Stella McCartney : [En français] Bonjour Philip !
Numéro : Coucou, ça va ?
Bien, merci !
Numéro : [En anglais] C’était comment le Met Ball, hier soir ?
C’était le Met. Le Met était le Met.
Qui était une vraie poubelle au gala cette année ?
Qu’entendez-vous exactement par “vraie poubelle” ? Faites-vous allusion à l’apparence physique des invités, à leur tenue vestimentaire ou à leur état émotionnel ?
À leur tenue vestimentaire. Qui portait la robe la plus hideuse ?
Mon Dieu ! c’est un vrai foutoir à ce niveau-là. Je ne distingue même plus les tenues les unes des autres tant ça grouille de robes de bal hideuses. C’est toujours assez surprenant parce que je ne vois pas qui porte ce genre de confection aujourd’hui... en dehors des gens qui vont à ces événements où vous passez votre soirée à fixer le sol pour ne pas vous prendre les pieds dans la traîne de quelqu’un.
Qu’avez-vous porté cette année pour l’occasion ?
Vous n’avez qu’à faire un tour sur Google, darling. Je plaisante. Imaginez-vous que j’ai opté pour une robe Stella McCartney – verte, et dépourvue de traîne – à la grande surprise de tout le monde. Pour ce genre de soirée, j’ai tendance à choisir une tenue dans laquelle je vais pouvoir me déplacer, m’asseoir, respirer, voire lever les bras si jamais l’envie m’en prend. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde. En général, je m’y retrouve toujours avec le même groupe de copines qui n’ont pas trop envie de compromettre leur propre style pour se plier à un quelconque dress code.
En parlant de dress code, la légende veut que chacun des invités du Met Ball fasse approuver sa tenue au préalable par Anna Wintour, rédactrice en chef du Vogue américain et organisatrice de la soirée. La légende dit-elle vrai ?
[Long silence.] Je n’arrive pas à croire que vous me posiez ce genre de question. Vous êtes sérieux ? C’est pour répondre à des inepties comme celle-là que j’ai accepté de vous parler ? Eh bien, permettez-moi d’y répondre : je n’en ai pas la moindre idée. En tout cas, elle n’a certainement pas validé la mienne. Voilà. Et si on passait à autre chose maintenant, pour parler de sujets un poil plus intéressants ?
Très bien, moving on, vos convictions écologiques vous viennent-elles de votre mère Linda, elle-même très engagée pour la défense des animaux ?
Mes parents m’ont tous deux appris à répondre de mes actes et à traiter tous les êtres de cette planète avec le même respect. Et à mes yeux, trucider une pauvre bête, la dépecer pour en faire un manteau, un sac à main ou un pot-au-feu, c’est lui manquer de respect.
“Ce n’est pas comme si le milieu de la mode s’était rendu compte il y a six mois que l’industrie de la fourrure était exécrable. Les maisons ont juste compris qu’à l’heure actuelle le développement durable est un argument de vente non négligeable.”
Sauf votre respect, je n’ai jamais très bien saisi la nuance entre le végétarisme et le véganisme.
Mais d’où sortez-vous ? Vous êtes grave. Alors, pour la petite leçon : le végétarisme est un régime alimentaire qui exclut tous les animaux morts, à savoir la viande rouge et la viande blanche, les poissons et les fruits de mer. Le véganisme, quant à lui, prohibe tout produit lié de près ou de loin à l’exploitation animale : les œufs ou le fromage, par exemple. Personnellement, je suis végétarienne, même si je me reconnais de plus en plus dans les préceptes du véganisme, vers lequel j’ai commencé à tendre dernièrement.
La production de fourrure est-elle plus cruelle pour les animaux que la production de cuir ?
Je ne fais pas la différence : dans les deux cas, vous assassinez un animal – un être vivant qui bouge, qui respire et qui éprouve des sentiments et des émotions comme vous et moi – pour le saigner, l’écorcher et le dépouiller complètement de sa peau. Et qu’on n’essaye surtout pas de me faire passer la pilule en affirmant que le cuir est un sous-produit de l’industrie de la viande. Cet argument est complètement débile. Cette industrie est révoltante en soi, donc ce n’est pas comme si elle pouvait servir d’excuse à quoi que ce soit. Ce qui me fascine, par ailleurs, c’est la façon dont le cuir et la fourrure sont aujourd’hui perçus comme le summum du luxe. Et pourtant, à métrage égal, le cuir ne coûte guère plus cher que le coton. Ce n’est pas un produit de luxe, mais de masse. Sur les plages de Majorque, je tombe souvent sur des contrefaçons en cuir de mon sac Falabella. Eh bien, figurez-vous qu’elles sont vendues à une fraction du prix de la version que je produis pour ma marque, en cuir synthétique. Je ne vois donc pas ce qu’il y a de luxueux là-dedans. Par ailleurs, aucune maison de mode ne vous laissera, en tant que journaliste, visiter les élevages, abattoirs et autres fermes à fourrure d’où proviennent les cuirs, pelisses et autres peaux exotiques. Je vous mets au défi de tenter le coup, vous verrez que leurs portes resteront verrouillées à triple tour. Et pour cause : les conditions de vie et d’exécution des animaux y sont abjectes, c’est un bain de sang, un film d’horreur, un massacre qui est à mille lieues de l’image luxueuse et léchée que les maisons souhaitent véhiculer.
