Enfermée dans un cube monochrome bleu nuit, le phénomène de la soul Jorja Smith interprète son titre phare, Blue Lights. La mise en scène est pour le moins minimaliste : face à un micro, casque audio vissé sur la tête, la Britannique chante en restant statique pendant quelques minutes comme si elle enregistrait en studio, situation peu télégénique. Pourtant, cette vidéo estampillée “Colors show” cumule près de 20 millions de vues sur Youtube. Destinée à l’origine à la promotion de jeunes talents internationaux, la plate-forme musicale Colors est aujourd’hui prisée par des stars de la musique. En deux ans, elle est devenue une véritable référence dans le milieu musical. Sa chaîne Youtube cumule près de 550 millions de vues et concurrence les Tiny Desk Concerts qui cartonnent sur le réseau américain NPR Music : des lives d'artistes dans un décor improbable qui ressemble à la salle de lecture d’une médiathèque. Le concept de Colors est encore plus radical : mis en scène comme en session studio, les artistes interprètent un titre sur une bande orchestrale. Si efficace que le petit studio basé à Berlin est aujourd'hui devenu une énorme machine de production qui a vu défiler l’énergumène Mac DeMarco, le quintet australien Parcels et la pin-up Kali Uchis, faisant varier la couleur du cube au gré des excentricités de leur styliste.
Derrière ce concept, un magazine musical en ligne berlinois. Le credo de ses créateurs est aussi simple que leurs réalisations minimalistes : “All colors, no genres”.
Le Colors show de Jorja Smith – “Blue Lights”
En février 2016, c’est le chanteur australien Emilio Mercuri, illustre inconnu, qui ouvre le bal avec son morceau Sienna simplement accompagné d'une guitare. Petit à petit la plate-forme élargit son registre et accueille les perles du hip-hop, de la soul et du R’n’B, laissant aussi plus de liberté aux artistes les plus agités : les hyperactifs Eddy de Pretto et Tommy Cash ne se sont d'ailleurs pas privés de secouer le cube. Aussi esthétiques qu'originales, les pastilles vidéo de Colors ont changé de dimension. Le webzine dénicheur de talents underground s’est métamorphosé en plate-forme de luxe, propulsée par les artistes les plus populaires. Colors est désormais un passage obligé pour les artistes à la mode, tous genres confondus.
Ultra populaires, générant 500 000 à 30 millions de vues pour les artistes les plus célèbres, les Colors shows sont aujourd’hui des indices de popularité et leur fonction promotionnelle est parfois supérieure à celle d’un clip vidéo...
“On est simplement dégoûtés de ne pas avoir eu l’idée avant ! confesse le producteur et DJ français Sébastien Petit. Colors, c’est à a fois simple, moderne et joli. C’est esthétique et, musicalement, ça sonne bien.” De quoi attirer même les plus blasés des artistes américains. Derrière ce concept génial : un magazine musical en ligne berlinois. Le credo de ses créateurs est aussi simple que leurs réalisations : “All colors, no genres”. Pop, rock, soul, hip-hop ou néo-soul, tous les artistes sont sur un pied d’égalité et enregistrent un morceau dans le studio allemand, sur un fond blanc. La couleur la plus adaptée à leur univers est ensuite insérée en post-production.
Le Colors show de Parcels – “Lightenup”
Nouveau prescripteur de tendances musicales, le Colors show a acquis la puissance d’un grand média. Seul maître de sa programmation – des artistes aux morceaux interprétés – il est relayé à son tour par les autres médias qui voient en cette plate-forme une source de contenu aussi qualitatif qu'intarissable. Passage obligé des artistes en tournée, Colors est aussi un nouvel outil de communication très convoité par les labels. Si rien ne permet d’affirmer que les majors paient la plate-forme pour promouvoir leurs artistes, elles en font en tout cas une priorité dans le calendrier de leurs sorties. Ultra populaires, les Colors shows génèrent de 500 000 à 30 millions de vues pour les artistes les plus célèbres. Ils s'érigent ainsi en véritables indices de popularité, et leur puissance promotionnelle est parfois largement supérieure à celle d’un clip vidéo, dont le tournage revient beaucoup plus cher. Très attendue par les fans – en témoigne la récente prestation de la chanteuse belge Angèle – , moins coûteuse, la session Colors permet même au label de présenter des titres en exclusivité comme a pu le faire le Français Eddy de Pretto avec Random en janvier dernier.
Si les attachés de presse n’hésitent plus à soumettre une myriade d’artiste au studio berlinois, Colors conserve la main sur son concept. À l’ère des médias numérique, la plate-forme est principalement financée par la publicité, mais aussi par le soutien pécuniaire de certaines marques, à l’image d'Adidas qui a notamment sponsorisé la session Colors du rappeur Lefa (ex-membre du collectif français Sexion d’assaut) en octobre dernier. En échange, l'interprète de Seul arborait dans le cube coloré le maillot de foot du Bayern de Munich estampillé de la marque aux trois bandes. Pendant ce temps, aux portes du studio, la file d’attente ne cesse de grossir.
Le Colors show d’Eddy de Pretto – “Random”