Dans ses clips (plus d’une soixantaine) comme sur scène, Anitta, la chanteuse originaire de Rio de Janeiro, aime afficher ses courbes affolantes en tout petit Bikini et twerker avec une énergie aussi sensuelle que communicative, que ce soit dans la neige, à Aspen, ou au beau milieu d’une favela. Une bombe latine dont le physique ne doit pas éclipser l’influence politique. Ainsi, celle que l’on surnomme la “Beyoncé brésilienne” a récemment bloqué sur ses réseaux sociaux le président du Brésil, Jair Bolsonaro, après que ce dernier eut fait des commentaires ironiques sur la tenue dénudée aux couleurs du drapeau brésilien qu’arborait Anitta au festival californien de Coachella en avril dernier. Un geste que la star, aujourd’hui considérée comme l’une des personnalités les plus influentes du Brésil et l’un de ses trésors nationaux, peut largement se permettre.
Son nouvel album, le remuant et ambitieux Versions of Me, croisant la power pop, le funk et le reggaeton, et multipliant les langues (anglais, espagnol, portugais), bat tous les records de vente dans son pays… et sa notoriété dépasse les frontières. Pour ne citer que quelques chiffres, Anitta est suivie par 62 millions de personnes sur Instagram, 19 millions sur TikTok et ses clips cumulent plusieurs milliards de vues. La Brésilienne a collaboré avec de multiples artistes tels que Madonna, Cardi B, Snoop Dogg, Miley Cyrus, Maluma, J Balvin, DJ Snake, Nile Rodgers ou encore Caetano Veloso. Même le footballeur Neymar a succombé à son charme comme en témoignent plusieurs vidéos lascives du duo apparues sur les réseaux sociaux en 2020.
Les fans d’Anitta aimeraient que la chanteuse, qui a donné des conférences sur son parcours inspirant à Harvard et au Massachusetts Institute of Technology, devienne la prochaine présidente. Mais, celle-ci n’ayant que 29 ans, elle devra encore patienter si elle veut se présenter à la gouvernance de son pays, l’âge légal étant fixé à 35 ans. Une reconversion qui ne semble pas tout à fait absurde car Anitta est une femme de combat. Ouvertement bisexuelle et végane, elle affiche son soutien au mouvement Black Lives Matter (le père d’Anitta est noir tandis que sa mère est blanche) et s’alarme du dérèglement climatique. Des partis pris qui dénotent dans son pays. Au Brésil, en effet, la haine envers la communauté LGBT+ et la brutalité policière font de nombreux dégâts, et le président Jair Bolsonaro encourage les climatosceptiques. Consciente de son rôle, l’icône Anitta est bien décidée à bousculer les codes. Ainsi, il y a quelques mois, l’artiste, en polo monogrammé Louis Vuitton et brushing ultra glamour, nous confiait via Zoom : “Je crois qu’au Brésil certaines personnes m’attendaient, car je dis tout ce que je pense. Quand tu as beaucoup de visibilité, les gens s’intéressent à ton discours. Je trouvais important de me servir de ma notoriété pour ouvrir la discussion sur des sujets clés. Si je vois que mon pays se comporte mal, ce qui est le cas en ce moment avec notre président, le minimum que je puisse faire c’est de m’impliquer dans le débat.”
Le tout dernier engagement en date de la diva ? Redéfinir l’image de la Brésilienne, comme dans le tube aux sonorités R’n’B Girl from Rio de son album Versions of Me : “On y entend un sample du grand classique The Girl from Ipanema d’Antônio Carlos Jobim. Mais je souhaitais apporter mon regard sur ce qui constitue l’ADN du Brésil et de Rio de Janeiro. Dans ce morceau, je parle de ma culture, de ma vie et de mon point de vue sur les filles de Rio, loin de la vision touristique et des clichés de filles sexy que les gens ont en tête. Il n’y a pas ici uniquement des femmes qui ressemblent à des top models. Je voulais mettre l’accent sur l’énergie qui règne dans ce pays. On se sent bien dans son corps, quelles que soient nos mensurations. Sur Instagram, au moment de sortir le single, j’avais posté plusieurs photos de ‘girls from Rio’, toutes très différentes et belles à leur manière : une chanteuse new wave, des actrices, une députée, une sociologue…”
Si Anitta sait mettre les autres en valeur, quel que soit leur parcours, c’est peut-être parce qu’elle-même reste très attachée à ses racines. La superstar est une self-made-woman qui revient de loin. Larissa de Macedo Machado (de son vrai nom) a vu le jour en 1993 à Rio de Janeiro, dans le quartier populaire d’Honório Gurgel. “Ma rue n’est pas considérée comme appartenant à une favela, mais la rue juste à côté l’est”, explique-t-elle. Élevée par une mère célibataire de la classe moyenne, la petite Larissa sait très vite ce qu’elle veut : voir bien plus loin que les bidonvilles. “Dès l’enfance, j’avais répété à ma famille que je deviendrais une chanteuse très connue plus tard, se souvient Anitta. Elle a toujours craint que je sois vraiment frustrée si ça ne marchait pas pour moi. Personne ne voulait me décevoir en m’expliquant que c’était impossible, mais je sentais bien leur inquiétude. Ils m’ont toujours apporté leur soutien. Mon frère travaille d’ailleurs pour moi aujourd’hui.”
