© Ruediger Glatz
Tilda Swinton et Olivier Saillard, une réflexion poétique sur le vêtement
S’effacer est probablement la dernière chose que l’on attend d’une actrice. Surtout quand celle-ci a le statut, la renommée et l’aura, de Tilda Swinton. La filmographie de la star écossaise oscarisée suffit cependant à rappeler qu’elle s’est toujours prêtée aux projets les plus expérimentaux, depuis la complicité qui l’a unie longtemps au réalisateur Derek Jarman, à Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch, en passant par sa collaboration avec le maître hongrois Bela Tarr. Depuis 2012, la muse fascinante au physique sans âge mène aux côtés d’Olivier Saillard un travail qui explore et présente de façon singulière une réflexion poétique sur le vêtement en tant que pièce de musée, prenant la forme d’une série de performances. Dans un dialogue créatif avec l’ancien directeur du Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris – aujourd’hui directeur de la Fondation Alaïa et directeur artistique, image et culture de la maison JM Weston – elle joue avec les pièces pour évoquer les différentes problématiques soulevées par le vêtement collectionné, archivé, conservé, soustrait à sa fonction initiale pour rejoindre une temporalité radicalement opposée à celle de la mode : celle de la mémoire et du patrimoine. Une réflexion mise en scène, en chair et en mouvement, par son travail d’actrice.
© Ruediger Glatz
Tilda Swinton et Olivier Saillard redonnent vie aux costumes des films de Pasolini
Dans la toute dernière performance imaginée par Tilda Swinton et Olivier Saillard, celle-ci ne s’efface pas tout à fait, mais devient un mannequin Stockman vivant et mouvant qui endosse le temps d’un essayage public, les costumes extraordinaires de plusieurs films de l’immense réalisateur et écrivain italien Pier Paolo Pasolini. En devenant le support de ces pièces, elle n’est que plus présente. Conçus par le costumier Danilo Donati, les vêtements et accessoires s’inscrivaient souvent d’emblée dans une dimension temporelle complexe et paradoxale : celle d’une Antiquité non pas reconstituée, mais ré-imaginée dans une densité tout à fait présente, par le réalisateur. Dans L’Evangile selon Saint-Matthieu, Œdipe Roi, Le Décaméron, Les Mille et une nuits, les protagonistes et les figurants évoluaient dans des robes ou manteaux d’une richesse de détails stupéfiante, réalisés à Rome par les Ateliers Farani. Dans Salò ou les 120 journées de Sodome, les vêtements étaient de style contemporain de l’époque de leur tournage – à l’exception des robes spectaculaires des narratrices.
Manipulés par Olivier Saillard et un assistant avec d’immenses précautions, endossés parfois imparfaitement par Tilda Swinton – certains, en raison de leur fragilité, sont simplement posés devant le corps de l’actrice – les costumes sont autant d’extraits poignants d’un univers diégétique et d’une dramaturgie absents, qui ravivent chez le spectateur les émotions suscitées par la vision des chefs-d’œuvre du maestro du cinéma. Jouant et dialoguant avec cette absence, la comédienne tisse sous nos yeux son propre rapport avec les vêtements : en dehors du contexte filmique, ces pièces révèlent une puissance évocatrice qui leur est propre. La performance s’orchestre en plusieurs parties, transformant parfois les gestes et méthodes du conservateur de musée (Olivier Saillard) en un spectacle en soi fascinant. On ne peut alors s’empêcher de penser à Performing Art, du chorégraphe Noé Soulier, qui se focalisait sur les gestes précis des accrocheurs professionnels d’œuvres d’art. Plus tard, Tilda Swinton esquisse un décor théâtral constitué des robes pesantes et quasi-sculpturales du Décaméron, qu’elle pose toutes droites sur le sol. La performance excelle à proposer une alternative, tant à l’exposition muséale qu’au défilé de mode, offrant une autre voie fondée sur des apparitions, disparitions et mises en jeu, autrement plus fertiles, créatives et émouvantes.
Le dîner Gucci en l'honneur de la performance “Embodying Pasolini” créée par Olivier Saillard et Tilda Swinton