop et le détournement feront toujours partie de mon vocabulaire.
Vous avez aussi défilé à Marseille, et dans un champ de lavande à Valensole pour le dixième anniversaire de votre marque. Estimez-vous avoir la responsabilité de faire découvrir le Sud, vécu par une personne du Sud, à un public international – loin des sempiternels clichés de la Riviera, de Nice, de Saint-Tropez... ?
Le Sud fait partie de mon identité, et de celle de Jacquemus. Les paysages et les visions avec lesquels j’ai grandi nourrissent constamment mes collections. Il est important pour moi de raconter des histoires liées à ces références au Sud, non seulement à travers les défilés, mais aussi avec les images que je partage sur les réseaux sociaux. Cela me paraît essentiel de partager ces références photographiques, qui font partie de l’univers Jacquemus.
Dans vos vêtements, même les plus structurés, surgit une poésie du corps. Est-il important pour vous de conserver cette qualité ?
Il est très important pour moi de conserver ces formes propres à mes créations chaque saison. J’aime retrouver les références à d’anciennes collections Jacquemus et réinterpréter certaines pièces. Cet exercice est essentiel pour moi.
Qu’est-ce qui séduit précisément les clients dans vos collections ? Quels sont les retours qui vous parviennent de vos boutiques ?
Je ne saurais dire exactement ce que les clients viennent chercher. J’espère qu’il s’agit de l’univers Jacquemus, c’est-à-dire une énergie positive, sensuelle et solaire. Une poésie qui surgit au détour des vêtements... Un sourire.
“Je suis très fier d’avoir ouvert une boutique Jacquemus sur l’avenue Montaigne. (...) C’est un rêve d’enfant.” Simon Porte Jacquemus
L’ouverture de votre boutique sur l’avenue Montaigne, en septembre dernier, a généré une file d’attente courant sur tout un pâté de maisons. Tirez-vous une fierté de ce succès sur une avenue aussi emblématique du luxe parisien ?
Je suis très fier d’avoir ouvert une boutique Jacquemus sur l’avenue Montaigne. En tant que créateur de mode indépendant, cela paraissait impossible de pouvoir s’y installer, à côté des géants du luxe. C’est un rêve d’enfant. Je suis très fier du chemin que nous avons parcouru avec mes équipes, c’était un événement emblématique pour nous et nos clients. J’avais envie qu’ils puissent vivre une expérience immersive Jacquemus, y découvrir les pièces, toucher les matières et découvrir des œuvres d’art qui m’inspirent... pouvoir se balader dans les espaces comme dans une galerie d’art, tout en dégustant un peu de pop-corn ! C’est aussi cela Jacquemus, ce n’est pas seulement venir acheter un produit mais vivre une expérience.
Alors que de nombreux jeunes créateurs lancent leur label en espérant se faire recruter par une grande maison de luxe, vous avez plusieurs fois affirmé votre désir de travailler sous votre propre nom. Comment envisagez- vous le développement de votre marque ?
Je souhaite rester indépendant, cela me paraît essentiel. J’ai lancé Jacquemus pour pouvoir créer ma version de la mode et m’amuser avec les codes, les formes, les matières, de manière libre. Dans une grande maison, je perdrais probablement cette liberté...