L'univers mystique de Daniela Lalita, musicienne ensorceleuse
En se plongeant dans la musique de Daniela Lalita, on imagine aisément un ordre de sorcières réunies autour du feu à la pleine lune pour se livrer au sabbat, pendant que loups, chouettes et autres bêtes nocturnes hurlent au loin. Car à l’image du chant magnétique des sirènes, la musique de la jeune auteure-compositrice-interprète péruvienne basée à New York attire l’auditeur dans les filets de sa voix polymorphe. Instrument principal de la chanteuse, qui dévoilait en septembre dernier Trececerotres, son premier EP, celle-ci s’y dévoile tantôt douce et enjôleuse dans des murmures sensuels, tantôt primitive et menaçante dans ses râles et autres sons gutturaux presque primitifs, voire guerrière dans les sifflements et cris suraigus d’un chœur féminin en cavalcade, livrant l’image d’une armée de walkyries fendant les airs. Tels sont les ingrédients majeurs d’une musique aussi envoûtante qu’effrayante à la croisée des genres, teintée de magie, de mélancolie et d’une touche de folklore.
La vidéo Tenía Razón par Daniela Lalita
Daniela Lalita, une artiste qui repousse les limites avec sa voix
Dès son plus jeune âge, Daniela Lalita perçoit sa voix comme un outil d’expression aussi primordial que puissant. Afin de communiquer entre elles, la jeune fille, sa mère – elle-même musicienne dans plusieurs groupes – et sa grand-mère se passent souvent des mots pour leur préférer l’intention derrière les sons. Très tôt, la Péruvienne exploite plus sérieusement ce potentiel en doublant des enfants ou des créatures de publicités télévisuelles : placée face à un micro entre ses 5 et ses 10 ans, elle apprend à formuler différentes émotions grâce à ses acrobaties vocales. Au fil de la dizaine d’années qui suivra, la musique passera chez elle de la passion à la vocation. Lorsqu’elle s’installe aux États-Unis et entame un cursus en technologie musicale à la prestigieuse université de New York, Daniela Lalita se plonge dans la composition. Guidée par son mentor Morton Subotnick, figure notoire de la musique électronique, la native de Lima repousse les limites de l’expérimentation sonore et se prend de fascination pour le Buchla, un synthétiseur qui lui permet d’innover encore davantage avec sa voix. “Dès que je l’allumais, j’avais l’impression que je donnais la vie, confie-t-elle, comme si chacun de ses modules était un organe.”
De la voix au corps, le rapport viscéral à la musique de Daniela Lalita
Ce rapport viscéral de Daniela Lalita avec le chant s’illustre également dans sa façon de l’incarner à l’image. Depuis l’enfance, elle vit la musique dans sa chair : de son salon, où la jeune fille s’amusait durant ses moments de solitude à se produire devant un public imaginaire, à ses expériences comme mannequin à New York, en passant par ses années de ballet, le mouvement lui permet de donner corps au feu qui l’habite. Pour preuve, en 2017, durant ses études, elle présente Madre, une performance flamboyante entre défilé de mode, projection de film et spectacle de théâtre, qui lui vaut d’être repérée par son futur label, Young. Son désir d’expressivité se reflète rapidement dans sa manière de se mettre en scène. Sur la couverture de son EP, une robe noire moulante la change ainsi en ombre spectrale et longiligne, contrastant avec la créature angélique ou la dame blanche tout droit sortie d’un roman gothique qu’elle incarne dans les tenues blanches et aériennes qu’elle arbore tout aussi volontiers. Pour la vidéo de son titre Tenia Razón, l’artiste réunit autour d’elle un groupe de femmes dont les mouvements proches de la transe évoquent les chorégraphies de Pina Bausch, tandis que dans celle de Pisoteo, elle se contorsionne seule, tel un animal guidé par son instinct primaire.
Car celle qui a grandi près de l’océan et de la jungle aime à le rappeler : si la nature reste sa source principale d’émerveillement, bien d’autres références l’inspirent comme l’iconographie religieuse, les rituels et les lieux de culte et, bien sûr, le cinéma... Biberonnée aux films des années 1920 et à leurs décors artificiels composant un univers de toutes pièces, l’artiste est également grande amatrice de cinéma d’épouvante, notamment des cinéastes Dario Argento, Robert Eggers ou encore Ari Aster. Sa pratique quotidienne de la peinture, de la sculpture et la conception de ses costumes ne viennent que compléter le riche paysage “psychologique”, selon ses mots, dans lequel cette grande perfectionniste se projette et entraîne ses auditeurs.
Trececerotres: un premier EP matriarcal chargé d’histoire et d’émotions
Paru au terme de cinq ans de travail, son premier EP rend hommage à l’environnement matriarcal dans lequel elle s’est construite dès son titre, Trececerotres, “treize zéro trois” en français, qui renvoie au numéro de l’appartement familial où sa mère, sa grand-mère et elle ont partagé tant d’histoires et d’émotions. Écrit et interprété dans sa langue natale, chaque morceau a été imaginé par l’artiste comme un personnage dont elle a défini les caractéristiques précises. En résultent cinq titres tantôt inquiétants, tantôt plus apaisés, voire dansants, dont les différences transitent par les variations de tempo, la densité des voix, les harmonies dissonantes et même des rythmes subtilement hispanisants qui rappellent parfois le flamenco. À la tonalité sombre de cet EP, réalisé majoritairement en solitaire, Daniela Lalita compte répondre par un premier album qu’elle envisage comme “une célébration emplie de confiance et de légèreté”. Pour atteindre cet objectif, l’artiste prépare déjà une excursion entre l’Angleterre, l’Espagne et la jungle péruvienne afin de nourrir son opus d’une force inédite : la collaboration.
Daniela Lalita, Trececerotres (Young), disponible.