Charles Aznavour Ne Deduco Che T' Amo ( J' En Déduis Que Je T' Aime )
Année 1963. Charles Aznavour est à l’apogée de son succès. Très prolifique, le crooner français est déjà l’auteur de neuf albums qui l’ont rendu célèbre. Cette année-là, il sort deux opus en italien. Derrière les arrangements de ses chansons se cache un musicien romain en passe de devenir la coqueluche du 7e art. Un certain Ennio Morricone. Trompettiste, compositeur, arrangeur, chef d’orchestre… le musicien fraichement diplômé de l’Académie nationale de Sainte-Cécile est un touche-à-tout furieusement prolifique. Remarqué pour ses arrangements musicaux à la radio et à la télévision, il fait ses débuts au cinéma dès les années 60. Et alors qu’il écrit notamment pour les plus grandes voix italiennes de l’époque, ce petit génie de la musique commence déjà à se frayer un chemin vers Hollywood.
La musique avant l’image
Sabots, coups de feu tonitruants, chœurs et sifflements. C’est par ces sons expérimentaux que s’ouvre Pour une Poignée de dollars (1964). Long de 2 minutes trente, le générique rouge et noir donne immédiatement la couleur du film : ce western obéit à la musique. Et pour cause, cette première collaboration entre Sergio Leone et Ennio Morricone (anciens camarades de classe) donne le la à une pratique peu commune dans le cinéma. La bande-originale est composée avant même que les images soient tournées. Après avoir lu le scénario, le musicien compose les thèmes qui accompagneront l’histoire et c’est au cinéaste de s’adapter à la musique. Une technique qu’Ennio Morricone adoptera comme sa marque de fabrique et qui a le mérite de marier parfaitement l’image avec le son.
“J’ai cherché à faire jaillir de la bouche des sons inattendus, inacceptables et inventés” déclarait le maestro à propos de ses créations. Dans Le Bon, la Brute et le Truand, il fait imiter le cri d’un coyote à un chanteur. Dans Il était une fois l’Amérique, le leitmotiv du film est un curieux “chanchan”, fredonné par la chanteuse italienne Edda Dell’Orso. En somme, le compositeur s’amuse avec des sonorités expérimentales, composant avec tic-tac d’horloge, sons de cloches, synthés et machine à écrire. Et si ses musiques subjuguent autant le spectateur, c’est qu’elles s’imposent comme un élément indissociable des films, comme si au cinéma, la musique avait plus d’importance que l’image.
The Good the Bad and the Ugly (1966) title sequence
Des westerns… mais pas que
Si Ennio Morricone a grandement participé à faire la promotion du western, c’est que son style est particulièrement adapté aux histoires de cow-boys. Très visuel, son travail est incisif, anticonformiste, saillant. En bref, il est aussi séditieux que les personnages qu’il accompagne à l’écran. Grâce à la popularité des long-métrages de Sergio Leone, Ennio Morricone devient rapidement un incontournable du genre : il compose notamment les bande-originales des Italiens Sergio Corbucci (Le grand silence, 1968), Giulio Petroni (On m’appelle providence, 1972) et Sergio Sollima (Colorado, 1967), et de l’Américain Don Siegel (Sierra torride, 1970). Aux guitares en fusion s’ajoutent des instruments aussi traditionnels que l’harmonica ou l’accordéon. Les chœurs et les voix s’entremêlent aux envolées de cordes.
Mais la carrière du compositeur ne se limite pas à un seul genre, bien au contraire. Dès 1965, il collabore à des films sociaux engagés comme le brûlot politique de Marco Bellochio Les poings dans les poches (1965) ou La Bataille d’Alger (1966) de Gillo Pontecorvo. En Italie, le compositeur collabore avec Pier Polo Pasolini (Salò ou les 120 journées de Sodome, 1975), Luciano Salce (Comment j’ai appris à aimer les femmes, 1967) ou encore Bernardo Bertolucci (1900, 1976).
En plus d’être très populaire dans son pays d’origine, Ennio Morricone l’est aussi en France, où il a travaillé de nombreuses fois avec Henri Verneuil (Le clan des siciliens, 1969), composé la musique du Marginal (1983) de Jacques Deray, ou encore celle, inoubliable, du Professionnel de Georges Lautner, sorti en 1981. Aux États-Unis, le musicien a composé la musique de presque tous les films de Quentin Tarantino (le maestro a d’ailleurs remporté son premier Oscar pour Les Huits Salopards, 2016), collaboré avec John Carpenter (The Thing, 1982) – dans un style beaucoup plus futuriste– , Brian de Palma (Les Incorruptibles, 1987) ou encore Terrence Malick (Voyage of time, 2016).
Ennio Morricone - The Thing
Compositeur de musique absolue
En plus de ses succès à l’écran, Ennio Morricone est connu pour son caractère bien trempé. Le maître de la musique de cinéma réfute d’ailleurs le terme de western spaghetti, péjoratif selon lui et, plus que tout, il ne supporte pas que l’on réduise son travail à ses collaborations avec Sergio Leone. Car il faut rappeler que le musicien a une formation de musique classique. Et, alors que nombre de compositeurs se satisfont de ce terme, le maestro lui, revendique une musique qu’il considère comme “absolue”. Monteverdi, Bach, Stravinsky, Berio, Boulez… les influences du compositeur se dévoilent au fil de ses propres morceaux. Non sans humour, il reprend d'ailleurs des thèmes aussi connus que la chevauchée des Walkyries (de Wagner) et les façonne à sa manière, créant ainsi des pastiches des plus grands classiques. Le chef d’orchestre a d’ailleurs plusieurs œuvres de concert à son actif, notamment des concertos ou une messe écrite pour le Pape François en 2015.
Ennio Morricone est certainement le compositeur de film le plus complet de sa génération – que ce soit au cinéma ou dans la chanson (médium qu'il continue de travailler, notamment avec Céline Dion pour qui il a écrit I Knew I loved You en 2007). À 91 ans, le musicien venait d’ailleurs de remporter le prix Princesse des Asturies pour les arts, ex-aequo avec John Williams, génie qui se cache derrière les bande-originales de Star Wars.
Le 10 juillet sort un coffret spécial “Ennio Morricone, de Sergio Leone à Quentin Tarantino”, dédié au plus célèbre compositeur de musiques de films. L’album regroupe les quelques 600 bandes-originales avant-gardistes du maestro qui a façonné les plus grands westerns du cinéma.