À 8 ans déjà, Larissa de Macedo Machado chantait dans la chorale de l’église Santa Luzia de Rio. Une des toutes premières vidéos où on la voit performer, ado, la montre dans une robe à fleurs, un déodorant à la main en guise de micro. Face à son charisme et son large sourire, on devine déjà que la jeune fille deviendra une star. Dix ans plus tard, Anitta suit des études en administration, mais son apparition lors d’une émission de télévision de baile funk va lui ouvrir d’autres portes, plus scintillantes. La chanteuse se lance ainsi dans la musique en 2010 – et signe un contrat avec la major Warner en 2013 – en mixant différentes influences : pop, reggaeton et surtout baile funk. Le baile funk ou funk carioca, c’est cette musique électronique addictive qu’on entend dans les favelas et les clubs brésiliens. Souvent accusé de glorifier la violence, ce genre agressif et sexuel distille un parfum de soufre avec ses paroles mettant en scène des armes à feu, des histoires de gangs et de drogue. Mais Anitta, qui apprécie les revendications sociales souvent associées au baile funk, y ajoute sa touche : des paroles évoquant l’amour et la confiance en soi.
La chanteuse dissimule en effet beaucoup de vulnérabilité derrière ses prises de parole très pensées et tranchées. Dans les deux docu-séries que lui a consacrés la plateforme Netflix (en 2018 et 2020), on apprend que l’artiste a forgé le personnage d’Anitta, une femme puissante et décomplexée, pour dépasser les abus sexuels qu’elle a subis. La diva conquérante qui reprend le contrôle sur son corps a depuis hissé l’empowerment féminin en vraie revendication. “Je me considère comme une féministe, note-t-elle. Et je pense que le féminisme est une question de liberté. Être capable de choisir qui tu veux être, peu importe ce qu’en pensent les autres. Beaucoup d’injonctions pèsent encore sur les femmes, sur la façon dont elles devraient se comporter, ce qu’elles devraient dire ou ne pas dire. On devrait pouvoir être ce qu’on veut, sans subir de préjugés ni de préjudices. Si j’aime un vêtement, alors je vais le porter. Si je veux faire de la chirurgie plastique, alors j’en fais.” Elle affiche même, comme un statement, sa cellulite, dans l’un de ses clips.
La chanteuse reconnaît cependant que sa liberté n’a pas toujours été bien comprise. “Quand j’ai commencé, j’ai rencontré pas mal de problèmes par rapport au regard qu’on posait sur moi, parce que je m’habillais de façon très sexy, se souvient-elle. J’ai entendu des jugements de la part des journalistes, du public… Le Brésil est un pays très conservateur, même si cette attitude est très hypocrite. Beaucoup de Brésiliens cachent ce qu’ils font réellement pour afficher une image vertueuse, ce qui peut s’avérer dangereux. Vaut-il mieux dire la vérité en risquant de fâcher quelques personnes ou vivre une vie de mensonges et décevoir tout le monde le jour où on sera démasqué ? En persistant dans l’honnêteté, en restant authentique, j’ai gagné en crédibilité dans mon pays.” Si elle arrêtait un jour la musique, ce qu’on ne lui souhaite pas, Anitta voudrait devenir psychologue (et non présidente). En attendant, elle soigne les cœurs, les corps et les esprits avec ses mélodies chaloupées aussi chaleureuses que son pays natal.