“J’ai passé une grande partie de mon enfance à me faire ridiculiser et insulter du fait que j’étais végétarienne. Sans parler de la risée générale suscitée par mon refus d’intégrer le cuir dans mes collections.”
Depuis quand les animaux ont-ils des sentiments ?
Comment pouvez-vous en douter ? Ce n’est pas parce que vous ne parlez pas leur langue que vous ne pouvez pas les entendre gémir. Lorsqu’on les écorche, leurs veines se gorgent d’adrénaline, une hormone secrétée en réponse à un état de stress. C’est scientifiquement prouvé. S’il ne s’agit pas là d’une réaction émotionnelle, je ne sais pas ce qu’il vous faut. Les gens ont tendance à croire qu’à part leur animal de compagnie – leur chien, leur chat – les petites bêtes n’ont pas de sentiments. Ce qui est tout bonnement ridicule.
De nombreuses marques mettent aujourd’hui en avant la protection des animaux et de l’environnement, deux engagements auxquels vous vous êtes toujours tenue. Dans quelle mesure ces initiatives récentes vous semblent-elles cyniques, relevant purement d’une stratégie marketing ?
Vous connaissez déjà la réponse à cette question. Les grandes marques de mode du monde entier ont investi des millions et des millions de dollars pour cerner le comportement d’une nouvelle génération de consommateurs et de consommatrices pour mieux les cibler. Elles ne sont pas stupides : elles savent que les millennials sont friands d’une démarche plus responsable, faisant preuve de plus de transparence et d’authenticité. Il ne faut pas se leurrer : ce n’est pas comme si le milieu de la mode s’était rendu compte il y a six mois que l’industrie de la fourrure était exécrable. Les maisons ont juste compris qu’à l’heure actuelle le développement durable est un argument de vente non négligeable. Ce qui n’a pas toujours été le cas, et je suis bien placée pour le savoir. J’ai passé une grande partie de mon enfance à me faire ridiculiser et insulter du fait que j’étais végétarienne. Plus tard, lors des dîners en ville, les gens étaient soit très agressifs, soit sur la défensive vis-à-vis de mes habitudes alimentaires. Bref, cela n’a jamais été une conversation très facile à avoir. Sans parler de la risée générale suscitée par mon refus d’intégrer le cuir dans mes collections. À mes débuts, on a dû me dire mille fois que je ne pourrais jamais construire ma propre marque avec de tels engagements.
“Écoutez, j’ai une légère gueule de bois aujourd’hui, et je vous suggère donc d’aller mener une petite étude de marché avant de revenir vers moi.”
Le “développement durable” ? C’est quoi ça encore ?
Je rêve ou vous êtes complètement demeuré ? Une vraie merde ! Écoutez, j’ai une légère gueule de bois aujourd’hui, et je vous suggère donc d’aller mener une petite étude de marché avant de revenir vers moi.
Qu’avez-vous pensé de la déclaration de Donald Trump affirmant que “le concept de réchauffement climatique” avait été “créé par et pour les Chinois dans le but de rendre l’industrie américaine non compétitive” ?
Oh la la ! Difficile pour moi de répondre à cette question. J’ai le sentiment que M. Trump pourrait – je dis bien “pourrait”, et non “devrait” – demander à sa plaque tournante de conseillers de se pencher un peu plus sérieusement sur la question. Il est toujours décevant de constater qu’un leader mondial ne profite pas de la plateforme globale qui lui est donnée pour créer un monde meilleur. Trump est grand-père si je ne m’abuse, donc s’il ne le fait pas pour lui, il pourrait au moins le faire pour ses petits-enfants.
Pourquoi avez-vous choisi de mettre un terme à votre collaboration de dix-sept ans avec le groupe Kering en avril dernier ?
J’ai racheté les parts de ma société détenues par Kering parce que j’en avais...
... marre ! Vous en aviez marre !
N’essayez pas de me faire dire ce que je n’ai pas dit. Au contraire, j’ai adoré mon partenariat avec le groupe Kering et la famille Pinault. Et je ne dis pas ça pour faire de la langue de bois. Je n’ai pas la moindre critique à faire à leur égard, et au-delà du respect que je leur porte sur le plan professionnel, j’éprouve une réelle tendresse pour eux à titre personnel. J’avais une clause dans mon contrat que je pouvais faire valoir à certains intervalles, et j’ai eu le sentiment que le temps était venu pour moi de l’activer afin de reprendre le contrôle de ma marque. Nombre de créateurs n’ont pas cette chance, et je me sens donc à la fois privilégiée et libre.